Qu’est-ce que la modernité si ce n’est la liberté de pensée créative ? Pour s’inscrire dans cet élan de modernité - dont nombre de pays ont pris la mesure il y a longtemps déjà -, les designers au Maroc font preuve, depuis au moins trois décennies, d’une singulière liberté créative. Le design étant un champ de travail et de création constamment questionné et réinventé.

Le fait que le Maroc brille par la diversité de ses arts décoratifs et son artisanat, dont l’authenticité a pu être préservée par les mâalems à travers le temps, est aujourd’hui non pas une fin en soi, mais le point de départ des designers contemporains. Trois d'entre eux, Jamil Bennani, Bassam Haddad et Jonathan Amar, dévoilent les coulisses de la création pour Médias24.

Chacun de ces 'maîtres' designers revient sur son parcours, miroir de l’évolution de cette discipline dans le pays. À travers le design, ils sont les passeurs d’une tradition artistique marocaine en permanente transformation.

Le patrimoine mis au goût du jour

« Dans l’artisanat ou dans tout ce qui est traditionnel, il ne faut pas que cela donne l’impression que c’est du déjà-vu, dépassé, voire ringard. Il faut que ce soit évolutif, moderne, et en même temps ancré dans le présent », souligne Bassam Haddad, qui a commencé sa carrière professionnelle en tant qu’architecte avant d’embrasser le domaine du design au Maroc.

Cette sculpture monumentale réalisée par Bassam Haddad est une commande du lycée Descartes pour commémorer son 50e anniversaire.

Pour ce créateur libanais qui vit depuis plus de trente ans à Rabat, le design peut prêter à confusion dans la mesure où l'on a généralement tendance à l’associer à une modernité absolue. « Le but du design est de répondre à une demande par une création. Cette demande peut ne pas être moderne, dans le sens où les gens l’entendent, c’est à dire épurée ; un peu comme ce qu’on voit dans les magazines, et surtout dans les magasins qui commercialisent les meubles de bureau », clarifie Bassam Haddad.

Le designer accorde un intérêt particulier à la connaissance des métiers d’art, notamment traditionnels, mais sans rester figé dedans 

Ce Libanais, qui a épousé la culture marocaine, est designer depuis trente ans. « Dans les années 1990 à Rabat, il n’y avait pas beaucoup de gens qui pouvaient prétendre être des designers. Il y avait notamment Jamil Bennani et Jonathan Amar », se remémore cet architecte. Il se découvre une passion pour le design, en 1992, en collaborant à un projet d’hôtel dans le Nord.

« J'y ai consacré dix années de ma vie. J’ai pris en charge ce projet de A à Z. Et c’est ce qui m’a amené à faire le premier grand projet de design. C’est dans l’architecture que j’avais d’abord produit à l’époque. C’est moi qui ai créé toute la ligne de mobilier de cet hôtel. Et c’était dans un style assez personnel. Ça, c’était le revirement vers le métier de designer. » D’autres projets hôteliers ont emboîté le pas à celui-ci ; notamment à Essaouira en 1996, ou encore à Agadir en 2002, et pour lequel il a réalisé tous les luminaires.

Diplômé de l’École d’architecture de Luminy de l’Université Aix-Marseille, Bassam Haddad n’oppose pas architecture et design. Il a même cette formule pour concilier les deux disciplines : « Le design, c’est l’architecture de l’objet. Donc, on n’est pas loin. La formation de designer exige le même état d’esprit que celui d’un architecte. L’avantage du design par rapport à l’architecture est que les créations se font en un temps record. On peut voir le résultat final en très peu de temps. L’architecture, elle, demande beaucoup de temps. »

Bassam Haddad prône le design ethnique à base de fibre de sisal pour les luminaires, et le bois brut pour les tabourets colorés.

Dans son travail, Bassam Haddad privilégie la création ethnique. Depuis qu’il vit au Maroc, l’ancien architecte baigne dans l’immensité de l’artisanat local et accorde un intérêt particulier à la connaissance des métiers d’art, notamment traditionnels et arabo-musulmans, « mais sans rester figé dedans ». Ainsi, le designer a travaillé sur la tente institutionnelle du festival de Tan-Tan, en produisant 1.000 m2 couverts de tentes, avec plusieurs modèles de meubles qui sont une émanation de l’art traditionnel du sud du Maroc. « Et c’est passionnant. C’est un projet dans lequel j’ai pu m’éclater. Très intéressant. Après, cela a été reconduit. C’est-à-dire que le mobilier a été stocké, puis réutilisé par la suite ; bien évidemment avant la crise sanitaire », indique-t-il.

Adapter pour durer

Pour réaliser ses créations et répondre à des demandes « grand format », Bassam Haddad se donne les moyens de ses ambitions. Il est à la fois designer et éditeur. Il a créé ses propres ateliers à Témara, dans la zone industrielle, où il fait de l’ébénisterie, de la menuiserie, du fer forgé, de la tapisserie, etc. Cela lui permet de produire entièrement ses créations. « J’édite mes modèles. Avoir ses propres ateliers de fabrication est un investissement coûteux », souligne-t-il.

Pour cet amoureux du Maroc, le patrimoine est « un point de départ à partir duquel j’essaie d’évoluer et de développer. Mon objectif est surtout de l’adapter aux exigences actuelles de confort que recherche tout un chacun ».

À l’IMA, avec Jack Lang, lors de l’inauguration de l’événement « Le Maroc Contemporain », où Bassam Haddad avait été sélectionné parmi 14 autres designers du Maroc, pour des œuvres (tabouret Rahla) en bois et coussin d’assise en cuir.

Bassam Haddad, qui qualifie son style d'éclectique, ne suit pas une ligne constante dans ses créations. Le designer peut travailler tantôt le métal brut ou oxydé, donnant cette impression de style ancien tout en restant moderne, tantôt le bois. Il mêle aussi dans ses œuvres le zellige et les motifs traditionnels locaux.

« Quand je dis éclectique, cela veut aussi dire que ça peut se marier avec tout autre design ou décor. On est appelé à faire des décorations et des créations qui peuvent aller chez tout le monde, ou du moins chez beaucoup de gens », explique-t-il. Bassam Haddad a participé à plusieurs expositions, à des salons nationaux et internationaux, à Amsterdam au Pays-Bas, à Valence en Espagne, à Beyrouth au Liban, à Saint-Etienne (Biennale) en France ou encore à Casablanca (Maroc Design).

Interrogé sur la tendance, Bassam Haddad estime que la finalité du designer est d’anticiper les projets et la création future. Le créateur entretient ainsi un rapport de réciprocité avec elle, puisqu’il doit être dans la tendance tout en ambitionnant de la devancer.