Le fait que le Maroc brille par la diversité de ses arts décoratifs et son artisanat, dont l’authenticité a pu être préservée par les mâalems à travers le temps, est aujourd’hui non pas une fin en soi, mais le point de départ des designers contemporains. Trois d'entre eux, Jamil Bennani, Bassam Haddad et Jonathan Amar, dévoilent les coulisses de la création pour Médias24.

Chacun de ces 'maîtres' designers revient sur son parcours, miroir de l’évolution de cette discipline dans le pays. À travers le design, ils sont les passeurs d’une tradition artistique marocaine en permanente transformation.

« Nous avons la chance d’avoir une culture artisanale riche de par sa diversité. Elle a permis à nos designers un développement fulgurant », nous explique Jamil Bennani, maître ébéniste, sculpteur et architecte d’intérieur.

Celui qui a créé son entreprise dès 1994 estime qu’une nouvelle proposition est née, qui a permis au Maroc de s’exporter à l’international et d’affirmer ainsi son footprint dans le monde du design. « Nombre de grands créateurs étrangers sont venus puiser dans notre art, c’est dire que nous possédons une richesse énorme, et surtout une grande diversité », ajoute le designer. Une richesse qui gagnerait à être mise au goût du jour.

Le fait main de nos artisans est une des valeurs ajoutées les plus importantes 

Ses collections portent les noms évocateurs et poétiques de 'Mutisme', 'Le cri', 'Le baiser', 'Fusion' ou encore 'Trans(e)parence'. Pour Jamil Bennani, toutes ces créations racontent les phases et les émotions d’une vie, la quête de sens et de soi et, enfin, l’unité retrouvée, seul ou avec l’autre. Ses œuvres sont une ode aux sentiments que « je sculpte et auxquels je redonne vie, à travers des collections où certains voient des expressions de visage, de regard, et où d’autres ne voient que l’abstraction ».

Actuellement, Jamil Bennani travaille sur la collection 'Trans(e)parence' qui fait la part belle à l’union sacrée entre l’esprit et la matière. « Bois et plexiglas fusionnent pour donner naissance à des œuvres d’eau et de feu, tout en transparence et solidité. Consécration de l’unicité et du doux équilibre de se retrouver en l’autre et en soi-même, sans se perdre, ni se fourvoyer. »

L’artiste a étudié l’ébénisterie à l’Institut Saint-Luc Tournai. En 1985, son diplôme de maître ébéniste en poche, Jamil Bennani s’inscrit à l’école d’architecture d’intérieur et de design à Paris (ESAM), dont il sort avec le fameux sésame trois ans plus tard.

De bois et d’émotion

« En 1988, nous avons créé une entreprise familiale spécialisée dans les arts décoratifs marocains. Pluridisciplinaire, cette entreprise avait obtenu un marché important, principalement au Moyen-Orient en Irak. Nous étions plus de cent personnes, dont des mâalems et des maîtres artisans qui étaient mes collaborateurs. J’ai eu cette chance de pouvoir compléter ma formation sur le terrain, avec de grands disciples dans le monde de l’artisanat », confie-t-il.

Quelques années plus tard, Jamil Bennani lance son propre atelier, un espace pluridisciplinaire où se mêlent architecture d’intérieur et design. Il forme plusieurs ouvriers devenus maître ébénistes. « Chaque matin, je mettais ma blouse de travail, et l’odeur du bois m’envoûtait pour le reste de la journée », dépeint-il.

Né dans une famille d’artistes, Jamil Bennani a baigné, dès son jeune âge, dans les couleurs et les formes abstraites des œuvres de son père, artiste peintre. N’ayant pas obtenu son baccalauréat, il qualifie son parcours d’atypique. Sa passion et son désir de travailler avec ses mains se sont manifestés très tôt quand, tout petit, il se promenait dans l’usine familiale où les mâalems s’affairaient et où la sciure fusait.

« J’adorais le bois, son odeur, sa texture », se remémore-t-il. « Ces images, ces odeurs ont bercé mon enfance et donné naissance à une vocation. Une idée fixe : 'Quand je serai grand, je caresserai, je sculpterai le bois, je lui redonnerai vie à profusion !' J’ai appris avec le temps que, dans chaque moment, chaque seconde, une émotion est au rendez-vous pour vous inspirer tant de belles choses. »

Un design méditatif

Il révèle que sa plus grande source d’inspiration est la nature. Son œuvre est en constante conversation avec le land art, en utilisant des matériaux comme le bois (voir photos). Les formes organiques de ses créations le confirment. Dans les œuvres de Jamil Bennani, on peut déceler une influence du travail de l’artiste britannique, Andy Coldsworthy, qui fait la part belle à la nature et au passage du temps. « La nature m’apporte la paix intérieure et me permet de m’évader vers un imaginaire des plus foisonnants », confie-t-il.

En 2019, le Maroc est représenté pour la première fois au Salon Révélations au Grand Palais à Paris, où Jamil Bennani a été sélectionné par le comité d’orientation artistique de la biennale. « Ce furent des moments riches en échanges avec d’autres artistes venus des quatre coins de la planète. Nous avions obtenu les félicitations du jury », se souvient le designer, en évoquant sa participation remarquée par le jury, lors de ce rendez-vous incontournable des métiers d’art et de la création contemporaine.

En dépit de sa notoriété internationale, Jamil Bennani défend la fabrication locale. Il estime que le marché du design marocain est nouveau, et que tout reste à faire. « Nous avons d’énormes potentialités. Le fait main de nos artisans est une des valeurs ajoutées les plus importantes. Cette valeur a toujours été prisée à l’étranger. Le design lié à la production industrielle est un fait établi dans les pays industrialisés. Chez nous, nous devons promouvoir la force créative de toutes ces mains douées qui, à grande échelle, peuvent développer leurs propres modèles économiques. »