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AGRICULTURE Le pompage solaire peine à séduire les agriculteurs

Photo credit Ayush Manik

Le 30 avril 2023 à 11h31

Modifié 30 avril 2023 à 11h31

SPECIAL SIAM. Plus d’une décennie après son lancement au Maroc, le photovoltaïque destiné à l'agriculture se cherche toujours une place au soleil. Principaux freins : la quasi-absence de mécanismes financiers dédiés, notamment pour les petits agriculteurs, et un marché peu structuré. Le point avec Khalil Ababou, vice-président de l’Association marocaine de l'industrie solaire et éolienne.

Le développement du pompage solaire figure parmi les mesures dédiées à l’agriculture dans la Stratégie nationale de l’efficacité énergétique 2030. L’installation à terme de 20.000 pompes solaires aura un impact sur l’économie d’énergie liée à la réduction de la consommation de carburant du pompage classique de 260 ktep (kilotonne équivalent pétrole, une unité de mesure correspondant à la valeur de la production énergétique) à l’horizon 2030. Cela permettra aussi d’asseoir les impératifs de la durabilité dans l’agriculture qui, elle aussi, est amenée à faire des efforts dans ce sens à travers l’usage des énergies renouvelables.

Si le recours au photovoltaïque est un objectif parmi d’autres quand on parle de durabilité, c’est parce que la méthode conventionnelle de pompage est "très énergivore. Sa substitution par l’énergie solaire permet de mieux développer l’agriculture. Mais il faut faire attention. Il y a eu des débats récemment, en période de sécheresse comme l’année dernière, sur le fait de pouvoir pomper quasi gratuitement grâce au solaire. En tout cas, aujourd’hui l’usage des énergies renouvelables est présent à travers le pompage solaire dans l’agriculture", explique Fatima Zahra El Khalifa, directrice générale du Cluster Énergie.

Rappelons que le système de pompage solaire photovoltaïque utilise la conversion de l'énergie solaire en électricité pour alimenter une pompe dans un forage ou un puits.

Genèse du photovoltaïque dans l’agriculture

"L’irrigation marocaine fait usage du solaire comme source d’énergie, essentiellement depuis 2012", précise le vice-président de l’Association marocaine de l'industrie solaire et éolienne (Amisole). "Avant, le solaire était utilisé pour l’alimentation en eau potable au Maroc, surtout dans les petits villages, autour de projets lancés par l’État. Le progrès technologique s’est accéléré en 2015 suite à un vrai changement au niveau des variateurs solaires (un variateur de vitesse gère le fonctionnement de la pompe en fonction de la pression, du débit, de l’intensité et de la tension, ndlr), à des prix accessibles. S’y ajoute la baisse constatée à cette époque des prix des panneaux solaires", nous décrit Khalil Ababou.

A cette époque, toutes les conditions étaient favorables à l’émergence de ces installations dans le domaine de l’irrigation. En outre, "il faut savoir que, sur cette période allant de 2012 à 2014, le gasoil algérien n’entrait plus au Maroc, dans la région de l’Oriental. Il y a donc eu, autour des villes de Berkane, Oujda, Guercif, une véritable demande sur les pompes solaires", indique le vice-président de l'Amisole, également fondateur et CEO de Myfak, une entreprise spécialisée dans l’énergie et le pompage solaire.

Petit marché, gros potentiel

L'essor des pompes solaires dans la région de l’Oriental a engendré un effet de contagion. Les autres régions ont naturellement suivi la tendance. Notre interlocuteur précise que la demande a manifesté un intérêt grandissant pour ce dispositif, parce qu'il y avait, dès le début, une offre adaptée. Et ce, "même si le marché est toujours porté par des initiatives privées. Il faut savoir que bien que le Plan Maroc vert prévoyait des subventions pour les équipements agricoles, le solaire n’y était pas inclus. Seuls les éléments de pompage l'étaient. Donc, il n’y a pas eu d’intervention externe, du type subventions, aides, incitations, etc. Ce sont des initiatives privées qui ont animé ce jeu de l’offre et de la demande. Cela n’empêche pas le Maroc d'être positionné aujourd’hui comme l’un des pays les plus émergents en matière de pompage solaire", se félicite le vice-président de l’Amisole. Car le Royaume a développé une expertise dans ce domaine grâce à une expérience cumulée depuis plus de dix ans.

Quelle est la part du photovoltaïque dans l’énergie utilisée pour l’agriculture ? Il n’existe pas de chiffres précis ou récents. "En termes de réalisations pour les installations de pompes photovoltaïques, il serait intéressant de lancer une étude aujourd’hui", estime la directrice générale du Cluster Énergie.

En attendant, l’on sait qu’il y a "9 millions d’hectares de surfaces utiles pour l’agriculture. Moins de 20% d’entre elles sont irriguées. Les autres sont des terres pluviales. Donc, cela fait près de 1,8 million d'hectare qui est irrigué, entre le grand hydraulique, l’hydraulique et l’irrigation privée. En ce qui nous concerne, nous travaillons essentiellement dans l’irrigation privée qui représente 30% de ces 20% de surface irriguée. Il y a donc un potentiel énorme. Parce que, pour le moment ,nous n’agissons que sur 6% de l’existant", nous apprend un autre interlocuteur, ingénieur d’État en électronique industrielle de l’École Hassania des Travaux publics. Autant dire que le marché tel qu’il est aujourd’hui est bien en deçà des attentes des acteurs de cette filière.

Selon une étude de structuration et d’accompagnement du développement du pompage solaire, réalisée en 2019 par Africa Climate Solutions et l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (Amee), environ 30.000 exploitations agricoles au Maroc sont équipées en panneaux photovoltaïques (PPV).

Les plus grands sont les mieux servis

Si le marché du pompage solaire ne s’adresse aujourd’hui qu’à 6% des terres agricoles, il ne s’agit dans la majorité des cas que de grandes exploitations avec des surfaces de 5 à 10 ha. En dessous de 5 ha, le coût reste un frein à l’utilisation de cette technologie, en l’absence d’incitations étatiques ou de solutions de financement dédiées. "Les agriculteurs raisonnent souvent en termes de L’Ghala (récolte). Ils vous disent : ‘On vous donne le tiers maintenant (pour la pompe solaire), et le reste au moment de la récolte’. Le financement représente un handicap majeur pour développer le marché du pompage solaire dans l’agriculture. Il est impossible de travailler avec les agriculteurs sans facilités de financement", nous explique Khalil Ababou qui, de par ses activités, est en contact direct et permanent avec les agriculteurs, petits et grands. Une situation qui nécessite de mettre en place des mécanismes financiers adaptés.

Les résultats de l’étude de 2019 relative au pompage solaire ont montré que sur un échantillon de 500 agriculteurs (dont 277 utilisent le PPV pour l’irrigation, et 223 utilisent d’autres sources conventionnelles d’énergies), 76% des installations étudiées ont été financées en fonds propres. Seules 4% des installations ont été financées par un crédit bancaire, majoritairement par Tamwil El Fellah.

Des mécanismes financiers quasi absents

Il existe donc un réel potentiel de développement pour le photovoltaïque dans l’agriculture, mais les conditions ne sont pas toutes réunies pour le concrétiser. Pour Fatima Zahra El Khalifa, "ce qui est difficile, c’est la taille du marché. Parce qu’il y a beaucoup de petits agriculteurs, avec des petites parcelles dispersées un peu partout. Donc c’est plus facile pour les grands agriculteurs de s’équiper de ces solutions. Ce sont des solutions qui restent coûteuses pour les petits agriculteurs. Il est important de mettre en place des outils de financement dédiés à l’agriculture pour les petits agriculteurs, avec des garanties".

Africa Climate Solution, dans le cadre de son étude, abonde dans ce sens. "Un modèle d’accès à la technologie PPV, qui se base sur des produits financiers innovants ainsi qu’un accompagnement aux petits agriculteurs, est nécessaire pour équilibrer le marché."

La difficulté de financer une installation de pompage solaire reste donc un frein. Et ce, même si les prix des panneaux solaires, qui entrent dans le dispositif global de la pompe, ont nettement baissé depuis leur lancement il y dix ans au Maroc. Un recul des tarifs qui, selon le vice-président de l’Amisole, correspond à 60% des coûts de cette technologie.

Ce qui est positif, c’est que les prix baissent au fur et à mesure que la technologie évolue. "Après la crise du Covid, il y a une transformation de la technologie pour les panneaux solaires. On ne travaille plus avec des petits panneaux de 250 ou 260 W. On est passé à des puissances doublées ou presque, de l’ordre de 450, 500 et 550 W pour des surfaces de PPV qui, elles, sont passées de 1,6 à 2,2 m2. De leur côté, les rendements des panneaux solaires ont augmenté de 16% à 20%", indique le fondateur de Myfak.

Prix : du simple au double selon la région et le type de plantation

De quoi dépend le prix d’une installation de pompage solaire ? D’abord, de la profondeur de la nappe. Dans la région d’Agadir par exemple, la nappe est située à quelque 160 mètres en comparaison avec Marrakech (120 mètres), Béni Mellal (100 mètres) ou encore le Gharb (70 mètres). L’énergie pour pomper l’eau augmente avec la profondeur de la nappe, ce qui revient plus cher en termes d’investissement. "On est, globalement, à 2 kW/ha, avec un prix de 10.000 à 12.000 DH/kW », précise Khalil Ababou.

L’autre paramètre qui agit sur les prix des installations de pompes solaires est le type de plantation. "L’hectare dans la région du Souss va nécessiter plus d’investissement, presque le double que dans le Gharb. Il n’y pas de ratio. Il faut faire des études bien structurées et des propositions de prix adaptées aux différentes régions, et surtout aux types de plantations", explique notre interlocuteur, acteur de ce marché depuis plus de vingt ans. Car là aussi, l’olivier n’est pas la pastèque. Un hectare d’olivier consomme moins d’eau. Donc la culture de la pastèque nécessitera une pompe solaire plus puissante. Les études hydrauliques et solaires vont ainsi de pair.

La source d’énergie la moins chère

Au-delà de l’efficacité énergétique, le retour sur investissement d’une pompe solaire est très important. Au lancement de ce marché, la solution était rentable au bout de trois ans, par rapport au gasoil. Aujourd’hui, elle l’est en deux ans seulement. "Et par rapport à l’électricité, la rentabilité est garantie sur cinq à six ans. Maintenant, il y a la concurrence du gaz butane. Il y a un certain nombre de fermes qui l'utilisent toujours dans les zones, par exemple, d’El Kelâa des Sraghna, Chichaoua, Meknès, le Saïss, Béni Mellal, etc. Le photovoltaïque reste un choix de l’agriculteur qui, parfois, est incité à sauter le pas en raison de problèmes liés à la gestion d’exploitation, comme la lourdeur logistique. Car s'il a besoin d’acheminer tout un camion de bonbonnes de gaz jusqu'à sa ferme, il préférera investir dans le photovoltaïque dès lors qu’il a un certain niveau de surface à exploiter", indique Khalil Ababou.

D’après l’étude d’Africa Climate Solutions relative au pompage solaire, le résultat du prix moyen du mètre cube montre que le gasoil est la source d’énergie la plus chère avec 1,67 DH/m3 suivi par l’électricité en basse tension (0,98 DH/m3) puis le butane (0,76 DH/m3) et l’électricité en moyenne tension (0,78 DH/m3). Le panneau photovoltaïque reste alors la source d’énergie la moins chère avec 0,44 DH/m3.

Le solaire, vecteur de compétitivité

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le recours à une énergie renouvelable telle que le solaire est également un vecteur de compétitivité. Et ce, au-delà des considérations en lien avec les émissions de CO2 - la Stratégie nationale de l’efficacité énergétique vise la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 42% d’ici 2030. Le vice-président de l’Amisole signale à ce titre que "le coût de l’énergie dans le coût de revient d’une récolte est de 75% à 80% dans le cas d’une énergie conventionnelle. Le coût des engrais, à côté, est dérisoire. Donc si on arrive à maîtriser le coût de l’énergie, on va alors baisser le coût de revient des produits agricoles".

Une des causes de la flambée des prix agricoles aujourd’hui est l’augmentation des coûts énergétiques. Donc, si le secteur agricole réussit à généraliser le solaire, les prix des produits de la terre seront plus compétitifs, que ce soit à l’export ou sur le marché local. "En réduisant de 50% la part du coût de l’énergie dans le coût de revient, on peut réduire d’un tiers les prix des produits agricoles", projette Khalil Ababou.

Nécessité de restructurer le marché

Le marché marocain des panneaux solaires, dans le circuit formel, s'approvisionne auprès de la Chine, leader mondial des panneaux photovoltaïques et principal exportateur. Car tous les fabricants européens qui étaient connus sur le marché ont dû cesser leur activité, dans l'incapacité de suivre le rythme des prix imposés par la Chine, avec le même niveau de qualité.

Khalil Ababou alerte en revanche contre les produits d’origine inconnue qui sont commercialisés au Maroc. "Il faut le dire : le métier n’est pas vraiment organisé. Un électricien dans le bâtiment peut du jour au lendemain se lancer dans les équipements agricoles. C’est la réalité. On a essayé de faire face à cela en mettant un label qui s’appelle ‘Taqa Pro’, avec l’Amisole, l’Amee et le Cluster solaire. On fait des formations de trois jours à Marrakech ou dans des instituts, et on évalue le professionnalisme des entreprises. Mais cela n’a pas de caractère obligatoire", déplore le vice-président de l’Amisole

Une raison pour laquelle il est nécessaire, selon lui, de restructurer l’offre d’installation de pompage solaire à travers des labels de qualité et des normes minimales à respecter. Ce qui devrait, à terme, pérenniser ces installations et encourager les agriculteurs qui possèdent des parcelles de moins de 5 ha à envisager le recours au pompage solaire.

Dans leur étude sur le pompage solaire, Africa Climate Solutions et l’Amee abondent dans le même sens : "Une structuration du marché du panneau photovoltaïque, basée sur le développement d’un nouveau modèle d’accès au financement et l’accompagnement technique, permettra aux petits agriculteurs dont l’exploitation est inférieur à 5 ha d’adopter plus vite cette technologie. Et ce, à la même vitesse que les moyennes et grandes exploitations."

Si ce scénario se concrétise, 64% des petits agriculteurs pourront se doter de panneaux photovoltaïques à l’horizon 2030. Ce qui devrait soutenir l’objectif fixé par la Stratégie nationale de l’efficacité énergétique de réduire de 13% la consommation énergétique dans l’agriculture à cette même échéance.

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