Dossier Cet article est issu du dossier «Agriculture : Souveraineté et durabilité deux enjeux conciliables ?» Voir le dossier

AGRICULTURE Comment peut-on reconstituer la souveraineté de la filière laitière ? (expert)

Le 30 avril 2023 à 11h59

Modifié 30 avril 2023 à 11h59

SPECIAL SIAM. La souveraineté atteinte dans la filière laitière au Maroc a été perdue en moins de trois années, faute de vigilance et de réactivité. Comment peut-elle être reconstituée ? Avis d’un expert du secteur.

"Il est regrettable que l’on en soit arrivé à cette situation", soupire notre interlocuteur. "Nous étions souverains dans la filière laitière. Pendant plusieurs années, nous parlions d’une satisfaction des besoins nationaux à hauteur de 96%. Nous importions certes du lait, mais sous forme de fromage ou de poudre pour la fabrication d'autres produits laitiers", ajoute-t-il. A présent, le Maroc subventionne l’importation de la poudre de lait écrémé et de beurre, dont les prix ont flambé à l’international, pour pouvoir répondre aux besoins internes.

Les leçons à retenir de la crise actuelle dans la filière laitière

De nombreux facteurs ont conduit à une telle situation ; à leur tête la pandémie de Covid-19, la sécheresse et la guerre en Ukraine, qui ont entraîné une flambée des prix des aliments composés et, par ricochet, la hausse des coûts de production du lait.

En pleine crise, les éleveurs, notamment ceux disposant de petits élevages et d’élevages moyens, n’étaient alors plus en mesure de supporter les charges qui ne cessaient d’augmenter, d’autant plus qu’avec la crise sanitaire, la consommation de lait avait baissé, entraînant la réduction de la collecte de lait auprès des éleveurs.

Résultats : la décapitation du patrimoine animal, d’une part. D’autre part, une grande partie des éleveurs se sont tournés vers le colportage, qui était relativement plus rentable mais dangereux pour la santé des consommateurs.

Notons que 90% des élevages disposent de 5 à 10 vaches et représentent 70% de la production de la filière. Selon une étude réalisée par le ministère de l’Agriculture, la baisse de la production de lait est estimée à 11% l'année dernière. Celle-ci s’élève à 2 milliards de litres en 2022, contre 2,25 milliards de litres en 2021, et 2,5 milliards de litres en 2020. Le quart de la production a été perdu en trois ans.

La baisse du cheptel bovin laitier est, elle, estimée à 5% au niveau national. Certaines régions évaluent cette baisse à 50%. Le cheptel est donc passé de 1,7 million de têtes en 2021 à 1,67 million de têtes à fin 2022, détenus par 260.000 éleveurs, contre 1,8 million de têtes entre 2015 et 2021. Le cheptel bovin laitier a donc évolué de 22% entre 2003 et 2020, avant d’accuser une baisse de 10% entre 2020 et 2022. En deux années, pas moins de 150.000 têtes ont été perdues.

En ce qui concerne le colportage, "la stratégie Génération Green avait pour objectif de réduire le taux d’environ 30% à 10%. Au contraire, ces facteurs de crise cités ci-dessus n’ont fait qu'augmenter ce taux à près de 40%", nous indique notre source. "Ce n’est que dernièrement que le gouvernement a autorisé les industriels à augmenter leur prix à la consommation pour faire en sorte que toute la production de lait passe par des circuits formels. Cette mesure a permis aux industriels de mieux pyer le lait à la production et de réduire légèrement le taux du colportage, qui reste cependant élevé par rapport à l’objectif escompté."

Pour résumer la situation, la filière a été affectée par :

- la chute de la demande à la suite de la baisse du pouvoir d’achat, qui a poussé les industriels à réduire la quantité de lait collectée auprès des éleveurs ;

- la hausse de 40% des prix des aliments composés, qui a entraîné la hausse du coût de production, alors que le prix de vente du litre de lait aux industriels est resté quasi stable ;

- les aliments composés représentant 70% du coût de production de lait. De nombreux éleveurs ont ainsi sacrifié leurs vaches laitières pour l’abattage, car l’activité n’était plus rentable ;

- la baisse de 20% de la production de lait, en raison de la diminution de la productivité des vaches et de leur nombre ;

- la stabilité du prix de vente du litre de lait aux industriels a poussé les éleveurs à se tourner vers l’informel, ce qui a entraîné une baisse de 30% de la collecte de lait ;

- la cherté du lait en poudre à l’international (passant de 25 DH/kg à 50 DH/kg) a poussé les industriels à utiliser une partie du lait frais collecté dans la production des produits dérivés du lait.

Comment reconstituer la souveraineté de la filière laitière ?

"Nous aurions pu remédier plus tôt à la crise actuelle dans la filière", estime notre expert, "d’autant plus que l’alarme a été sonnée il y a déjà deux ou trois ans".

Selon lui, "la reconstitution de la souveraineté dans le secteur passera initialement par la reconstitution du capital animal perdu". De nombreuses mesures ont été prises par l’Etat dans ce sens, notamment l’interdiction de l’abattage des génisses productrices de lait, la subvention de l’importation de 20.000 génisses, ainsi que l’importation de bêtes destinées à l’abattage pour arrêter l’hémorragie des vaches laitières. "Sauf que les prix à l’étranger, en Europe notamment, restent très élevés. On parle à présent de 32.000 à 33.000 DH par tête contre environ 25.000 DH auparavant. La subvention de l’Etat risque d’être consommée par la cherté des prix."

"La principale problématique qui persiste toutefois est relative aux aliments composés, dont les prix ne cessent d’augmenter", ajoute-t-il. "Les agriculteurs commencent à installer le maïs en mars jusqu’en mai ou juin, pour avoir des ressources fourragères qui soient stockées et les aideront à alimenter le bétail. Sauf que cette culture a besoin d’irrigation, chose très difficile dans le contexte de sécheresse actuel."

Par ailleurs, "jusqu’à 93% du maïs entrant dans la composition des aliments composés est importé, ainsi que le soja". Ces matières premières ne pourraient-elles pas être cultivées au Maroc ? "Le maïs peut l’être, mais il doit être irrigué, et les conditions climatiques et hydriques n’encouragent pas sa culture au Maroc. Le niveau de remplissage des barrages reste également faible. A l’exception du nord du pays, la situation des réserves dans le centre et le sud est critique. En ce qui concerne le soja, la production au Maroc reste difficile."

S’agissant de l’infrastructure de production de lait, "il faut la préserver et la consolider. On parle de 2.700 centres de collecte et de commercialisation de lait, dont 1.900 coopératives". Le réseau de production compte pour sa part 82 centres, dont 20 grandes unités qui traitent 95% de la production nationale.

Les professionnels du secteur insistent également sur l’interdiction du colportage, vu le danger que cette pratique représente pour la santé des consommateurs.

Enfin, parmi les mesures temporaires à mettre en place dans le secteur, la subvention des transporteurs de lait, à l’instar d’autres secteurs, notamment le transport routier, pour faire face à la hausse des prix du carburant. Celle-ci est estimée à 135% en 2022, impactant ainsi l’activité de collecte de lait auprès des éleveurs.

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