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Reconstruction post-séisme : “Les spécificités des villages doivent être préservées” (experts)

DEBAT. A ce jour, 26.000 habitations dans la zone sinistrée d’Al Haouz ont été endommagées, dont 6.000 entièrement. Les solutions de reconstruction au profit des citoyens sans abri sont toujours à l’étude et devraient être dévoilées rapidement par le gouvernement. Quelles sont les options qui se présentent ? Et à quel coût? Avis d’experts.

Reconstruction post-séisme : “Les spécificités des villages doivent être préservées” (experts)

Le 13 septembre 2023 à 19h18

Modifié 14 septembre 2023 à 8h56

DEBAT. A ce jour, 26.000 habitations dans la zone sinistrée d’Al Haouz ont été endommagées, dont 6.000 entièrement. Les solutions de reconstruction au profit des citoyens sans abri sont toujours à l’étude et devraient être dévoilées rapidement par le gouvernement. Quelles sont les options qui se présentent ? Et à quel coût? Avis d’experts.

Le bilan des dégâts survenus à la suite du tremblement de terre qui a touché le pays vendredi 8 septembre est toujours en cours. C’est sur cette base que seront dévoilées, en fin de semaine comme promis par le chef du gouvernement lundi 11 septembre, les solutions au profit des citoyens actuellement sans abri, et concernant différents programmes de réhabilitation des écoles, des centres de santé et des routes notamment.

Le moment actuel est celui de la poursuite des sauvetages, de l'inhumation des morts, des soins aux blessés, des secours alimentaires et autres; puis au recensement des dégâts et des besoins; au relogement temporaire; et enfin au relogement définitif, c'est-à-dire la reconstruction.

Il est donc temps de commencer à y penser, à en débattre et à échanger les différentes pistes de solution qui se présentent. En effet, les décisions qui seront prises cette semaine engagent l'avenir et leurs effets ne seront visibles que dans de nombreux mois, voire dans une année.

Un sociologue-anthropologue qui travaille sur le monde rural, Mohamed Mahdi, nous suggère d'interroger les premiers concernés, les victimes. Ce que nous avons fait. Mais nous avons également demandé des avis d'experts pour lister quelques idées et pistes de travail.

6.000 maisons complètement détruites

Contactée ce mercredi 13 septembre par Médias24, Fatima-Zahra Mansouri, ministre de l’Habitat, nous confie qu’à ce jour, déjà près de 6.000 maisons ont été complètement détruites tandis que 20.000 autres habitations ont été partiellement démolies. Il s’agit cependant d’un bilan provisoire, en évolution continue. Ce chiffre sera certainement revu à la hausse, d’autant plus que de nombreux douars ne sont pour l’instant pas inclus dans ce décompte.

La principale étape à la suite de tels événements majeurs est certes de sauver les personnes encore en vie sous les décombres et venir en aide aux populations sinistrées en leur offrant denrées alimentaires de base et équipements nécessaires à leur survie. La seconde, et la plus attendue par plusieurs habitants ayant perdu leur logement, est la reconstruction de logements permanents. Où seront-ils reconstruits ? De quelle manière ? A quel coût ? Pour répondre à ces questions, nous avons sondé des experts dans le domaine de la construction.

La reconstruction d’un logement coûtera entre 100.000 et 150.000 DH

Sur ce volet, nos sources s’accordent sur deux points essentiels :

- la reconstruction de ces logements doit se faire à partir de matériaux locaux ;

- la reconstruction avec ces matériaux ne doit pas coûter très cher.

Selon nos différents interlocuteurs, la meilleure approche pour la reconstruction des logements détruits par le séisme d’Al Haouz est de soutenir les pierres locales par des éléments de béton pour faire face aux risques sismiques futurs, et envelopper le tout dans du pisé.

Ce type de construction coûtera entre 100.000 et 150.000 DH par maison, la terre étant gratuite, ainsi que le pisé et les pierres locales. Ce qui doit coûter, c’est notamment tout ce qui se rapporte à l’adduction en eau et à l’électricité.

Si l’on effectue un calcul sur la base du bilan provisoire dont nous disposons, la reconstruction des 26.000 maisons touchées coûtera entre 2,6 et 3,9 milliards de DH. Précisons qu’il s’agit là d’une estimation sur la base des avis de différents experts.

La reconstruction doit respecter les spécificités de l’environnement…

Le Maroc a déjà deux expériences en termes de reconstruction de logements à la suite de séismes. La plus récente est celle d’Al Hoceima, lorsque la ville a été secouée par un violent tremblement de terre en 2004. Cette expérience reste cependant différente par rapport au séisme d’Al Haouz, dans la mesure où la majorité des habitations touchées à Al Hoceima se situaient au milieu urbain. Le gouvernement avait donc construit ou fait construire de nouveaux logements urbains, qu’il a remis à la population.

Dans le cas d’Al Haouz, la plupart des habitations touchées se trouvent en milieu rural. Il s’agit de nombreux douars de 10 à 30 maisons, dispersés tout au long des montagnes. Les solutions en cours de préparation par le gouvernement doivent prendre en considération cet aspect, ainsi que le mode de vie des habitants, totalement différent du milieu urbain.

"La plus grosse erreur de l’histoire serait de reconstruire des logements en poteaux-poutres", estiment nos interlocuteurs. "Les spécificités et l’architecture locales, d’une grande richesse, seront dans ce cas banalisées. L’urbanisme doit absolument rester fidèle à ce qu’il y avait auparavant. La meilleure approche, qui semble cohérente, c’est donc de construire des logements à partir de la pierre locale, soutenue par des éléments de béton, le tout enveloppé dans du pisé".

Nabil Benabdellah, ancien ministre de l’Habitat, également sondé par Médias24, partage l’avis de nos autres sources sur la reconstruction à partir de matériaux locaux. Il nous fait cependant remarquer que "lorsque l’on regarde les photos et vidéos des débris, on y voit beaucoup de constructions en pisé qui ont résisté au séisme, contrairement aux constructions additives en béton et en briques".

La zone doit être étudiée et le concept de reconstruction développé avant le démarrage des travaux

Nos autres sources estiment ainsi que "pour reconstruire ces logements, il faut d’abord préparer un concept, à l’aide d’ingénieurs, de bureaux d’études et d’experts en parasismique. Les architectes arrivent en second lieu".

"Le gouvernement doit cependant éviter de reconstruire sur les gravats. Il doit procéder de la même manière qu’à Agadir. Quand la ville avait été frappée par un tremblement de terre en 1960, les responsables gouvernementaux avaient fait d’Agadir Oufella un monument historique, et reconstruit la nouvelle ville ; celle que l’on connaît actuellement."

"Généralement, c’est de cette manière que procèdent les différents pays, mais ce n’est pas une règle pour tous. Les habitants des différents douars garderont de mauvais souvenirs de ce qui s’est passé sur leurs terres ; des souvenirs qui ne s’effaceront que dans les cinq à six prochains siècles. Par respect, il faut donc éviter de reconstruire dessus, mais plutôt à côté, en gardant le même tissu et une configuration semblable."

"Chaque douar ou deux doivent être pris en charge par un architecte et une entreprise de construction pour susciter une certaine concurrence entre les différents acteurs", ajoutent nos sources. "Ces derniers doivent toutefois respecter un cahier des charges de reconstruction de ces douars, qui doit être élaboré par l’Ordre national des bureaux d’études ou par l’Ordre national des architectes, expliquant le modèle de reconstruction des maisons démolies".

"C’est une occasion de fournir aux gens des habitations solides, viables et fiables, mais surtout de garder la beauté des villages et de l’environnement qui existent depuis des siècles", concluent-elles.

L’importance de se conformer au règlement parasismique des constructions en terre

Mais ces constructions en pisé résisteraient-elles en cas de nouvelles secousses? Oui, répond Nabil Benabdellah.

"La construction des nouvelles habitations doit prendre en considération le règlement de construction en terre", nous précise-t-il, une information méconnue. Ce règlement est applicable aux bâtiments conçus selon les techniques locales traditionnelles et dont la structure porteuse utilise essentiellement la terre, la paille, le bois, le palmier, les roseaux ou des matériaux similaires.

"Après le séisme d’Agadir, l’essentiel des constructions sont devenues parasismiques, contribuant à préserver la vie des gens. Après celui d’Al Hoceima, nous avons accéléré davantage la cadence pour imposer un certain nombre de règles en matière de construction parasismique. Depuis il y a eu de petits tremblements de terre mais, y compris dans le monde rural, les habitants de la ville sont astreints à construire en parasismique parce qu’ils ont connu le séisme. Cet évènement majeur a mis les gens et les autorités face à leurs responsabilités pour le respect de ces règles", ajoute-t-il.

Depuis ces deux tremblements de terre, deux décrets ont été publiés en 2011, à savoir :

- le règlement de construction antisismique ;

- le règlement parasismique pour les constructions en matériaux locaux (notamment le pisé, l’argile…).

"Ces textes ont été élaborés en collaboration avec une équipe d’ingénieurs de l’Ecole Mohammedia des ingénieurs (EMI). Ils précisent les spécificités techniques à respecter sur le terrain. Ce ne sont donc pas de simples textes juridiques".

"L’opération de construction devrait ainsi se baser sur ces textes pour pouvoir procéder à un réaménagement de toutes les zones sinistrées, qui sont des zones sismiques, mais aussi exposées à un certain nombre d’intempéries : inondations, problèmes d’avalanches… Il faut vraiment transformer ce malheur pour que toutes les nouvelles constructions soient désormais soumises à ces deux règlements", commente Nabil Benabdellah.

L’habitat éclaté, principale problématique

Et l’ancien ministre de l’Habitat d’ajouter : "Parmi les facteurs qui compliquent aujourd’hui les choses, figure l’habitat éclaté. Cela signifie qu’il n’y a pas suffisamment de regroupements, et énormément de douars sont situés partout à flanc de montagne, ce qui y rend l’accès difficile", sans parler des éboulements.

"Il serait ainsi préférable d’inciter ces populations à se retrouver dans des villages mieux équipés, mieux construits et accessibles, dans lesquels seront développés des réseaux routiers, ainsi que les différents services publics, à commencer par les écoles et les équipements de santé".

"Il faut mettre en œuvre une vraie réflexion sérieuse pour transformer cette région et utiliser ce malheur de façon positive, en permettant à ces provinces, notamment celles d’Al Haouz, Azilal et Chichaoua, de franchir un palier à travers un meilleur aménagement du territoire et une meilleure technique de construction et d’accessibilité".

Ce que dit le règlement parasismique de construction en terre

Le règlement parasismique des constructions en terre fixe les règles parasismiques auxquelles doivent satisfaire les constructions aux fins de garantir la sécurité. Dénommé "RPCTerre 2011", ce règlement est applicable aux bâtiments conçus selon les techniques locales traditionnelles et dont la structure porteuse utilise essentiellement la terre, la paille, le bois, le palmier, les roseaux ou des matériaux similaires.

Les matériaux couverts par ces règlements sont l’adobe, l’adobe stabilisé, le bloc de terre comprimé, le pisé, le torchis, la bauge et le mortier de terre.

Le texte explique ainsi que la méthode la plus appropriée pour la conception et la justification parasismique d’une construction en terre, nécessite avant tout la compréhension des particularités de son comportement structural vis-à-vis des secousses sismiques. L’importance des dommages sismiques dans une construction en terre dépend de plusieurs facteurs :

- l’intensité des séismes ;

- la géométrie de la structure et les dispositions structurales (la régularité en plan et en élévation de la construction, la configuration des murs, les toitures, des ouvertures et des fondations) ;

- la qualité des matériaux et la qualité de leur mise en œuvre ;

- l’état de la structure avant l’avènement du séisme ;

- les renforcements sismiques de la construction ;

- l’importance des dommages subis lors des séismes antérieurs.

Il fixe également le nombre d’étages pour chacune des zones d’accélération sismique, selon leur niveau de risque, et interdit de construire des bâtiments en terre sur des sols mous, expansifs, marécageux, inondables à risque de glissement, en présence de nappes phréatiques superficielles, ou a moins de deux kilomètres de distance de failles géologiques actives connues.

Ce règlement limite par ailleurs le nombre de niveaux des constructions vitales de type hôpitaux, cliniques, établissements de protection civile, postes de police, et des bâtiments administratifs de centres de décision en cas de séisme à un seul niveau dans toutes les zones sismiques.

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