Récit. Accords d'Abraham : la grande réussite de Trump “presque par accident”

Tensions et insultes entre Benjamin Netanyahu et Donald Trump, complicité entre ce dernier et Mahmoud Abbas, ou encore "normalisation des relations contre l'abandon de l'annexion"... voici comment les accords d'Abraham ont vu le jour, selon les révélations inédites de Barak Ravid, journaliste israélien et auteur du livre "La paix de Trump : les accords d'Abraham et la refonte du Moyen-Orient".

AFP

Récit. Accords d'Abraham : la grande réussite de Trump “presque par accident”

Le 10 janvier 2022 à 18h34

Modifié le 10 janvier 2022 à 19h26

Tensions et insultes entre Benjamin Netanyahu et Donald Trump, complicité entre ce dernier et Mahmoud Abbas, ou encore "normalisation des relations contre l'abandon de l'annexion"... voici comment les accords d'Abraham ont vu le jour, selon les révélations inédites de Barak Ravid, journaliste israélien et auteur du livre "La paix de Trump : les accords d'Abraham et la refonte du Moyen-Orient".

Paru le 8 décembre 2021, l'ouvrage du journaliste israélien Barak Ravid, intitulé "La paix de Trump : les accords d'Abraham et la refonte du Moyen-Orient" a fait l'effet d'une bombe.

Tensions et insultes entre Benjamin Netanyahu et Donald Trump, complicité entre ce dernier et Mahmoud Abbas, ou encore "normalisation des relations contre l'abandon de l'annexion"... les révélations de Barak Ravid, correspondant du média américain Axios au Moyen-Orient et expert de la région qu'il couvre depuis quinze ans, sont pour le moins surprenantes.

Dans son livre, uniquement disponible en hébreu, il révèle les coulisses des négociations des accords d'Abraham qui ont failli ne jamais voir le jour. Si l'ouvrage n'est pas encore accessible à tous, notamment en raison de la barrière linguistique, une synthèse en anglais, lue par Médias24, est quant à elle exclusivement disponible dans certaines régions du monde sur le site Amazon.

L'auteur, invité par des médias israéliens et américains, dont Axios (podcasts 1 et 2), a largement commenté son récit sur les accords d'Abraham. "Cette grande réussite de Trump" a changé le cours de l'Histoire puisque, pour la première fois, en vint-cinq ans, des pays arabes ont accepté de normaliser leurs relations avec Israël. Pourtant, cette alternative au plan de paix israélo-palestinien que l'ancien président américain a vainement tenté de mettre en place, a failli être un échec.

Pour Trump, Netanyahu est "déloyal" et "ingrat"

Barak Ravid revient sur la nomination de Jared Kushner, gendre de Donald Trump, en tant que haut conseiller du président des États-Unis, chargé de parvenir à l'accord ultime entre Palestiniens et Israéliens.

Cette nomination, "très critiquée à Washington", a été "perçue différemment au Moyen-Orient, y compris en Israël", où "le fait de parler à quelqu'un qui faisait partie de la famille du président américain avait du sens".

Assigné à une tâche difficile, voire impossible, Jared Kushner a pris connaissance de sa mission à travers la presse américaine, selon Barak Ravid. Il sera impliqué au cœur des négociations, quitte à "jeter hors de son bureau", quelques années plus tard, l'ambassadeur israélien à Washington, Ronald Dermer.

C'est dire que les relations israélo-américaines étaient tendues contrairement aux apparences. Selon Barak Ravid, "l'on aurait pu penser qu'ils étaient meilleurs amis. Mais il n'en était rien. À la fin de sa présidence, Trump ne supportait plus Netanyahu. Il le trouvait déloyal et ingrat, après tout ce qu'il avait fait pour lui".

Il estimait également que Benjamin Netanyahu, surnommé "Bibi", n'avait "jamais voulu obtenir un accord de paix", contrairement à Mahmoud Abbas que l'ancien président américain décrivait comme étant "très gentil". Pour Trump, c'est Mahmoud Abbas qui était le "partenaire de paix", et non Netanyahu.

Pour Trump, Mahmoud Abbas était "presque comme un père"

"Avant de rencontrer les deux, je pensais que les Palestiniens étaient impossibles, et que les Israéliens étaient prêts à tout pour obtenir la paix et aboutir à un accord. J'ai découvert que ce n'était pas le cas", déclare Trump à Barak Ravid, dans une interview en 2021, dont les enregistrements audio ont été diffusés en même temps que la sortie du livre.

Encore plus surprenant, Trump affirme que Mahmoud Abbas "n'aurait pas pu être plus gentil". Pour lui, "c'était presque comme un père".

Pourtant, leur relation se détériore lorsque Trump transfère l'ambassade des États-Unis à Jérusalem et reconnaît la ville comme "capitale d'Israël". Il "pensait pousser Israël à accepter un plan de paix". Grossière erreur.

Selon Barak Ravid, "les Palestiniens ont pris connaissance de la décision de Trump lorsqu'une délégation s'est rendue à la Maison blanche fin 2017. Ils ne sont plus jamais revenus depuis".

Par la suite, Trump s'entretient par téléphone avec Mahmoud Abbas. Ce dernier lui raccroche au nez, laissant le président américain "tenir un monologue pendant quelques minutes avant de s'apercevoir que la ligne était coupée". C'était le 5 décembre 2017. Date de leur ultime conversation.

Pis, Trump apprend en janvier 2018, lors d'une réunion avec les dirigeants palestiniens à Ramallah présidée par Mahmoud Abbas, que ce dernier a émis le souhait que "sa maison soit détruite" (yekhreb bitek en arabe), qui est en fait une expression au sens figuré. Le président américain riposte durant les mois suivants en coupant toutes les aides aux Palestiniens, en fermant le bureau de l'Organisation de libération de la Palestine à Washington et le consulat américain à Jérusalem.

Interviewé par le journaliste israélien en 2021, Trump en est arrivé à lancer un "qu'il aille se faire foutre" ("Fuck him"), en évoquant Netanyahu. Il lui reproche, entre autres, d'avoir rapidement félicité le président Joe Biden après son élection. À l'époque, Donald Trump contestait encore le résultat électoral. Depuis, les deux anciens dirigeants "ne se parlent plus".

Pourtant, l'ancien président américain n'a eu de cesse d'agir en faveur d'Israël. Comme le souligne Barak Ravid dans un des podcasts d'Axios, "c'est comme si, chaque jour, Trump faisait quelque chose pour Israël. D'abord l'ambassade des États-Unis à Jérusalem, puis le retrait du deal nucléaire avec l'Iran, et la reconnaissance du plateau du Golan, un territoire stratégique et objet de contestations, comme partie d'Israël".

Pour Barak Ravid, l'objectif de Trump était d'attirer les Israéliens, avant de consacrer son deuxième mandat à faire revenir les Palestiniens à la table des négociations.

Or ces grands gestes ont non seulement fait définitivement fuir les Palestiniens, mais aussi contribué à ce que Netanyahu tente d'aller plus loin. Pour l'auteur, ce dernier commençait à "voir la présidence de Trump comme un moyen de sauver sa carrière politique".

Netanyahu prêt à tout pour l'annexion de la Cisjordanie

Celui dont "la situation légale se dégrade", compte tenu des accusations de "corruption, de fraude, etc.", pensait pouvoir "stopper l'investigation à son encontre" en gagnant les élections. Et pour gagner, il espérait "convaincre Trump de soutenir l'annexion, juste avant les élections", explique Barak Ravid.

Néanmoins, l'annexion, à travers laquelle l'occupation devient permanente, est "interdite par le droit international". C'est pourquoi Netanyahu avait besoin du soutien du pays le plus puissant au monde" pour le faire.

Si Donald Trump et son gendre Jared Kushner s'opposaient totalement à l'annexion, David Friedman, avocat de Trump spécialisé dans les faillites, nommé ambassadeur américain en Israël, y était favorable. Selon Barak Ravid, "Friedman a déclaré aux Israéliens que Trump irait dans le sens de l'annexion. Mais il n'informe pas la Maison-Blanche de ce qu'il avance aux Israéliens".

Netanyahu, Friedman et Dermer vont tenter d'inciter Trump à adhérer au projet d'annexion de la Cisjordanie en l'annonçant le 28 janvier 2020, lorsque le Premier ministre israélien prend la parole à la Maison-Blanche et déclare qu'Israël va "imminemment annexer la Cisjordanie".

Selon Barak Ravid, pour Trump, "c'était allé trop loin". Netanyahu et Friedman ont été "forcés à revenir sur tout ce qui a été dit concernant le plan d'annexion".

À la suite de cet événement, l'ambassadeur israélien à Washington, Ronald Dermer, a déclaré à Jared Kushner que "Netanyahu ne savait plus s'il pouvait refaire confiance au président Trump". C'est pourquoi Kushner, avec qui il était ami, l'avait viré de son bureau. Pour Barak Ravid, il s'agissait là du "niveau le plus bas dans la relation entre l'administration Trump et le gouvernement Netanyahu".

Pourtant, c'est de cet échec que vont naître les accords d'Abraham, "presque par accident", "dans une tentative de stopper l'annexion illégale de la Cisjordanie".

Netanyahu, qui ne souhaite reculer devant rien, fixe la date du 1er juillet 2020 comme étant celle d'une "deadline" à partir de laquelle il procédera à l'annexion de la Cisjordanie "même sans le feu vert" du président américain. C'est là qu'entre en jeu Avi Berkowitz, ami de Jared Kushner et assistant adjoint de Donald Trump.

Une semaine avant la deadline, Avi Berkowitz est envoyé à la rencontre de Netanyahu. Il aura fallu trois réunions et quelques menaces de part et d'autre (annexion sans feu vert pour Israël et retrait du soutien international pour les Américains) avant de trouver un semblant de solution : celle de proposer la normalisation avec les Émirats arabes unis en contrepartie de l'abandon de l'annexion de la Cisjordanie.

C'est la solution suggérée un an plus tôt par Youssef Al Oteiba, ambassadeur des Émirats arabes unis aux États-Unis.

Abandonner l'annexion en contrepartie de la normalisation

Selon Barak Ravid, Al Oteiba s'est rendu au domicile de Jared Kushner un dimanche matin, en mars 2019. "Il lui déclare que les Émirats arabes unis souhaitent normaliser les relations avec Israël, ce qu'aucun pays arabe n'a fait en vint-cinq ans."

"Dans les coulisses, il y avait une relation clandestine pendant un quart de siècle (...). Il y avait même un bureau diplomatique secret d'Israël à Dubaï (...). Cette graine plantée par Yousef Al Oteiba va porter ses fruits un an plus tard en transformant une crise diplomatique nationale en une percée historique qui remodèle le Moyen-Orient", poursuit Barak Ravid.

Selon ce dernier, Netanyahu a tenté de négocier la participation de trois pays arabes au lieu d'un, ce qui lui a été refusé par l'administration Trump. Il a également tenté de se rétracter vingt-quatre heures avant la réunion téléphonique des trois pays concernés, avant de céder sous la pression américaine, y compris celle de David Friedman, qui a fini par "laisser tomber son fantasme d'annexion de la Cisjordanie".

"Le jour même de l'annonce, le ministre des Finances du Bahreïn a contacté la Maison-Blanche et demandé à ce que son pays soit le prochain". Selon Barak Ravid, la normalisation des relations entre les Émirats arabes unis et Israël est "la couverture qui manquait au Bahreïn pour normaliser sa propre relation secrète avec Israël".

"Le 15 septembre 2020, et pour la première fois en vingt-six ans, deux pays arabes acceptent de normaliser les relations avec Israël. Il s'agit des Émirats arabes unis et du Bahreïn. Quelques mois plus tard, le Maroc et le Soudan rejoignent les accords d'Abraham", conclut le journaliste israélien.

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