Dossier Cet article est issu du dossier «Agriculture : Souveraineté et durabilité deux enjeux conciliables ?» Voir le dossier

AGRICULTURE Comprendre les phytosanitaires, les utiliser, s’en protéger (1/2)

(C) Dr. Rachid Bouharroud.

Le 29 avril 2023 à 14h04

Modifié 30 avril 2023 à 10h16

SPECIAL SIAM. Si certains produits phytopharmaceutiques présentent un risque avéré pour la santé humaine et animale comme pour l’environnement, ils assurent un meilleur rendement agricole. Pour le consommateur, c’est la garantie de s’alimenter en toutes circonstances.

"Seule la dose fait le poison", disait Paracelse, le père de la toxicologie au 16e siècle. Un postulat remis en question par les scientifiques qui lui ont succédé, notamment dans le cas des perturbateurs endocriniens. Car, même à très petites doses, une substance chimique peut être nocive si elle est combinée à d’autres molécules auxquelles nous sommes exposés au quotidien... et il y en a à l’infini. On parle alors d’"effet cocktail", dont la recherche scientifique n’a pas encore étudié toutes les imbrications.

Si les phytosanitaires offrent une réelle garantie de rendement aux agriculteurs qui ont pour mission de nourrir une population croissante dont les besoins augmentent constamment, l'apport quotidien d'aliments contaminés par des produits chimiques constitue un risque pour la santé.

Les agriculteurs, premiers exposés

Généralement, ces risques sont acceptés. Mais sans entrer dans les débats scientifiques sur "la dose", il est admis que le risque d’un produit phytopharmaceutique augmente avec le niveau d’exposition. Et les agriculteurs sont aux premières loges. S’y ajoutent évidemment les micro-organismes, l’air, l’eau, et l’environnement plus globalement. Enfin, le consommateur final qui, par ailleurs, exige une disponibilité des produits alimentaires en toutes circonstances.

Se pose alors la question centrale : est-il possible de rester sur un modèle de productivité pour répondre à la demande en produits agricoles sans avoir recours aux produits phytopharmaceutiques ? Au-delà, quel est le degré de nocivité de ces produits ?  Comment le contrôle de la nocivité potentielle des phytopharmaceutiques se fait-il sur le terrain ? Ces questions, entre autres interrogations, seront traitées dans cet article en deux volets.

L’ONSSA doit veiller au grain

A l'évidence, remplacer l'agriculture conventionnelle par celle biologique, qui s’interdit l’usage des produits phytosanitaires, ne permettra pas de répondre, à l’heure qu’il est, aux besoins de tous les consommateurs. A moins d'une révolution sociétale qui imposerait aux producteurs de se convertir à l'agriculture biologique, l'utilisation des phytosanitaires reste la règle. A défaut de s'en passer, limiter leur impact sur l'environnement et la santé humaine reste la seule solution et passe par des impératifs de contrôle à plusieurs niveaux.

"Un produit phytosanitaire est considéré comme nocif si les recommandations sur l’étiquette ne sont pas observées d’une façon générale, et surtout lorsque la dose et le délai avant récolte ne sont pas respectés", nous explique Dr Rachid Bouharroud, chef de service recherche et développement au Centre régional de la recherche agronomique d’Agadir, au sein de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA).

Mais avant même leur utilisation dans les champs de récolte, "les produits phytopharmaceutiques font l’objet d’une évaluation sur la base des données toxicologiques, éco-toxicologiques, analytiques, physicochimiques et biologiques permettant de vérifier leur efficacité et leur innocuité vis-à-vis de la santé humaine, animale et sur l’environnement", affirment nos interlocuteurs au sein de l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA), chargé de ce volet.

Consulter l'index phytosanitaire de l'ONSSA

Ces rapports d’évaluation sont ensuite soumis à l’avis de la Commission nationale des produits phytopharmaceutiques, représentée en plus de l’ONSSA par plusieurs départements ministériels et administrations dont l’Intérieur, l’Administration des douanes et impôts indirects , l’Agriculture, la Santé,...

Pour le respect des doses et de l’usage de ces phytopharmaceutiques, l’ONSSA met en ligne le registre phytosanitaire, un service dédié aux produits autorisés pour application au Maroc. Cet index phytosanitaire permet de faire une recherche par culture, bio-agresseurs, nom commercial, etc. "C’est un outil très utile aux agriculteurs vu l’utilisation courante des smartphones. Il est à jour et donne toutes les informations dont le producteur a besoin comme la dose, le délai avant récolte, la teneur en matière active, le nombre d’applications par cycle, le stade d’application, etc.", indique le Dr Rachid Bouharroud, qui porte également la casquette d’expert en entomologie - la branche de la zoologie qui étudie les insectes - et en lutte intégrée des cultures.

Il ajoute que "même si les pesticides ont des inconvénients, ils ont aussi des avantages", citant notamment "une efficacité garantie dans une période courte, une utilisation simple et des produits peu coûteux, disponibles, qui peuvent sauver des vies quand il s’agit de lutter contre les vecteurs de maladies".

Comment l'ONSSA contrôle 

Comment le contrôle de la nocivité potentielle des phytopharmaceutiques se fait-il sur le terrain ? "Au niveau du marché local, l’ONSSA réalise annuellement des plans de contrôle et de surveillance des résidus de pesticides dans les produits agricoles au niveau des exploitations agricoles, du commerce - marchés de gros et grandes surfaces - et des unités de conditionnement et de stockage. Ces échantillons prélevés au niveau de toutes les régions sont envoyés aux laboratoires de l’ONSSA pour analyse. En cas de non-conformité, l’ONSSA procède à la destruction des récoltes non conformes en collaboration avec les autorités locales", rétorquent les responsables de l'organisme public.

Le contrôle des pesticides se fait également au niveau des postes frontaliers pour les produits agricoles importés. Au cas où des non-conformités par rapport aux normes en vigueur sont constatées, les produits en question sont refoulés vers le pays d’origine aux frais de l’importateur.

Et "quand des produits non conformes sont décelés dans le circuit de distribution, les inspecteurs de l’ONSSA les consignent, établissent les procès-verbaux d’infraction et les transmettent au procureur du Roi", nous assurent nos interlocuteurs auprès de l’ONSSA. Ils précisent par ailleurs que "le contrôle des résidus de pesticides dans les produits alimentaires apparaît au tout premier rang des préoccupations de l’ONSSA en matière de gestion de la sécurité sanitaire des produits alimentaires".

Faible usage à l’échelle du pays: 1,5 kg par hectare 

Se pose alors la question du niveau d’usage de ces produits à l’échelle du pays. "Le Maroc est l’un des pays qui utilise le moins de pesticides au monde avec une quantité de l’ordre de 1,5 kg par hectare", précise l’ONSSA, en réponse aux questions de Médias24 à ce sujet.

Et c’est vrai que cette quantité est faible quand on sait que sur le continent américain - le champion de l’usage des pesticides - , le niveau moyen est de plus de 5 kg par hectare, selon l’Atlas des pesticides 2022. Ce niveau s’explique dans certains pays comme le Costa Rica ou encore le Brésil par les cultures de fruits exotiques destinés à l’export qui sont de plus en plus demandés sur le marché mondial.

 

 

"Les pesticides utilisés dans l’agriculture sont classés selon leurs cibles : insecticides, fongicides, acaricides, herbicides, nematicides, bactericides et virucides. L’application proprement dite de ces produits est dictée par le fournisseur du produit phytosanitaire", liste Rachid Bouharroud.

En fonction des cultures, il existe beaucoup d’insectes et acariens ravageurs au Maroc. "Pour la tomate par exemple, il y a la mouche blanche, mineuse de la tomate (Tuta absoluta), l’acarien tétranyque (Tetranychus urticae), l’acariose bronzée (Aculops lycopersici), la mineuse des feuilles de tomate (Liriomyza trifolii) ainsi que plusieurs espèces de pucerons.

(C) Dr Rachid Bouharroud.

Pour les agrumes, les principaux ravageurs sont : la mouche méditerranéenne des fruits (Ceratitis capitata), les Thrips, les cariens tétranyques (Tetranychus urticae et Eutetranychus orientalis), l’Aceria sheldoni, les cicadelles, les cochenilles, les pucerons, le ver de l’ombilic (Myelois ceratoniae), la teigne du citronnier, la tordeuse de l’œillet, la mineuse des feuilles (Phylocnistis citrella), les criquets et les grillons », nous apprend-il.

(C) Dr Rachid Bouharroud.

Mauvais emploi

Pour contrecarrer les effets néfastes de ces ravageurs sur leurs cultures, certains agriculteurs peuvent parfois faire usage de produits phytosanitaires de manière excessive. Une récente étude au périmètre irrigué du Loukkos fait état d’une utilisation massive des pesticides dans les cultures de pommes de terre.

>> Lire notre article : Étude. Au Loukkos, sur-utilisation des pesticides dans les cultures de pommes de terre

Les auteurs de l’étude alertent sur "une sur-utilisation des pesticides, due au non-respect des bonnes pratiques phytosanitaires, peut conduire à une augmentation des facteurs de risque, tant pour l’environnement que pour la santé humaine. (…) La résistance des ravageurs aux pesticides conduit les producteurs à augmenter davantage le nombre de traitements et de doses appliqués. Ces pratiques sont alarmantes, du fait de la dégradation et de l’accumulation des pesticides dans le milieu naturel. À long terme, cela peut entraîner des risques sanitaires et écologiques importants".

D’où la nécessité, au-delà des systèmes de contrôle et de suivi, d’un travail de sensibilisation et de formation continus à l’usage des produits phytopharmaceutiques pour toutes les personnes impliquées dans ce processus.  Car, à l’évidence, l’agriculteur ne peut assumer toute la responsabilité de la bonne utilisation ou non des phytosanitaires.

Les promesses technologiques

"Sans une formation théorique et pratique, les objectifs de réduction des pesticides ne pourront pas être atteints. Si le technicien, l’ingénieur et l’agriculteur ne sont pas bien formés, ce but sera voué à l’échec. Aujourd’hui, en plus des deux grandes écoles d’agriculture, l’IAV Hassan II et l'ENA de Meknès, d’autres universités privées comme l’UM6P sont en train de former des cadres agronomes pour accompagner la nouvelle stratégie agricole. Une veille technologique s’avère également nécessaire pour une optimisation du temps et de l’énergie. Les chercheurs, et dans certains cas aussi les agriculteurs, se rendent aux foires et aux manifestations internationales pour combler le besoin en information, notamment en Espagne, en Australie, aux USA, etc."

La technologie devrait à l’avenir permettre d'optimiser l'usage des phytosanitaires. L’utilisation de drones pour l’imagerie et pour l’application de pesticides sans erreur en est un exemple. On peut aussi recourir à "un tracteur robot sans conducteur pour lequel on programme des coordonnées GPS de la parcelle après avoir chargé la citerne par le pesticide. Ce tracteur robot fait ensuite la tournée dans le champ en prenant des photos de son parcours, et dès qu’il détecte une maladie ou un ravageur, il déclenche le pulvérisateur", explique le Dr Rachid Bouharroud.

L’utilisation de la modélisation est aussi un outil d’aide à la décision. Il s’agit de logiciels basés sur des modèles ou des simulations qui rassemblent plusieurs données (climat, ravageur, stade culture, prévisions météo...) dans l’objectif de donner un diagnostic clair au producteur agricole pour assurer un meilleur usage de ces phytosanitaires.

Phytosanitaires. Quelles alternatives à leur usage? (2/2)

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