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Une conversation avec Saâd Bendidi : 1. Les conditions de la sécurité alimentaire en céréales

Dans un contexte où la sécurité alimentaire mondiale est de plus en plus menacée par les changements climatiques et les crises géopolitiques, l’approvisionnement en céréales du Maroc, pays qui en consomme plus de 10 millions de tonnes par an, est un véritable enjeu. Sécurité alimentaire, stock stratégique, production locale, gouvernance du secteur... Autant de questions que nous avons posées à Saâd Bendidi, président de Forafric, un des intervenants majeurs du secteur au Maroc. Une conversation organisée dans les locaux de Médias24 à Casablanca, où notre invité nous livre ses analyses et ses préconisations.

PH. MEDIAS24

Une conversation avec Saâd Bendidi : 1. Les conditions de la sécurité alimentaire en céréales

Le 30 mai 2023 à 14h03

Modifié 30 mai 2023 à 18h36

Dans un contexte où la sécurité alimentaire mondiale est de plus en plus menacée par les changements climatiques et les crises géopolitiques, l’approvisionnement en céréales du Maroc, pays qui en consomme plus de 10 millions de tonnes par an, est un véritable enjeu. Sécurité alimentaire, stock stratégique, production locale, gouvernance du secteur... Autant de questions que nous avons posées à Saâd Bendidi, président de Forafric, un des intervenants majeurs du secteur au Maroc. Une conversation organisée dans les locaux de Médias24 à Casablanca, où notre invité nous livre ses analyses et ses préconisations.

Saâd Bendidi est, depuis cinq ans, à la tête de Forafric, le premier minotier national. Il assure une présence aussi bien au Maroc que dans des pays d’Afrique subsaharienne, avec une capacité d’écrasement de plus de 900.000 tonnes et 275.000 tonnes de stockage. Ses produits agroalimentaires sont distribués dans plus de 45 pays. C’est sans aucun doute un observateur de choix du secteur et de ses évolutions.

Pour lui, les approches adoptées jusqu’à présent pour protéger le pouvoir d’achat et assurer la disponibilité des produits au niveau des étals sont positives. Elles ont permis d’éviter un choc, notamment sur le front alimentaire, et mieux encore, en termes d’énergie. "Les industriels devraient remercier le gouvernement d’avoir maintenu les prix de l’électricité. C’est une facture énorme qui a été consentie et qui a maintenu la compétitivité. Sans cela, beaucoup d'entreprises n’auraient pas survécu au choc", estime Bendidi.

Concernant l’alimentaire, maintenir l’approvisionnement, aussi bien pendant qu'après la période du Covid, a été important, notamment pour la stabilité sociale. Toutefois, selon notre interlocuteur, l’approche adoptée était de type curatif. Dans un contexte où les cours sont en train de refluer et sont redescendus au niveau d’avant le début de la crise en Ukraine, il va falloir revoir les modèles.

Produire 50 millions de quintaux de céréales par an serait un score honorable

Il est clair qu’au vu des changements climatiques et du stress hydrique, le Maroc ne pourra pas assurer sa souveraineté alimentaire en matière de céréales en devenant un grand producteur sur une longue période. Toutefois, il ne faut pas laisser la filière céréalière de côté. Au contraire, "si l’on parvient à avoir 50 millions de quintaux par an de façon permanente, ce serait un score honorable. Mais ça demande beaucoup de travail. Ce n’est pas simple". Ce volume pourrait représenter près de 50% de la consommation nationale et assurer une bonne bouée contre les chocs externes ou la fluctuation du marché international.

Des actions d’aide de la filière et un accompagnement technique important sont, dans ce sens, nécessaires. Partant de sa propre expérience, Saâd Bendidi affirme que, durant la dernière saison, sa compagnie a pu acheter 98.000 tonnes [près d'un million de quintaux, ndlr] de céréales marocaines avec un taux d’incorporation au niveau de ses moulins à plus de 70%, "sans aucune réclamation ni baisse de rendement".

Cela a été fait car les lots achetés, agriculteur par agriculteur, ont été analysés, stockés séparément et ségrégués. "La problématique n’est pas simplement de dire qu’il y a une disparité de qualité − ce sera toujours le cas. Le plus important, c’est que, lors de la collecte, il y ait une traçabilité et un stockage séparé."

Le fait que les importations de céréales soient très importantes, quelles que soient les quantités de la production locale, est en grande partie lié à l’absence de processus d’accompagnement des agriculteurs et de traçabilité des productions.

En l’absence de ces processus, la préférence des meuniers ira en effet le plus souvent vers la production étrangère normée et adaptée à la qualité des moulins modernes. L’autre point, c’est que la production nationale va à l’autoconsommation. Une partie n’est pas meunière en raison de sa qualité, tandis qu’une autre va vers des moulins traditionnels.

Par ailleurs, l’Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses (ONICL), qui se charge de la subvention de la farine nationale, achète une seule catégorie de blé, avec une seule spécification.

Elle est intégrée dans le cadre de la subvention de la FNBT, la farine nationale de blé tendre. Lorsqu’il y a une qualité supérieure, elle est mélangée car il n’y a pas de rémunération spéciale pour la qualité. À la fin, il y a une qualité moyenne mélangée, appelée dans le jargon professionnel lkoura.

Or, explique notre interlocuteur, quand la qualité n’est pas homogène ni tracée, la minoterie est perdante, notamment avec un ratio de son/farine important, ce qui ne l’encourage pas pour sa production de masse à opter pour le grain national, et maintient la nécessité d’un système de subvention. "Le circuit de collecte et de stockage du blé local ne garantit pas la traçabilité. On ne sait pas quelle variété a été plantée, quel est son poids spécifique, son niveau de protéine, etc. Toutes ces spécifications techniques meunières sont pourtant nécessaires."

Accompagnement, régulation et gouvernance

Un système d’accompagnement des agriculteurs adapté doit être mis en place pour l’amélioration de la qualité et l’intégration de nouvelles variétés plus résistantes à la sécheresse et aux nuisibles ; mais aussi de nouvelles techniques culturales comme le semis direct, certes difficile à mettre en œuvre mais pas impossible. Des expérimentations sont déjà en cours avec l’Institut national de recherche agronomique (INRA), le Centre international de recherche agricole dans les zones arides (ICARDA) et le Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT). Elles donnent d’excellent résultats et gagneraient à être généralisées. Mais cela demande, selon notre interlocuteur, entre dix et quinze ans de travail.

Des mesures qui iraient de pair avec la mise en place des systèmes d’aide directe afin d’améliorer la régulation du secteur. Pour Saâd Bendidi, "le chantier fondamental de la protection sociale tel qu'il est conçu et le fait de canaliser des aides directes devraient militer en faveur d’une suppression de toute forme de subvention aux produits. Car dès que l’on instaure des systèmes de subvention, il y a immanquablement des effets d’aubaine et des mécanismes malsains qui se mettent en place et font dévoyer les objectifs nobles de la subvention. Avec le Registre social unifié (RSU), basé sur des données biométriques, les risques sont beaucoup moindres que dans le cas des subventions accordées aux produits, qui finissent toujours par aboutir à des produits destinés à l’alimentation animale ou autre chose de ce genre."

Autre point important : la gouvernance du secteur. Une fois le RSU mis en place, quelle place pour l’ONICL, dont l’une des principales missions est la distribution de la FNBT ? "Il y a un pan de l’activité de l’ONICL qui, dans le cadre d’une libéralisation, n’aurait plus de sens", estime Saâd Bendidi. Par ailleurs, l’ONICL a une fonction statistique et une fonction de contrôle de qualité qu’elle partage avec l’ONSSA.

Dans le contexte actuel, la loi impose un stock minimal de deux mois ; de produire selon certaines règles ; de communiquer quotidiennement sur les statistiques, les stocks, les achats et les productions. Cette mission est assurée par l’ONICL, les céréales étant une denrée stratégique. Sa fonction statistique et de contrôle devrait être maintenue, dans la mesure où ce système est perçu comme garantissant la sécurité alimentaire. La puissance publique ne peut pas se dérober à ces fonctions, que ce soit à travers l’ONICL ou un autre opérateur, soutient notre interlocuteur. Selon lui, l'utilisation de la puissance de cet outil public n’est pas optimisée, surtout dans un contexte où la question du stock stratégique de blé a été soulevée au plus haut niveau de l’Etat.

Vers un stock stratégique de six mois

Concernant ce dernier sujet, plusieurs questions restent en suspens. En effet, suite au discours royal du 8 octobre 2021 sur la nécessité d’établir un stock stratégique des produits de base, les premiers appels d’offres pour assurer un stock de grain de trois mois ont été lancés. L’objectif étant, selon le ministre de l’Agriculture, d’atteindre six mois.

Toutefois, selon Saâd Bendidi, "le stock stratégique n’est pas simplement un slogan. C’est aussi pas mal d’accompagnement technique, c’est un budget et c’est une gouvernance". Pour ce faire, plusieurs problématiques sont posées.

Premièrement : où le mettre ? Pour notre interlocuteur, du point de vue de l’infrastructure, c’est possible, mais il faut louer ces capacités ; des financements sont donc nécessaires. "Le stock stratégique nécessite des capacités de stockage. Au vu des capacités disponibles − publiques, semi-publiques et privées −, il y a de l’espace pour faire quelque chose de raisonnable."

Le deuxième point est en lien avec les capacités d’achat : il faut pouvoir les financer. Est-ce à l’Etat ou au privé de le faire ? Si ce sont les opérateurs privés, il y a des frais financiers. Ensuite, qui va financer le stock ? Si ce sont les banques, il y a des intérêts à verser. Il y a des fluctuations sur le marché des commodités, il faut se couvrir. Pareil, si les achats se font en dollars, il y a des risques de change, il va donc falloir faire du hedging. Rien qu’en termes d’achat, au vu des volumes nécessaires, notre interlocuteur estime que nous serions autour d’un besoin de financement de plus de 4,5 milliards de dirhams. Ce qui pourrait générer des frais bancaires de l’ordre de 300 millions de dirhams par an, sans compter l’achat des couvertures.

Selon lui, dans des pays plus aisés, dans le Golfe par exemple, il y a une infrastructure où les gens stockent, et au bout de quelques mois, puisque le blé n’est pas stockable indéfiniment, ils le vendent avec une moins-value et le remplacent. Ce que l’on demande aux opérateurs, c’est d’avoir tout le temps du stock. Après, ce qui se déprécie, c’est l’Etat qui le prend en charge. "Nous sommes dans une configuration où il s'agit d'acheteurs stockeurs, dont le but est de minimiser les moins-values."

Sans compter les coûts du stockage, car le blé peut être attaqué par des nuisibles. Il faut donc traiter, aérer, etc. On parle là d’enjeux financiers importants.

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