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AA 2023 Document. Abdellatif Jouahri relate un pan crucial de l’histoire récente du Maroc avec le FMI

Le 2 septembre 2023 à 11h33

Modifié 3 septembre 2023 à 12h07

Abdellatif Jouahri, Wali de Bank-Al-Maghrib, est une personnalité indiquée pour expliquer les réformes majeures ayant permis au Maroc de s’ériger en un pays modèle à l’échelle régionale. Celui qui a coiffé le département de l’Economie et des finances entre 1981 et 1986, qui a assumé des responsabilités importantes dans le privé avant de diriger la Banque centrale, s’est entretenu avec Taline Koranchelian, directrice adjointe du département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI. 

Les années 80, notamment 1981-1986 ont été des années dures. D'une part, il y avait la guerre imposée au Maroc par l'Algérie et la Libye, et son coût quotidien. D'autre part, l'état des finances publiques qui a imposé un programme d'ajustement structurel avec des mesures ayant parfois un coût social très élevé. L'économie marocaine, encore plus dépendante de la pluviométrie qu'aujourd'hui, avait également subi 5 années consécutives de sécheresse, pour la première fois de son histoire. Sur le plan politique, l'édifice constitutionnel que l'on connaît aujourd'hui n'était parachevé.

Abdellatif Jouahri était à l'époque ministre de l'Economie et des Finances, responsabilité extrêmement délicate et complexe, où il devait veiller sur le budget de l'Etat tout en négociant avec les bailleurs de fonds internationaux. Les réformes économiques et financières se sont imposées.

Ce 31 août 2023, le FMI a mis en ligne sur son portail, le podcast d'une interview de Jouahri, actuellement wali de Bank Al-Maghrib. L'interview n'est pas datée, mais on comprend qu'elle est très récente, car elle a été accordée au portail du FMI en prévision des Assemblées annuelles Banque Mondiale FMI qui auront lieu en octobre prochain à Marrakech.

L’échange a eu lieu avec Taline Koranchelian, directrice adjointe du département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI.  Il a porté notamment sur la carrière de l’ancien argentier du Royaume. Mais pas seulement. Le programme d’ajustement structurel (PAS), les relations entre le FMI et le Maroc ainsi que le contexte géopolitique, ont été abordés au cours de l’entretien.

Un début marqué par le PAS

"Je suis arrivé au ministère de l’Economie et des finances début novembre 1981 à la suite d’événements douloureux et de manifestations dans les principales villes du Maroc. Et ce, à cause de la décision prise consistant à relever les prix des denrées de première nécessité", a confié le Wali de BAM lors de l’entretien. 

Le souvenir des premiers jours que Abdellatif Jouahri a passés au ministère de l’Economie et des finances est étroitement lié au PAS, lequel avait été mis en place par l’institution de Bretton Woods afin d’aider le Maroc à sortir de ses grandes difficultés économiques durant les années 1980. Une période précédée, entre autres, par le choc pétrolier de 1979 (hausse des prix du pétrole) et marquée également par la flambée des taux d’intérêt. 

Les difficultés que traversait le Maroc à l’époque peuvent être mieux appréhendées grâce aux "pépites" racontées par Jouahri au cours de l’entretien avec la directrice adjointe du Département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI

"En février 1983, j’étais dans mon bureau avec le vice-gouverneur de la Banque centrale lorsque le directeur du Département étranger de BAM, en charge de la gestion des réserves de changes du Royaume, est venu m’annoncer que le Maroc n’avait plus de devises", explique celui qui avait alors la confiance du roi Hassan II, à une période charnière de l’histoire économique et sociale du pays. Il avait donc demandé un rendez-vous urgent au roi.

L’argentier du Royaume a été désigné par le Souverain pour mettre en place, sur le plan opérationnel, des mécanismes censés permettre au Maroc de remonter la pente raide. 

C’est à ce titre que Jouahri avait proposé au roi Hassan II l’édification d’une commission dédiée à l’élaboration d’une loi de finances rectificative, guidée par l’orthodoxie budgétaire, et la revue à la baisse des postes budgétivores.

A propos du PAS, Jouahri salue "la flexibilité et l’intelligence relatives" dont le FMI a fait preuve

Au sujet de l’implémentation du PAS, Jouahri assure à son interlocutrice : "Pour le déroulement du PAS, je dirai que le FMI a fait preuve de flexibilité et d’intelligence relatives. A l’époque, les règles appliquées aux pays soumis au  PAS étaient très contraignantes". Et d’ajouter en substance : "Le Maroc était confronté au double plafond. L’un relatif aux dépenses de l’Etat et l’autre se rapportant aux crédits bancaires. Même si les critères établis par le fonds n’étaient pas remplis à 100% par le Maroc (mais plutôt entre 95 et 97%), le FMI et son Conseil d’administration faisaient preuve de flexibilité et de compréhension dès lors qu’ils souscrivaient à l’argumentaire du pays."

Le numéro 1 de BAM, qui connaît très bien le FMI pour avoir pratiqué l’institution de Bretton Woods depuis plus de 40 ans, n’a pas manqué de souligner l’évolution de l’approche du FMI à l’égard des pays-membres. "Contrairement aux années 80, durant lesquelles le FMI avait un menu, aujourd’hui, l’approche et les solutions proposées se fondent davantage sur les spécificités de chaque pays", a t-il assuré à son interlocutrice.

Toujours sur l’évolution du FMI, l’ancien argentier du Royaume évoque, entre autres, le changement de regard sur certains sujets jadis tabous, notamment la corruption. Le fonds accorde aussi davantage d’importance à la transparence − adoption d’un Code auquel le Maroc a souscrit − et au ciblage des aides. 

Autre nouveauté de taille selon Jouahri : le FMI et la BM ont porté la voix des pays moins développés auprès du G20 pour l’accès aux vaccins de la Covid-19. Les deux entités ont aussi observé la même attitude concernant la dette des pays pauvres.

En clair, de l’avis du Wali de BAM, cette évolution est de nature à réconcilier le FMI avec les populations pour qui le fonds est un représentant des Etats développés cherchant à imposer ses diktats. 

Les dividendes de l’indépendance de la Banque centrale

Interpellé sur la recette de l’accroissement de la résilience du Maroc grâce aux réformes structurelles opérées depuis le début des années 2000, Abdellatif Jouahri, à la tête de la Banque centrale depuis près de vingt ans, a évoqué en premier lieu l’indépendance de BAM, consacrée par la loi.

En résumé, selon le patron de la Banque centrale, cette indépendance vis-à-vis du gouvernement et des partis politiques a permis à l’institut d’émission de jouer un rôle crucial pour la préservation des équilibres macroéconomiques grâce à la sensibilisation et à la pédagogie. 

"Les équilibres macroéconomiques font partie de la souveraineté nationale. Les efforts pédagogiques et de sensibilisation auprès du gouvernement ainsi que le dialogue permanent entre BAM et l’exécutif, ont permis au Maroc d’être reconnu par le FMI, comme en témoigne l’octroi de la ligne de précaution et de liquidité et récemment la ligne de crédit modulable", assure en substance le Wali de BAM. Il estime que la stabilité et les équilibres macroéconomiques constituent les prérequis du succès des autres réformes structurelles.   

La domination du politique donne des sueurs froides à Jouahri

"Ce qui m’inquiète, c’est la domination du politique. On assiste à une fragmentation géopolitique énorme", a confié le numéro 1 de BAM à son interlocutrice qui, dans une question, a mentionné la fragmentation géoéconomique que connaît le monde actuel. 

La difficulté de ramener la paix entre la  Russie et l’Ukraine, les tensions entre l’Occident et le monde non-occidental sont autant de situations qui poussent Jouahri à s’interroger : "Où va t-on ?"

Dans le même ordre d’idées, il soulève d’autres questions : allons-nous revenir à la situation de guerre froide ? Y aura-t-il une guerre des civilisations ? 

En d’autres termes, pour Jouahri, la situation géopolitique porteuse de dissensions crée beaucoup d’incertitudes. Une donne particulièrement néfaste pour l’économie et le développement économique et financier.

Face aux multiples mutations, au constat de l’échec de la globalisation pour certaines populations et au délitement des élites politiques aussi bien des pays développés que moins développés, le gouverneur de BAM suggère que les banques centrales deviennent des centres de vérité.

"Les organisations internationales doivent mener une réflexion autour de leurs nouvelles missions et priorités", recommande t-il, tout en insistant sur la nécessité de réfléchir collectivement sur ce qu’il faut apporter à la jeunesse dans un contexte de destruction et de création de nouveaux emplois. 

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