Médias24 a poussé les portes de cinq lieux de la culture qui méritent le détour. Centre d’art contemporain ou culturel, galerie institutionnelle ou commerciale, résidence d’artiste ou maison d’édition… tous participent à l’« effervescence » culturelle de Rabat. Leurs fondateurs et dirigeants évoquent leurs projets artistiques, la relation au public, leur rapport à la ville et le regard qu’ils portent sur la chose culturelle au Maroc.

Yasmina Naji, Elisabeth Piskernik, Abla Ababou, Dina Naciri et Marie-Cécile Le Luec ont fait le pari d’une culture qui s’adresse à tous. Car, dans le domaine de l'art ou plus généralement de la culture, la véritable cible n’est jamais celle à qui l’on croit s’adresser.

De plus en plus de jeunes, qui n’en ont pas forcément les moyens, montrent un intérêt pour l’art et achètent

Abla Ababou, galeriste

Si la galerie qui porte le nom de sa fondatrice Abla Ababou existe depuis quatre ans à peine, elle a su s’imposer en peu de temps comme un lieu culturel de référence à Rabat. Et ce, de l’avis même des professionnels de la culture de la capitale.

Lors du dernier vernissage consacré à l’exposition collective de dix artistes « Matières plurielles », organisé le 11 novembre 2021 dans la galerie située au cœur du quartier Souissi, le public n’a pas boudé son plaisir. Il s'est déplacé en nombre pour admirer les œuvres d’artistes marocains reconnus (voir photo). On citera - et la liste n’est pas exhaustive - Karim Alaoui, Hamid Douieb, Fatiha Zemmouri, Itaf Benjelloun, Mohamed Mourabiti, et bien d’autres.

En déambulant entre les œuvres de cette exposition, dans un cadre qui embrasse la lumière, le visiteur est happé par des univers hétéroclites qui semblent s’animer au même rythme.

« Le public à Rabat est demandeur de culture. Et je le vois à travers cet espace. Il y a une effervescence et un intérêt certains et sans précédent pour les arts. Ce que je constate dernièrement aussi, et qui me fait plaisir d’ailleurs, c’est qu’il y a enfin beaucoup de gens de Casablanca, de Marrakech, de Tanger et même de l’étranger qui viennent visiter les expositions de la galerie. Et ça, c’est nouveau. Généralement, ce sont les gens de Rabat qui se déplacent à Marrakech et à Casablanca pour visiter leurs galeries, là c’est le contraire », décrypte Abla Ababou. La fondatrice de la galerie éponyme a mené par le passé une carrière de journaliste, après des études de communication et de journalisme à l’Institut français de presse à Paris.

Rabat, nouveau repère artistique

Des propos qui amènent, à juste titre, à questionner le choix de la capitale pour installer une galerie d’art contemporain, sachant que nombre d’entre elles ont dû fermer par le passé.

« Rabat, et ce que je dis n’engage que moi, est la plus belle ville du Maroc. Elle est à la fois la capitale culturelle et celle qui a été nommée Ville Lumière. Nous avons un musée d’art contemporain, et justement il manque des galeries pour dynamiser davantage cette ville. C’est d’ailleurs une ville qui mérite beaucoup plus d’acteurs culturels, comme c’est déjà le cas pour Casablanca ou Marrakech », souligne l’autrice de Coup de Lune (un premier roman, publié en 2008, en France aux Éditions du Rocher).

Si le public de la galerie est au rendez-vous, qu’en est-il du marché de l’art à Rabat ?

« De plus en plus de jeunes qui n’en ont pas forcément les moyens, mais qui ont un intérêt pour l’art, achètent. Il y a également certaines entreprises qui investissent de plus en plus dans l’art », nous apprend Abla Ababou. La galeriste soutient d'ailleurs que les artistes marocains n’ont rien à envier à leurs confrères dans le monde. « Nous avons des artistes de qualité et de très beaux plasticiens. » La critique qu'elle peut émettre concerne certains artistes qui ont tendance à se surévaluer au tout début de leur carrière. Pour elle, le rôle des galeries est aussi de réguler les prix. « Quand un artiste entame sa carrière, il ne faut pas qu’il affiche des prix très importants. Et ce, jusqu’à ce que sa cote s’installe d’une façon logique », estime-t-elle.

Pour Abla Ababou, le marché de l’art au Maroc est en devenir. « Ce n’est pas un marché très installé. C’est normal. En Europe, il y a des siècles qu’ils ont ça chez eux. Nous, c’est nouveau. On ne parle d’art que depuis 1912. On a une histoire de l’art qui est jeune. On commence à peine à organiser des ventes aux enchères. Les critiques d’art commencent à émerger. Les commissaires d’exposition, aussi. C’est un marché qui commence à exister et à se structurer. On y croit. Moi, j’y crois », conclut-elle avec optimisme.