Dossier Cet article est issu du dossier «Agriculture : Souveraineté et durabilité deux enjeux conciliables ?» Voir le dossier

AGRICULTURE Le blé face au défi de la souveraineté alimentaire

Le 2 mai 2023 à 16h38

Modifié 2 mai 2023 à 17h42

SPÉCIAL SIAM. Le Maroc mise sur l’augmentation des superficies irriguées, la recherche agronomique et la promotion des bonnes pratiques agricoles pour limiter sa dépendance au blé importé et asseoir sa souveraineté alimentaire. Cette stratégie est toutefois contrariée par les aléas météorologiques et la pénurie d’eau.

Après le sucre, le Maroc est particulièrement dépendant des céréales importées, notamment le blé (tendre et dur). Pour réduire cette dépendance, le Royaume place de grands espoirs dans l’augmentation des superficies irriguées de céréales. Il appuie également la création de variétés résistantes à la sécheresse. 

Les bonnes pratiques agricoles, dont l’utilisation du semis direct, sont également encouragées dans le cadre de la stratégie Génération Green 2020-2030, visant à assurer la souveraineté alimentaire du Royaume. A fortiori s’agissant du blé, utilisé notamment par les minotiers, les boulangers et les biscuitiers.

Néanmoins, depuis trois ans, la bonne marche de ce plan d'action est fragilisée par des conditions météorologiques défavorables et la rareté des ressources hydriques, qui ne sont ni disponibles ni renouvelables à la demande.   

27 millions de quintaux de blé en 2022

En 2022, la production nationale de blé a atteint 27 millions de quintaux sur un total de 34 Mq de céréales, répartie entre :  

  • Blé tendre (18,9 Mq) ;
  • Blé dur (8,1 Mq).

Cette production est issue de quatre régions à vocation agricole : Fès-Meknès, Rabat-Salé-Kénitra, Grand Casablanca-Settat et Tanger-Tétouan-Al Hoceima.

Les 27 millions de quintaux de blé récoltés ont pu couvrir un peu plus des deux tiers de la consommation des Marocains en blé tendre principalement. Pour combler l’écart, le Maroc importe cette denrée. D’après l’Office nationale interprofessionnel des céréales et légumineuses (ONICL), ces importations s'élevaient en 2022 (Mai et Juin) à 35,5 millions de quintaux dont : 

- 35 Mq de blé tendre ;

- 576.000 quintaux de blé dur.

Ce total est certes inférieur à l’année précédente, mais il ne constitue pas pour autant une tendance. Les importations de blé du Royaume dessinent une courbe sinusoïdale depuis 2009. 

Sachant que la campagne céréalière 2022-2023 s’annonce meilleure que la précédente, les importations de blé du Maroc vont certainement connaître un recul. En effet, les prévisions de la campagne agricole 2022-2023 dévoilées par le département de l’Agriculture annoncent une hausse de 62% en termes de production céréalière, par rapport à la campagne précédente. 

La production prévisionnelle des trois céréales principales au titre de la campagne agricole 2022-2023 est estimée à près de 55,1 Mq. Issue d’une superficie semée en céréales principales de 3,6 millions d’hectares, elle se décline comme suit : 

- Blé tendre (29,8 Mq) ; 

- Blé dur (11,8 Mq) ; 

- Orge (13,5 Mq).

Mais cela reste insuffisant pour assurer l’autosuffisance alimentaire en blé. 

Une culture tributaire des précipitations 

Pour y parvenir, l’une des solutions avancées par le département de l’Agriculture est l’augmentation des superficies irriguées de blé. Actuellement, la production de céréales, dont le cycle dure d’octobre-novembre à juin-juillet, est en effet tributaire des précipitations. Le besoin en eau peut aller jusqu’à 500 mm par hectare en moyenne. 

Excepté la campagne 2020-2021, le Maroc se situe dans une séquence climatique de cinq années difficiles marquées par la succession des années sèches (quatre sur les cinq dernières années). La campagne actuelle est d’ailleurs marquée par un déficit pluviométrique important, bien que moins élevé que l'année précédente. 

D’où l'intérêt d’étendre les superficies irriguées en céréales. Concrètement, ces superficies ne sont pas uniquement dépendantes de l'irrigation appliquée d’appoint ou de complément. "Elles sont également soutenues par les précipitations”, nuance un acteur du secteur agricole.

"Le terme superficie irriguée est une distinction entre les zones où il y a possibilité de faire l’irrigation d’appoint, où les ressources en eau sont disponibles, et les zones radicalement bour, où la possibilité d’irrigation de complément est impossible", poursuit-il. 

Les superficies de céréales en irrigué ont une importance stratégique, car elles permettent "d’assurer une production minimale même en cas de sécheresse, et des semences sélectionnées pour la campagne suivante", indique Abdelmoumen Guennouni, ingénieur agronome.

"Les superficies irriguées de céréales sont une bonne initiative qui garantit la disponibilité et la multiplication des semences lors des années arides", corrobore Driss Mghabar. "En particulier afin d'assurer la multiplication des semences des variétés de la catégorie G1 (première génération). Une catégorie pure à 99.9%", complète-t-il. 

Une irrigation en cas de nécessité 

Ainsi, l’irrigation d’appoint n’est effectuée qu’en cas d'extrême nécessité, notamment pour compenser une pluviométrie déficitaire. "Ce ne sont pas des irrigations quotidiennes, mais plutôt épisodiques, de l'ordre de 10 à 25 mm, notamment lors de la levée, pour que la plante émerge du sol en attendant les précipitations", explique Driss Mghabar.

Le responsable des céréales à paille et cultures industrielles à la Direction de contrôle des semences et des plants (DCSP), relevant de la Direction de la protection du patrimoine animal et végétal (DPPAV) de l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA), ajoute que ces irrigations complémentaires sont également utilisées "lors des phases de floraison et de remplissage de l’épi". 

Si l’on en croit Mohammed Sadiki, ministre de l’Agriculture, une augmentation des superficies irriguées de céréales, dont le blé, pourrait permettre au Maroc de récolter jusqu’à 80 Mq, même dans les années où est observé un déficit pluviométrique par rapport à la moyenne.  

Toutefois, cette solution se heurte à la problématique de la disponibilité des ressources en eau, puisque seulement 400.000 hectares de céréales ont été irrigués lors de la campagne actuelle, en raison de la pénurie d’eau principalement.

En plus de l’affaissement du niveau des eaux souterraines, le taux de remplissage des barrages en ce mardi 2 mai est de 32,9%, contre 34,3% à la même période de la campagne précédente. En dehors des régions du Gharb et du Loukkos où l’irrigation se poursuit normalement, les autres grands périmètres ont subi des restrictions, voire l’arrêt de l’irrigation.

En effet, de grands barrages affichent de faibles taux de remplissage, notamment dans les régions du Haouz et du Tadla. Une situation qui ne date pas d’hier. "La quantité d’eau réservée à l’irrigation dans le cadre du modèle marocain de gestion de l’eau est de 5,3 MMm3", indique Mohammed Sadiki. Et de déplorer que ces ressources se réduisent comme peau de chagrin. 

En effet, depuis la campagne agricole 1980-1981, il y a eu un maximum de 4,1 MMm3 dédiés à l’irrigation lors de la saison 2016-2017. "Depuis, ces ressources se sont réduites pour atteindre actuellement 612 millions de m3", déplore le ministre de l’Agriculture.

Or, les céréales sont l’un des produits alimentaires les plus consommateurs d’eau (5e), et le premier produit alimentaire végétal après les aliments d'origine animale, selon l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). 

Des variétés de blé résistantes à la sécheresse 

La recherche agronomique est une piste à privilégier en vue de créer des variétés de blé qui résistent à la sécheresse, et dont le rendement est plus élevé. D'autant que ce levier à porté ses fruits. Grâce à la création variétale, les rendements céréaliers sont passés de 12 à 17 quintaux, résultant sur une appréciation de la production de 25% et une évolution de 64 millions de quintaux (entre 2003 et 2007) à 80 millions de quintaux (entre 2015 et 2019). 

Les dix dernières années, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) a été à l’origine de variétés résistantes à la sécheresse, avec un cycle court. "Au lieu d'être semées en octobre et récoltées en juillet, elles peuvent l'être vers fin novembre, pour une récolte au mois de mai", précise Driss Mghabar.

Sans elles, il n’aurait sans doute pas été possible d’atteindre un rendement de 30 à 40 millions de quintaux lors des années sèches, à l’image de la précédente campagne. Conscient de l’importance de la création variétale, le Maroc multiplie les initiatives pour encourager les agriculteurs et sociétés de commercialisation de semences à utiliser les nouvelles variétés de céréales. 

En ce sens, l’INRA, en collaboration avec le Centre international de recherche agricole dans les zones arides (ICARDA), a mis en place quatre plateformes de démonstration dans le Saïss (Douyet), à Zaër (Marchouch), dans le Tadla (Afourer) et le Haouz (Tassaout). 

"La nouvelle variété de blé dur, Nachit, produit en moyenne 30% de plus qu’une variété moins tolérante à la sécheresse. La variété de blé tendre Malika, quant à elle, présente un rendement grain de 60 q/ha, soit un gain en rendement de 20%", indique le ministère de l’Agriculture dans un communiqué.  

Cela dit, le temps pris par la recherche variétale avant de donner des résultats peut être long. Ce qui ne favorise pas la promotion des variétés locales résistantes à la sécheresse. Pour l’heure, les semences sélectionnées de céréales utilisées à grande échelle sont principalement importées.  

Est-il vraiment judicieux de produire du blé ?

Par ailleurs, le ministère de l’Agriculture promeut la technique du semis direct, comme bonne pratique agricole adaptée aux effets du réchauffement climatique et à la sécheresse. Cette technique consiste à déposer directement les semences dans un sol non travaillé. 

Le programme national de semis direct prévoit quant à lui une superficie de 100.000 ha, avec l’objectif d’atteindre 1 million d’hectares à horizon 2030. Pour ce faire, le ministère a prévu l’acquisition de 73 semoirs au profit des coopératives, le renforcement de la sensibilisation et de l’accompagnement des agriculteurs pour adopter cette technique.

Mais le semis direct ne fait pas de miracle, car il ne peut pas se passer de précipitations ou d’irrigation. L’eau, dont la disponibilité est gérable mais incontrôlable, demeure la carte maîtresse afin d’assurer une souveraineté alimentaire en blé, à l’heure où des chercheurs plaident pour l’importation de cette denrée comme solution à la pénurie d’eau. 

D’après une étude scientifique, la plus importante quantité d’eau virtuelle importée dans la catégorie des céréales est issue de l'orge ; elle représente environ 45% du volume total d'eau virtuelle importée dans la catégorie des céréales (150 millions de tonnes sur la période entre 2000 et 2017). L’orge devance le maïs, le blé, le millet et l'avoine.

Dans le contexte actuel marqué par une baisse des ressources hydriques, il s’agirait, selon les chercheurs, d’importer davantage de blé pour préserver l'eau du pays. Une théorie qui se tient mais qui est à rebours de la souveraineté alimentaire visée.   

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