Dossier Cet article est issu du dossier «Agriculture : Souveraineté et durabilité deux enjeux conciliables ?» Voir le dossier

AGRICULTURE Reportage. À Berrechid, des agriculteurs acculés par la hausse des prix à la production

Le 19 février 2023 à 19h27

Modifié 9 juin 2023 à 12h59

À Ouled Zidane, commune rurale à une vingtaine de kilomètres de Berrechid, des agriculteurs témoignent au micro de Médias24. Pour eux, la flambée des prix des légumes est d'abord provoquée par celle des intrants agricoles. Reportage.

Préoccupés, les agriculteurs de Oulad Zidane ne sont pas pour autant surpris par la hausse des prix de certains légumes. Dans cette commune rurale située à quinze kilomètres de Berrechid, les champs de pommes de terre, céréales, carottes, oignons et autres se succèdent à perte de vue, délimités par des cactus ravagés par la cochenille. 

"En 2022, les exploitants vendaient leurs pommes de terre entre 3 et 4 DH le kilo. Mais il y a trois ans, elles ne dépassaient pas 1,50 ou 2 DH le kilo", affirme El Houssine Jaâfari, producteur de pommes de terre et d'oignons depuis vingt ans. 

La vertigineuse augmentation des produits alimentaires est la conséquence de multiples facteurs, dont les conditions météorologiques, une offre moins importante que la demande, mais aussi la hausse des tarifs des intrants agricoles, en plus des intermédiaires qui viennent en bout de chaine aggraver la situation. 

Flambée des prix des intrants agricoles 

En ce mardi 14 février, le soleil est dissimulé par des nuages transportés par un vent fort, annonciateur d’intempéries. En apercevant notre caméra, Khalid surgit du local technique de la pompe à eau, devant lequel une vingtaine de butanes de gaz s’entassent les unes sur les autres. 

Cela fait quatre ans que Khalid, la trentaine, cultive des pommes de terre et des oignons. A l’instar de ses collègues, il estime que si les prix de certains légumes ont atteint des sommets, ce n’est pas le fruit du hasard. "C’est le résultat d’une accumulation de facteurs, dont la sécheresse que nous avons subie ces trois dernières années."

"Raison pour laquelle la production de pommes de terre dans la région de Berrechid, considérée comme le grenier de Casablanca et ses environs, a été en deçà des attentes", avance-t-il, au moment où il est rejoint par Mohammed Rbaiti. 

Après plus d’une décennie à produire des pommes de terres, ce père de deux enfants n’a pas souvenir de pareille flambée des prix. Selon lui, "la hausse du litre de gasoil et celle des intrants agricoles sont les principales coupables".  

"Par le passé, le prix des intrants agricoles était abordable pour les agriculteurs, contrairement à ces deux dernières années", corrobore Abderrahmane Arourou. 

Pénurie de semences

Aux odeurs de fumier se mêlent les chants du coq et les murmures lointains des travailleurs et travailleuses agricoles. Alignés, une dizaine d'entre eux avancent méthodiquement de quinze centimètres le long des quatorze hectares cultivés par Abderrahmane Arourou. Soit la distance qui doit séparer deux semences de pommes de terre. 

"Une tonne de pommes de terre à semer, importées des Pays-Bas ou d'Écosse, coûte actuellement jusqu’à 14.000 DH", indique notre interlocuteur. "Il y a quelques années, le prix des semences était de 6 DH le kilo, il est désormais compris entre 11 et 15 DH le kilo. Et certains agriculteurs n’ont même pas réussi à s’approvisionner", déplore Mohammed Rbaiti. 

Agriculteur de père en fils, Farid Rachid a un regard noir en constatant qu'une partie de sa cargaison de semences importées, étalée à même le sol, "a pourri pendant le voyage en bateau".

Mais ce qui l’inquiète le plus, c’est la hausse du prix des engrais, en l'occurrence le NPK importé, fertilisant composé d’azote, phosphore et potassium. 

"Cette année, le NPK est encore plus cher que l’an dernier, avec un supplément de 50 DH par quintal (415 DH/quintal). Nous sommes pourtant obligés de l’acheter, car il est essentiel au bon rendement des cultures", s’agace-t-il. 

Même son de cloche du côté de Said Naji, croisé sur une moto chargée de deux sacs (50 kg) d’engrais NPK. "Je viens de m’approvisionner à hauteur de 390 DH le sac de 50 kg, alors que c’est une marque de mauvaise qualité. Il y a quelques années, le même produit ne dépassait pas les 225 DH", précise-t-il. 

De son côté, Mohammed Rbaiti explique qu'en dépit de l'accalmie des cours des engrais azotés sur les marchés internationaux, les agriculteurs marocains payent très cher un intrant agricole indispensable. Du moins, quand ils le trouvent.

"L’ammonitrate 33,5%, essentiel dans la bonne tenue et le rendement des cultures, est passé de 300 à 800 DH le quintal en 2022. Cette année, son prix commence à légèrement baisser mais, à 600 DH, il reste inabordable pour beaucoup d’agriculteurs", souligne Khalid. 

Ajoutez-y l'urée 46%, qui est passée depuis la crise sanitaire de "400 à 1.300 DH le quintal, surtout en cette période de semis où la demande est importante", déplore El Houssine Jaaâfari. Comme les pièces d’un puzzle, il faut que l’ensemble des intrants agricoles soient réunis pour la bonne tenue d’une culture, avec l’espoir d’un rendement de qualité. Les produits phytosanitaires en font également partie. 

Des produits phytosanitaires inabordables 

Tels des pantins désarticulés, les cactus en lisière des parcelles agricoles se sont quasiment effondrés sur eux-mêmes, comme dévitalisés par la cochenille. D’aucun argueront que ces cactus font au moins office d’épouvantail, "mais il fut un temps où nous les soignions. Ce n’est plus possible de nos jours", regrette Mohammed Rbaiti.

"Les produits phytosanitaires coûtent tellement cher que l'on réussit à peine à s’en procurer pour nos cultures", précise-t-il. "J’avais pour habitude d’acheter 25 kilos de produits phytosanitaires à 900 DH. En 2022, ils coûtaient presque le double", s’insurge Khalid. "En plus d’être exorbitants, ces tarifs varient de région en région ou de ville en ville", déplore Mohammed Rbaiti. 

"Il serait temps d’inscrire les prix sur les étiquettes une bonne fois pour toutes, car nous sommes obligés d’acheter ces produits quel qu'en soit le prix, au risque de perdre nos cultures", ajoute-t-il. Il en est de même pour le poly, plus connu sous le sigle PVC. 

Si certains agriculteurs possèdent un puits dans leur parcelle, tout le monde n’a pas cette chance. La majorité des exploitants de la région louent des puits éloignés de deux, trois, voire quatre kilomètres de leurs terres. Une distance comblée grâce à des milliers de mètres de tubes PVC qui déversent l'eau acheminée dans des bassins de 1.800 m3.  

"Ces deux dernières années, le mètre de PVC est passé de 23 DH à 45 ou 50 DH. Il est indispensable, car il me permet d’acheminer l’eau depuis le puits que je loue et qui se trouve à 2 km de la terre que je cultive", souligne Farid Rachid, en rappelant que le PVC n’est qu’une infime partie du coût de l’irrigation. 

"Depuis 2021, la location d’un puits atteint 80.000 à 90.000 DH, et la terre se loue en moyenne à 10.000 DH par hectare", indique Khalid, qui impute la hausse du prix de location des puits à la difficulté d’obtenir des autorisations de forage. 

Tarissement des ressources de la nappe de Berrechid 

A l’origine de la nouvelle réglementation, la surexploitation des eaux souterraines de la nappe phréatique de Berrechid, qui pourraient se tarir dans quelques décennies. En effet, l’Agence du bassin hydraulique du Bouregreg et de la Chaouia (ABHBC) a récemment mesuré son niveau piézométrique entre 100 m et 120 m par rapport au sol. 

"C’est la nappe la plus stratégique", assurait à Médias24 dans un précédent article, Mohammed Boutayeb, chef de division de la gestion durable des ressources en eau à l’ABHBC, dont dépend la nappe phréatique de Berrechid.

"Les études techniques et les modèles mathématiques réalisés pour évaluer la tendance d’évolution de la nappe montrent qu’elle est très exploitée. Dans dix ans, on risque d’en perdre une grande partie", précise-t-il.

Pour atténuer cette problématique, "nous avons défini avec les usagers de l’eau, regroupés en associations, un quota de prélèvement de l’ordre de 5.000 m³/ha, variable selon l’évolution de la nappe. Des pénalités sont prévues en cas de dépassement", explique M. Boutayeb. 

De fait, les autorisations de forage sont devenues plus ardues à obtenir. "J’ai cultivé six hectares de pommes de terre. Afin de les irriguer, j’ai un puits, mais dont une partie s’est récemment effondrée. Pour sauver ce qui peut encore l’être, il me faut une autorisation, mais la procédure est tellement longue qu’elle en devient dissuasive", estime Mohammed Rbaiti. 

Comme beaucoup d’autres cultivateurs, "je loue un puits à 50.000 DH et j’achemine l’eau jusqu’à ma parcelle pour environ 50.000 DH. Ce qui fait que l’irrigation me coûte 100.000 DH", fulmine El Houssine Jaâfari, près de son champ d'oignons dont la croissance a pris du retard à cause du gel et de la baisse des températures. 

Moins de superficies cultivées 

D’une même voix, les agriculteurs de Ouled Zidane rencontrés se disent acculés par la hausse des prix des intrants agricoles. Naturellement, ils en répercutent une partie sur le prix de vente. "Produire une tonne de pommes de terre me coûtait il y a quelques années 20.000 DH. Donc on vendait le kilo entre 1,50 et 2,50 DH. En 2022, la production d’une tonne de pommes de terre coûtait 35.000 DH, soit quasiment le double”, témoigne Rachid Guennouni,  producteur de pommes de terre de père en fils. 

En conséquence, nombreux sont les exploitants à avoir réduit la superficie cultivée en 2022, mais aussi en 2023. Ils estiment que c'est l’unique solution pour s’aligner sur la hausse des prix des intrants agricoles. "Je m’attends à ce que les prix augmentent encore plus, car beaucoup d’agriculteurs ont décidé de réduire la superficie qu’ils cultivent ou tout simplement de changer de métier à cause des dettes qu’ils ont accumulées et de la sécheresse chronique", prévient Abderrahmane Arourou. 

"Si je pouvais changer de métier, je le ferais", dit Mohammed Rbaiti. "Mais nous ne savons faire que cela, même si nous n’avons plus les moyens pour subvenir aux besoins de nos cultures."

Mais cette volonté a également un prix. Au-delà de l'augmentation du prix de vente de leurs récoltes, les agriculteurs de Ouled Zidane disent ne plus pouvoir se rendre au marché de gros de fruits et légumes de Casablanca, à cause des tarifs du transport. 

Certains vendent leurs récoltes à des intermédiaires. De ce fait, la note est encore plus salée pour le consommateur final. Tandis que d’autres conservent leurs récoltes dans la dizaine d’unités de réfrigération que compte la région de Berrechid, afin de les vendre à un prix élevé lorsque la demande devient plus importante.

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