Coups d’État au Sahel, la fin de l’emprise française (1/5)

En perte de vitesse depuis trois ans, le Quai d’Orsay voit son influence réduite dans de nombreux pays et territoires en Afrique subsaharienne. Considérés jusque-là comme des alliés indéfectibles de la France, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Guinée, le Tchad et le Gabon ont tous connu, à partir d'août 2020, des coups d’État successifs.

Les premiers ministres de l'Alliance des Etats du Sahel réunis au Niger, le 31 décembre 2023

Coups d’État au Sahel, la fin de l’emprise française (1/5)

Le 9 janvier 2024 à 14h06

Modifié le 14 février 2024 à 11h09

En perte de vitesse depuis trois ans, le Quai d’Orsay voit son influence réduite dans de nombreux pays et territoires en Afrique subsaharienne. Considérés jusque-là comme des alliés indéfectibles de la France, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Guinée, le Tchad et le Gabon ont tous connu, à partir d'août 2020, des coups d’État successifs.

Cet effet domino, qui n’est pas sans rappeler le scénario du printemps arabe, laisse croire qu’une redistribution des cartes au niveau régional est en cours, entravant le fonctionnement d’un mécanisme bien huilé depuis la décolonisation française, et que l’on connaît sous l’appellation Françafrique.

Mais dans les faits, les putschs qui ont eu lieu ne sont pas tous hostiles aux agendas politique et stratégique français. "Le système de la Françafrique est en crise. Il s’agit, si l’on souhaite le définir, d’un système de domination mis en place par la France avec la complicité des élites africaines dans le sillage de la décolonisation. Cette crise s’exprime de différentes manières. Au Sahel, elle prend la forme de coups d’État militaires car ce sont des contextes très militarisés − par l’Occident notamment. Dans d’autres contextes, cela prend la forme de coups d’État dits restaurateurs ; c’est le cas notamment au Gabon. Il s’agit en effet d’un coup d’État qui ne change pas l’ordre françafricain ; c’est uniquement un réaménagement à l’intérieur de l’ordre françafricain", analyse N’Dongo Samba Sylla, économiste sénégalais et co-auteur, avec Fanny Pigeaud, du livre L’arme invisible de la Françafrique : une histoire du franc CFA, paru en 2018 aux éditions La Découverte.

En quête de souveraineté

Au Mali, le coup d’État qui a permis de renverser le président Ibrahim Boubacar Keïta le 18 mai 2021 a marqué un tournant dans les relations franco-maliennes. L’auteur du putsch, le colonel Assimi Goïta, deviendra plus tard président de la transition au terme d’un deuxième putsch contre Bah N’Daw fin mai 2021.

Depuis, le président de la transition malienne n’a ménagé aucun effort pour pousser les intérêts corporatistes et la présence militaire française déployée depuis 2013 vers la sortie. En tout, ce sont 5.500 soldats français qui seront rapatriés dès novembre 2022 vers la France, comme annoncé par le président français Emmanuel Macron en ces termes : "Nos interventions doivent être mieux limitées dans le temps, et ce dès le début, nous n’avons pas vocation à rester engagés sans limite de temps dans des opérations extérieures".

Le président français fait allusion à l’opération Barkhane. Lancée en 2015, deux ans après l’opération Serval, en soutien à l’armée malienne, cette opération militaire visait à contrer le jihadisme endémique dans la région sahélienne.

Dans le sillage de ce retrait soudain, les forces spéciales de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) ont également été sommées par le gouvernement de transition du Mali de quitter immédiatement le territoire malien. Décision votée à l’unanimité et approuvée par le Conseil de sécurité le 30 juin 2023 : le retrait effectif des forces spéciales sera acté fin décembre de la même année.

Pays limitrophe du Mali, la Guinée (Conakry) a également connu un putsch militaire le 5 septembre 2021. Le commandant des forces spéciales guinéennes, Mamadi Doumbouya, a emboîté le pas à Assimi Goïta en renversant le président Alpha Condé après une tentative de modification constitutionnelle qui lui aurait permis de briguer un troisième mandat présidentiel.

Autre pays frontalier du Mali, le Burkina Faso a lui aussi connu un renversement du pouvoir. Deux putschs, le premier mené en janvier 2022 par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a permis de renverser le président Roch Marc Christian Kaboré, puis un deuxième qui a eu lieu huit mois plus tard, dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré qui prend officiellement la présidence par intérim jusqu’à la tenue des élections annoncées pour juillet 2024.

Un autre pays sahélien partageant ses frontières avec le Mali et le Burkina, le Niger a été, à son tour, la cible d’un putsch militaire mené par le général Abdourahmane Tiani contre le président Mohamed Bazoum.

Le 26 juillet 2023, le général Tiani annonce la déchéance de Mohamed Bazoum, pris en otage aux mains des putschistes, en promettant une période de transition de trois ans au terme de laquelle le pouvoir sera restitué aux civils.

Naissance du G3 du Sahel

C’est dans un contexte militarisé que trois des pays, à savoir le Burkina, le Mali et le Niger, ont signé, le 16 septembre 2023, la charte du Liptako-Gourma instituant l’Alliance des Etats du Sahel. Cette charte est une alliance militaire à vocation défensive qui instaure un devoir d’assistance et de secours mutuels entre les pays signataires. Plusieurs facteurs ont précipité la concrétisation de cette union, notamment la menace d’une intervention militaire de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Niger en réponse au coup d’État. La Guinée, peu concernée par le terrorisme sévissant au Sahel, n’a pas rejoint l’alliance. Mais un futur rapprochement avec cette dernière n’est pas à écarter.

Dès lors, les visites des chefs d’État et des dignitaires des trois pays signataires se succèdent. Fin novembre 2023, les ministres des Affaires étrangères, de l’Économie et du Développement des Etats membres du G3 se sont réunis en conclave pendant une semaine à Bamako pour élaborer le cadre institutionnel et l’architecture de la nouvelle alliance.

Ces rencontres ont été clôturées par une série de recommandations qui entendent souder cette alliance. Les chefs de la diplomatie des trois pays ont ainsi proposé la création d’une confédération qui déboucherait sur la fondation d’une fédération.

Du point de vue de la coopération économique, les ministres de l’Économie et des Finances des trois pays ont proposé la création d’une banque d’investissement commune et d’une cellule de réflexion stratégique sur les questions économiques et monétaires.

Toutefois, en toile de fond de cette union figure la question sécuritaire. En effet, la région sahélienne est la cible depuis une dizaine d’années d’attaques répétées de groupes djihadistes contre la population civile, notamment dans la région du Nord du Mali, où le territoire politiquement et militairement instable est le théâtre d’une lutte de pouvoir entre l’armée régulière, les groupes djihadistes et les rebelles indépendantistes touaregs.

Sur le terrain, là où l’opération Barkhane a échoué, l’armée malienne crie victoire. L’une des dernières en date concerne la reprise de Kidal, jusque-là administrée par une coalition qui comptait parmi ses membres des rebelles pro-Azawad, ou plus récemment la reprise de la ville d’Aguelhok, située au Nord-Est du pays, le 13 décembre 2023.

Wagner, nouvel allié militaire au Sahel

C’est justement sur le volet de la lutte anti-terroriste que la rupture entre les armées malienne et française prend sens. En effet, une grande partie de l’opinion publique malienne voyait d’un très mauvais œil le rapprochement dans le nord du pays entre les éléments de l’armée française et les rebelles de l’Azawad dans la guerre déclarée aux groupes djihadistes. Les interventions répétées, en dehors des concertations avec l’armée régulière malienne, ont alimenté une impression de perte de souveraineté, et un profond sentiment anti-français, couronnés par la demande officielle d’Assimi Goïta aux contingents français basés sur le territoire malien de quitter la zone sans préavis.

Selon le fameux adage, la nature a horreur du vide. La vacance de l’armée française de la zone sahélienne a permis à d’autres forces de se déployer militairement dans la région, et plus particulièrement au Mali.

Malgré les démentis des FAMa (Forces armées maliennes), la présence des miliciens de Wagner est attestée dans plusieurs localités où les forces privées disposent de bases, notamment au sud de l’aéroport de Bamako, comme le montrent les images satellites. Des sources diplomatiques citées par le journal français Le Monde estiment qu’il y a actuellement plus de 1.500 mercenaires répartis sur le territoire malien.

D’ailleurs, les éléments armés des Wagner étaient en première ligne lors de l’offensive militaire qui a permis la reprise de la ville de Kidal.

Toutefois, la présence du groupe Wagner fait craindre une montée en puissance des exactions contre les populations civiles. Des craintes étayées par des chiffres publiés dans un récent rapport du département d’Etat américain, publié en juillet 2023, qui indique que "depuis l’arrivée du groupe Wagner au Mali en décembre 2021, le nombre de victimes civiles dans ce pays a bondi de 278 %. Nombre de ces morts civiles sont le résultat d’opérations menées par les forces armées maliennes aux côtés de membres du groupe Wagner".

Au Burkina Faso, plusieurs sources concordantes annoncent que la milice russe est en train de renforcer sensiblement sa présence depuis juillet 2023, suite aux travaux du sommet Russie-Afrique tenu à Saint-Pétersbourg.

Après le décès du fondateur du groupe Wagner, Evguéni Prigojine en juin dernier, le contrôle du groupe est tombé entre les mains du Kremlin. Pour de nombreux spécialistes de la région, le scénario d’un troc de l’influence française contre la tutelle russe est en cours.

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