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Une conversation avec Saâd Bendidi : 2. “Le capitalisme national doit avoir plus d’ambition” 

Impliqué depuis plus de trente ans dans le capital-investissement au Maroc et à l’international, Saâd Bendidi est à la tête d’une des plus belles success stories en Afrique du Nord et de l’Ouest. Il partage avec nous sa perception de l’évolution du secteur, ainsi que son regard sur le capitalisme national et les défis en lien avec l’investissement.

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Une conversation avec Saâd Bendidi : 2. “Le capitalisme national doit avoir plus d’ambition” 

Le 1 juin 2023 à 17h27

Modifié 4 juin 2023 à 17h37

Impliqué depuis plus de trente ans dans le capital-investissement au Maroc et à l’international, Saâd Bendidi est à la tête d’une des plus belles success stories en Afrique du Nord et de l’Ouest. Il partage avec nous sa perception de l’évolution du secteur, ainsi que son regard sur le capitalisme national et les défis en lien avec l’investissement.

Malgré les changements importants qu’a connus l’économie marocaine au cours des trente dernière années, l’investissement privé demeure assez faible. Une problématique qui a attiré l’attention aussi bien des organisations internationales que des plus hautes autorités du pays. S’en est ensuivie une série de mesures, comme la réforme de la Charte de l’investissement et la création du Fonds Mohammed VI pour l’investissement, doté de plus de 15 milliards de dirhams. Toutefois, l’économie nationale est-elle prête à l’envol du capital privé ? C’est la question que nous allons traiter avec Saâd Bendidi, fin connaisseur de l’économie nationale et de son tissu entrepreneurial.

Peu d’ambitions internationales

Tout d’abord, pour notre interlocuteur, une des principales faiblesses de notre capitalisme national a un lien avec l’ambition. Pour lui, très peu d’initiatives d’investissements nationaux dans des secteurs nouveaux ont été observées ces dernières années. "Je n’ai pas vu de secteurs traditionnels qui aillent, franchement, vers des gains de productivité et des positionnement internationaux", estime-t-il.

Les années Méditel, FinanceCom, ONA et Saham

L’horizon purement national maintient souvent les groupes nationaux dans une taille inférieure à leur potentiel. "Quand les groupes nationaux parviennent à un seuil, ils se dispersent horizontalement, ce qui fait qu’ils ne mènent pas l’aventure entrepreneuriale au diapason international."

C’est particulièrement le cas du secteur industriel, où les investissements nationaux restent faibles car les opportunités de croissance et de rentabilité ne sont pas au rendez-vous. Selon Saâd Bendidi, il n’y a pas assez d’entrepreneurs qui pensent qu’ils ont la capacité d’avoir de la rentabilité dans le secteur. Pour illustrer son propos, il cite un secteur qu’il connaît bien : la minoterie. "Nous avons réalisé une étude pour benchmarker le secteur au Maroc par rapport à la Turquie, l’Argentine et l’Ukraine. Premièrement, on était les plus chers en électricité, et en termes de salaires, on était plus chers que l’Argentine, tout en n’étant pas très productifs. On était pénalisé sur le coût salarial et la productivité."

La solution qui s’impose dans ce secteur, comme d’autres au niveau industriel, est d’améliorer massivement la productivité pour se mettre aux standards. Ce qui implique de proscrire les emplois à faible valeur ajoutée, pour monter en gamme. Il faut atomiser de nombreux process et redéployer les emplois sur une plus grande valeur ajoutée. Une posture volontariste qui a de nombreuses conséquences économiques et sociales, que beaucoup d’entrepreneurs ne veulent pas mener.

Un problème de succession

Cette autolimitation est aussi en lien avec les problèmes de succession. "Très souvent, après le parcours d’un entrepreneur fondateur de premier ordre, il n’est pas dit que ses enfants soient des entrepreneurs ayant le même talent et le même courage", estime Saâd Bendidi. Pour lui, même si l’entreprise va bien à un certain moment, il n’est pas garanti qu’elle puisse pérenniser ses activités. Et en l’absence d’un bon modèle de succession, ni d’incitations, notamment fiscales, des transmissions plus simples et finançables ne se passent pas.

Par ailleurs, le système financier et bancaire n’est pas outillé pour jouer son rôle dans ces cas-là. Dans de nombreux pays, ces conditions permettent de réaliser des transmissions décidées, préparées et dans la douceur. Au Maroc, les cas sont assez rares. "Il y a beaucoup de rendez-vous ratés sur ce plan-là. Il y a beaucoup d’entreprises qui ont eu des phases ascendantes, mais après la maladie, ou la disparition ou le retrait du fondateur, ça stagne, ça périclite", affirme Bendidi.

L’industrie du capital-investissement a un rôle à jouer dans ce sens, et plus généralement dans la dynamique de l’investissement privé. Toutefois, les montants investis restent relativement bas au niveau national. Ils tournent bon an mal an autour de 700-800 millions de dirhams ces dernières années, avec des pics exceptionnels dépassant le milliard comme en 2021 (1,085 milliard dans 30 entreprises) et en 2018 (1,024 milliard dans 16 entreprises). Souvent, la question de la taille des entreprises et de leur niveau de structuration, ainsi que les niveaux de rendements internes sont des justifications avancées par les acteurs du secteur pour expliquer le manque de deals. En 2022, le montant des investissements a atteint 914 millions de dirhams dans 45 entreprises.

Une majorité de très petites entreprises, peu structurées

Pour Saâd Bendidi, "il y a des deals intéressants mais pas beaucoup". Pour lui, tout dépend de la taille des entreprises et du type de capital-investissement. Dans le segment des petites et moyennes entreprises, c’est assez actif. Mais il n’y a pas une offre en capital-investissement suffisamment forte et structurée qui y soit dédiée.

L’absence d’une offre est grandement déterminée par le temps, qui doit être consacré à la structuration des petites entreprises pour qu’elles entrent dans des cercles vertueux de croissance. "Ce n’est pas que ça n’intéresse pas l’industrie du capital-investissement, mais il faut que le couple risque-profit soit équilibré. Et un marché secondaire qui puisse reprendre une participation par la suite", souligne Saâd Bendidi. Il déplore par ailleurs la faiblesse du rôle des banques d’affaires au Maroc en tant qu’apporteurs d’affaires. Selon lui, dans des marchés structurés, tout passe par ce genre d’institutions. La banque d’affaires met en lien l’entrepreneur avec des capital-investisseurs.

Au niveau national, le business se situe, selon lui, surtout dans les mid caps. C’est une taille où le travail d’accompagnement, au-delà de l’apport en capital, est plus efficace. Selon lui, le capital-investissement a plusieurs rôles en dehors de l’apport financier. Il s’agit d’apport des process, au niveau de la stratégie, des process budgétaires et des processus RH. "Notre rôle est d’accompagner des entreprises qui ont un projet et des ambitions pendant quelques années pour les conduire d’un palier à un autre ; certes en apportant des fonds propres à même de la rendre bancable, mais pas seulement. Après, il faut que l’on puisse sortir de diverses manières en revendant en bourse, aux actionnaires ou à d’autres investisseurs."

Venture Capital en retard

Au niveau du segment du financement de l’innovation, le Maroc accumule aussi un retard significatif par rapport à l’Afrique ou le Moyen-Orient. Pour notre interlocuteur, une des principales faiblesses du Maroc est en lien avec l’absence d’un tissu étoffé d’universités qui travaillent en collaboration avec des entreprises innovantes. Le peu d’expériences recensées n’est pas forcément orienté vers le marché international. Pour Saâd Bendidi, notre écosystème n’est pas très favorable à cela, car bouger ses capitaux n’est pas très aisé.

Certains pays avec une très forte population ont préempté ce marché au niveau africain

Troisièmement, certains pays avec une très forte population ont préempté ce marché au niveau africain. "L’Egypte, le Nigeria ou l’Afrique du Sud sont beaucoup plus avancés que nous. La logique de ces pays est d’avoir un nombre d’investissements potentiels (deal flow) très important. Il faut un pipeline de projets très important et être branché avec une communauté internationale dans le Venture Capital (VC) dès la série A, qui puisse accompagner les entreprises. Le Maroc a un peu raté le virage, mais ce n’est jamais trop tard pour se rattraper."

Cela signifie mobilité des capitaux et des humains, facilité de transaction, contexte juridique de création-dissolution d’entreprises très rapide... pour pouvoir disposer d'un écosystème. Il faut qu’au départ, "il y ait un nombre de projets avec une ambition internationale". Car, quand plusieurs entreprises sont dans le même secteur, il y a une émulation des complémentarités, et ça va très vite. "On ne peut donc pas parler de la création d’un réseau de startups au niveau national, ça ne marche plus comme ça. D’emblée, on est sur un marché mondial avec peut-être des opérateurs qui font du VC au Maroc, mais qui vont agréger au niveau continental et international", conclut Saâd Bendidi.

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