La Françafrique et l’élite politique française (5/5)

Rarement un mot n’aura suscité autant d’indignation. La Françafrique, un terme inventé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cristallise des décennies de traumatismes vécus par les populations des pays appartenant autrefois à l’empire colonial français.

La Françafrique et l’élite politique française (5/5)

Le 14 février 2024 à 11h04

Modifié le 14 février 2024 à 11h04

Rarement un mot n’aura suscité autant d’indignation. La Françafrique, un terme inventé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cristallise des décennies de traumatismes vécus par les populations des pays appartenant autrefois à l’empire colonial français.

Si l’on impute la paternité du terme à l’ancien président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, on en retrouve la trace dans un éditorial publié anonymement dans les colonnes du journal L’Aurore en août 1945. Ce terme sera ensuite largement médiatisé, avec les connotations qu’on lui connaît aujourd’hui, au lendemain de la publication du livre de François-Xavier Verschave, La Françafrique, le plus long scandale de la République (Stock, 1998).

Ce livre, qui regroupe les travaux de l’association Survie, fondée par François-Xavier Verschave lui-même, documente et décrit les mécanismes de domination politique, économique et militaire mis en place par une certaine élite politique et économique française dans le but de préserver ses intérêts, aux dépens de la stabilité et de la sécurité des populations africaines.

Pouvoir et argent

L’homme fort de ce montage bien rodé n’est autre que le puissant Jacques Foccart. L’influence et les réseaux de celui que l’on appelle Monsieur Afrique se sont développés, déployés et transformés depuis l’entame du processus de décolonisation en Afrique dans les années 1960. Les spécialistes des questions géopolitiques estiment d’ailleurs que le système foccartien a perduré longtemps après la disparition de son fondateur, en mars 1997.

Gaulliste invétéré, Jacques Foccart a réussi, au fil des années et des mandats présidentiels, de gauche comme de droite, à assurer une domination économique monopolistique des grands groupes français sur les marchés africains francophones, tout en entretenant une diplomatie parallèle occulte qui court-circuite le Quai d’Orsay. Par le biais de ce système qui échappe à tout contrôle public, les élites africaines autoritaires étaient maintenues au pouvoir et grassement rétribuées, en contrepartie de services rendus à la France.

Serge Michailof, ancien directeur des opérations à l’Agence française de développement (AFD), a déclaré, dans un entretien publié par l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) : "Dans des pays où les contre-pouvoirs n’existaient pas, la corruption était alors systématique. Elle existe en Afrique, mais elle existe dans tous les pays sans mécanismes de contrôle et sans contre-pouvoirs. Cette corruption s’est donc généralisée en Afrique francophone et le paiement de commissions a conduit à un enrichissement considérable des élites politiques africaines au pouvoir."

Ces malversations ont également profité aux partis politiques français qui, pour financer la campagne électorale de leurs candidats, avaient recours aux financements émanant de chefs d’Etat africains.

La même source révèle ainsi : "Dans un contexte où la zone franc assurait une totale convertibilité et la liberté des transferts, les commissions ont aussi facilité les rétrocommissions qui ont commencé à irriguer les partis politiques français, avec les fameux 'porteurs de valises' disposant de facilités pour éviter les contrôles aux aéroports. Ces valises n’avaient rien du mythe, je peux en attester. Un de mes amis banquiers au Gabon m’a expliqué comment, en période électorale française, il remplissait lui-même les valises… Les virements des banques locales vers la Suisse et les grands paradis fiscaux étaient aussi courants."

Devenant de fait les seules pièces immuables dans le jeu politique françafricain, les régimes autoritaires africains ont réussi à asseoir leur influence sur la vie politique française, au fil des mandats présidentiels français successifs.

"Il y a donc eu une inversion des pouvoirs, analyse Serge Michailof. Les vrais patrons sont devenus les chefs d’Etat africains qui finançaient les partis français (à ma connaissance en arrosant tout le monde, du PC au FN). D’où le pouvoir de Bongo et de Houphouët qui, manipulant ainsi les responsables politiques français, définissaient en bonne partie la politique française en Afrique."

Les résidus de la Françafrique

Cependant, ce que l’on croit appartenir à une époque révolue continue de retentir en 2024. En effet, la scène politique sénégalaise bouillonne. Les voix s’élèvent pour dénoncer une immixtion française dans la politique interne du pays.

En cause, un décret du mardi 16 janvier 2024 publié au Journal officiel et signé notamment par le Premier ministre français, Gabriel Attal, actant la destitution de la nationalité française de Karim Wade, fils de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade, condition préalable à sa course à l’élection présidentielle sénégalaise prévue cette année.

L’un de ces principaux opposants, Thierno Alassane Sall, s’insurge dans un communiqué publié le lendemain de l’annonce de la déchéance de nationalité : "La Françafrique doit mourir. Il est étonnant qu’une candidature repêchée par le dialogue national, une forfaiture à laquelle nous avions refusé de participer, soit secourue in extremis par la France."

Sollicitée par Médias24, la députée franco-ivoirienne de la circonscription du Val-de-Marne sous la bannière des Insoumis, Rachel Keke, estime que "le problème entre la France et l’Afrique subsaharienne est d’abord celui de la politique occidentale. En matière de politique, de plus en plus de dirigeants africains réclament un changement des rapports, disant qu’il faut faire du 50-50 pour ne pas que les jeunes africains prennent la mer pour rejoindre l’Europe. Rappelez-vous du drame de Lampedusa ; le président français avait dit : 'on ne peut pas accueillir toute la misère du monde'. Si c’est le cas, il faut laisser ces peuples se donner les moyens de se développer. C’est la politique française en Afrique qui fait que la France devient de plus en plus impopulaire en Afrique subsaharienne."

Parmi les ingérences que la députée dénonce, l’hégémonie de la France dans le système monétaire en Afrique francophone. "Il faut laisser chaque pays produire librement sa monnaie. La reconnaissance de la souveraineté monétaire est une forme de respect. Il faut que la France cesse son ingérence dans les systèmes monétaires africains", revendique Rachel Keke.

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