Egypte : révélations sur l'échec diplomatique

Le New York Times publie un article très intéressant qui dévoile les intenses tractations entre les diplomates occidentaux et l'armée égyptienne à la veille de la riposte militaire contre les pro-Morsi.

Egypte : révélations sur l'échec diplomatique

Le 20 août 2013 à 17h42

Modifié le 20 août 2013 à 17h42

Le New York Times publie un article très intéressant qui dévoile les intenses tractations entre les diplomates occidentaux et l'armée égyptienne à la veille de la riposte militaire contre les pro-Morsi.

Il illustre aussi la manière dont cette crise est perçue à Washington ainsi que le rôle joué par Israël.

De prime abord, il est utile de rappeler une donnée : Morsi et son gouvernement ont perdu leur popularité. Sa déposition a été précédée et suivie par une véritable lame de fond populaire contre les Frères musulmans et actuellement, les médias publics et privés ainsi que les principales organisations du pays sont dans leur majorité contre les Frères.

Le gouvernement Morsi était donc condamné à tomber aux prochaines élections. Ce qui rend d’autant plus incompréhensible le coup de force de l’armée.

L’échec des Frères musulmans est d’abord le leur, de leur mode de gouvernance, de leur incompétence, de leur volonté hégémonique dans le paysage politique…

Le second point qui mérite réflexion et qui a certainement du sens, c’est le soutien apporté d’emblée par trois pays du Golfe, Arabie Saoudite, Emirats et Koweït, au nouveau pouvoir égyptien. Un soutien qui s’est manifesté par des dons supérieurs à 14 milliards de dollars, ainsi que des déclarations selon lesquelles toute baisse de l’aide européenne ou américaine serait immédiatement compensée par ces pays.

Voyons maintenant les révélations du New York Times.

Le 3 août, une première intervention du diplomate européen Bernardino León a abouti à l'engagement des islamistes de réduire de moitié la taille des sit-ins installés dès qèe deux de leurs leaders auront été libérés. Pendant un moment, les diplomates américains et européens qui tentaient de désamorcer l'impasse politique en Egypte ont pensé qu'ils avaient réussi une percée.

Mais les heures passent sans qu'aucun islamiste ne soit relâché.

Au même moment, les sénateurs américains John McCain et Lindsey Graham rencontraient le général Sissi, homme fort du régime, et le premier ministre intérimaire, Hazem El Beblaoui.

Les deux responsables égyptiens se déclarent fermement opposés à la libération des prisonniers. De cette entrevue, le sénateur Graham gardera deux souvenirs : “l’appétit de pouvoir” du général et “le désastre” qu'était le premier ministre.

17 coups de fil passés personnellement par Chuck Hagel, secrétaire américain à la Défense, n'auront pas suffi à contenir la crise.

"On avait l’impression que les militaires étaient pressés d’en découdre", a expliqué le sénateur Graham dans une interview. "Le Premier ministre a été désastreux. Il a continué à prêcher devant moi: «Vous ne pouvez pas négocier avec ces gens. Ils doivent rompre les sit-in et respecter la primauté du droit ». J'ai dit: «M. Premier ministre, il est assez difficile pour vous de faire la leçon à qui que ce soit sur la primauté du droit. Combien de voix avez-vous obtenu? Oh, oui, vous n'avez pas été élu."

Le Général Sissi, a déclaré M. Graham, semblait «un peu grisé par le pouvoir.»

Les sénateurs ont quitté les deux dirigeants égyptiens, ce jour-là, le 6 août, sombres et convaincus qu'une confrontation violente était imminente. Mais les diplomates espéraient encore.

Le lendemain matin, le 7 août, le gouvernement a publié un communiqué déclarant que les efforts diplomatiques avaient échoué et blâmant à l’avance les islamistes pour les victimes de la répression à venir. Une semaine plus tard, le 14 août, les forces égyptiennes ont lancé l’assaut féroce pour démanteler les sit-in.

Tous les efforts du gouvernement des États-Unis, toutes les amabilités, les menaces voilées, les émissaires de haut niveau en provenance de Washington et les 17 appels téléphoniques personnels de secrétaire à la Défense Chuck Hagel, ont échoué à prévenir la confrontation.

La répression violente a laissé M. Obama dans une position sans issue. D'un côté, les Israéliens, les Saoudiens et d'autres alliés arabes ont fait pression sur lui pour ménager les généraux et contrecarrer ce qu'ils considèrent comme la menace islamiste. De l'autre, un mélange insolite de conservateurs et les libéraux lui a demandé des positions plus fermes contre les généraux.

L'évolution de la position de M. Obama

M. Obama avait d’abord parié sur M. Morsi, élu l'an dernier. Il a jugé M. Morsi comme un partenaire utile et pragmatique dans la gestion des problèmes tels que celui de Gaza. Mais M. Obama est devenu rapidement convaincu que le gouvernement Morsi n’était pas capable de stabiliser le pays, à cause de sa gouvernance sectaire.

Lorsque le secrétaire d'État John Kerry s'est rendu au Caire au printemps, il a exhorté M. Morsi à tendre la main à son opposition. Sinon, l’a-t-il averti, M. Morsi allait ouvrir la voie à un nouveau soulèvement, cette fois contre lui-même. M. Morsi a considéré qu’il s’agissait d’une menacé implicite.

L'entêtement de M. Morsi à exclure tous ses adversaires politiques, sa propension à diaboliser ses détracteurs, la crise économique sans précédent que son gouvernement a provoquée, tout ceci a poussé les manifestants dans la rue.

L'administration Obama a mis en garde l'armée et l’a prévenue, dès fin juin, qu'un coup d’Etat imposerait un arrêt de l'aide en vertu du droit américain. Mais le 3 Juillet, l'armée a réalisé son coup de force et a déposé Morsi.

Les jours sombres de juillet et d'août

Le 8 juillet, l’armée a violemment dispersé un premier sit-in, faisant 60 victimes.

Le 24 Juillet, le général Sisi a prononcé un discours enflammé demandant au peuple égyptien de lui donner un mandat pour en finir avec le terrorisme.

Le jour de la manifestation demandée par le général, le 26 juillet, les forces de sécurité ont tué 80 autres partisans de Morsi.

Le lendemain matin, le 27 juillet, les dirigeants des Frères ainsi que les conseillers de Morsi ont eu de nombreux échanges téléphoniques avec des diplomates américains et européens. Tous craignaient un bain de sang imminent.

D’autres médiateurs sont alors entrés en scène.

Des diplomates de Qatar, un dirigeant régional des Frères musulmans, des dirigeants des Emirats ont essayé d'influencer les islamistes. Les Émirats arabes unis sont connus pour être des opposants déterminés des islamistes.

Les Qataris et les Emiratis ont parlé de «réconciliation» en présence des Américains. Par contre, les diplomates occidentaux étaient convaincus qu’en privé, les Emiratis exhortaient les forces de sécurité égyptiennes à sévir.

Abdullah bin Zayed al-Nahyan, ministre des Affaires étrangères émirati, s’est rendu à Washington en juillet et a exhorté les Américains à ne pas couper l'aide. Les Emirats, avec l'Arabie saoudite, ont rapidement soutenu le coup d'État militaire avec un engagement de 14 milliards de dollars, ce qui compromet les menaces occidentales de couper les prêts ou les aides.

Les Israéliens, dont les militaires avaient des liens étroits avec le général Sissi lorsqu’il dirigeait le renseignement militaire, soutenaient le coup de force. Les diplomates occidentaux disent que le général Sissi et son entourage semblaient être en communication avec des collègues israéliens, et les diplomates occidentaux au Caire estiment que les Israéliens ont également encouragé les Egyptiens, en leur disant de ne pas s'inquiéter des menaces américaines de couper l'aide.

Les responsables israéliens nient avoir rassuré l'Egypte sur l'aide, mais ils reconnaissent avoir fait pression sur Washington pour protéger le nouveau pouvoir.

Lorsque le sénateur Rand Paul, républicain du Kentucky, a proposé un amendement pour interrompre l'aide militaire à l'Egypte, l’influent lobby israélien AIPAC a adressé une lettre aux sénateurs le 31 Juillet s'y opposer, en disant qu’une telle décision "pourrait accroître l'instabilité en Egypte et saper les intérêts importants des États-Unis et avoir un impact négatif sur notre allié israélien". Le Sénat a rejeté la proposition par 86 voix contre 13.

Les entretiens Hagel-Sissi

M. Hagel, secrétaire à la Défense, avait dès sa nomination, essayé de forger un lien avec le général Sissi.

Dans une série d'appels téléphoniques, M. Hagel a fait pression sur le général Sissi pour une transition rapide vers un régime civil. Ils parlaient presque tous les deux jours, généralement pour une heure ou une heure et demie, cette durée étant rallongée par le recours à des interprètes.

La position du général Sissi était invariable depuis le début : les Américains ne mesurent pas à quel point les islamistes constituent une menace pour l’Egypte, et ne se rendent pas compte qu’il s’agit réellement de terroristes.

Après le deuxième massacre de partisans de Morsi, le 26 Juillet, M. ElBaradei a voulu démissionner, mais M. Kerry l’en a dissuadé, faisant valoir qu'il était la plus puissante, sinon la seule voix de la modération dans le gouvernement. Les Américains voulaient renforcer les voix modérées à l’instar de ElBaradei, mais n’y sont pas parvenus.

Le général Sissi n’a jamais fait confiance à M. ElBaradei. Il était entouré d’un petit noyau d'officiers qui ont vu une chance de pouvoir enfin débarrasser l’Egypte des Frères musulmans. Parmi eux se trouve le général Mohammed al-Tohami, mentor du général Sissi et maintenant chef des services de renseignement, et le général Mahmoud Hegazy, protégé du général et successeur désigné à la tête du renseignement militaire.

M. Kerry a envoyé son adjoint, William J. Burns, au Caire, où avec un diplomate européen il a essayé de désamorcer la crise.

Le plan conjoint qui a été proposé consistait en des mesures de détente, telles que la libération de deux dirigeants des Frères musulmans et une réduction de moitié de la taille des sit-in pro-Morsi.

Mais le 4 août, le gouvernement intérimaire a surpris les diplomates en portant des accusations d'incitation au meurtre contre le Guide suprême des Frères musulmans, Mohamed Badie, qui avait basculé dans la clandestinité, et Khairat el-Shater, son dirigeant le plus influent, qui avait été arrêté.

Tensions accrues

M. McCain et M. Graham sont arrivés au Caire sur fond de tensions croissantes. Ils sont d'abord allés voir l'Ambassadeur Anne W. Patterson. "On pouvait voir sur son visage, que personne ne l'écoute", a déclaré M. Graham.

M. Graham a rappelé le général Sissi. «Si Morsi devait se présenter aux élections, il perdrait largement, on est bien d’accord ?», a dit Graham.

"Oh, absolument», a répondu le général.

"Alors que vous faites maintenant de lui un martyr", a déclaré M. Graham.

La rencontre avec le premier ministre était encore plus tendue.

Le lendemain, le gouvernement a publié un communiqué annonçant que "la phase des efforts diplomatiques a pris fin" qualifiant les sit-in de non pacifiques et rendant les Frères musulmans coupables, par anticipation, des violences à venir.

Les Américains et les Européens étaient furieux, se sentant trompés et manipulés. Ils ont été utilisés pour justifier la violence et fournir au gouvernement un alibi d'échec des négociations. Telle était l’impression dominante chez les négociateurs.

M. Hagel a fait une dernière tentative en appelant le général Sissi en fin d'après-midi du 9 août et ils ont parlé pendant 90 minutes. "Le secrétaire à la Défense Hagel a fortement exhorté Sissi à la retenue", a déclaré un responsable américain informé de la conversation. Le secrétaire à la Défense a répété ce qu’il disait depuis des semaines: éviter la violence, respecter la liberté de réunion et  progresser vers une transition politique sans exclusive.

Le New York Times rappelle enfin qu'“un pays consumé par la guerre civile ne peut plus fonctionner comme un allié stable dans une région aussi instable”.


 

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