Jours d'incertitudes en Tunisie qui élit dimanche son parlement

La Tunisie vit ce dimanche les troisièmes élections législatives libres depuis la révolution. Les contradictions politiques, les difficultés économiques et sociales, l’éclatement du champ politique, créent une situation imprévisible.

Jours d'incertitudes en Tunisie qui élit dimanche son parlement

Le 5 octobre 2019 à 18h58

Modifié le 11 avril 2021 à 2h43

La Tunisie vit ce dimanche les troisièmes élections législatives libres depuis la révolution. Les contradictions politiques, les difficultés économiques et sociales, l’éclatement du champ politique, créent une situation imprévisible.

Ce dimanche 6 octobre, auront lieu les élections législatives tunisiennes. Celles-ci connaissent un seul tour avec un scrutin proportionnel plurinominal à listes bloquées et au plus fort reste.

>Un duel Karoui-Ghannouchi.

Le paysage politique tunisien est très éclaté, avec plus de 200 partis politiques et un éparpillement inédit des intentions de vote. 217 sièges sont à pourvoir. Selon les sondages (confidentiels) qui circulent et dont le plus récent date d’une semaine :

-ce sera d’une part un duel entre “9alb Tounes“ (Au cœur de la Tunisie, ou La Tunisie du Cœur), le parti de Nabil Karoui. Et Ennahdha, le parti de Rached Ghannouchi.

-d’autre part, le premier arrivé devrait se contenter, selon ces sondages, d’une cinquantaine de sièges au maximum, bien loin de la majorité de 109 députés. Pire, l’hémicycle devrait accueillir une myriade de partis, de coalitions et de listes indépendantes.

Selon la Constitution, le parti arrivé en tête se voit confier la tâche de constituer le gouvernement. S’il n’obtient pas la majorité dans un délai de deux mois, le président désigne un autre parti.

Sauf surprise de dernière minute, aucune majorité évidente et homogène ne se dégagera d'emblée. Et pour cause, les indépendants seront tellement nombreux qu’aucune majorité ne sera possible sans leur appoint.

Qui sont ces indépendants ? Une grande partie d’entre eux, mais pas la totalité, se réclament de la pureté révolutionnaire et de la révolution de 2011, et soutiennent Kais Saïed. Donc sont hostiles à Nabil Karoui et sa formation. Et en partie à Ennahdha.

>La dialectique des forces en présence en Tunisie

La Tunisie est intéressante à suivre car c’est un laboratoire de l’après-printemps arabe.

Après la révolution, dans chacun des pays dits du printemps arabe, les deux forces principales en présence se sont opposées. En Egypte (comme en Algérie auparavant), il s’agissait de l’armée contre les islamistes.

En Tunisie, l’armée était trop faible et surtout écartée du jeu politique et de la sphère économique.

Les deux forces qui se sont opposées ont été l’islamisme d’un côté ; la laïcité de l’autre. On dit laïcité comme appellation générique, car c’est comme cela que se qualifie parfois la grande famille démocrate ou libérale au sens le plus large.

En 2011, aux premières élections, Ennahdha est arrivé en tête. Le camp démocrate était décimé mais il s’est reconstitué autour des organisations parfois emblématiques que sont l’UGTT (syndicat), l’Utica (patronat), l’ordre des avocats et la Ligue des droits de l’Homme. Puis il s’est reconstitué en parti autour de Beji Caid Essebsi et de Nida Tounes. Ce parti a remporté les législatives de 2014.

On avait donc longtemps cru qu’Ennahdha et les héritiers de Bourguiba étaient les deux seules vraies forces du pays.

Mais tous les observateurs, ou la majorité écrasante d’entre eux, ont oublié une troisième force, une force invisible, celle des exclus, des marginaux, des déshérités, des précarisés, chômeurs (diplômés ou pas), des pauvres ou des déclassés, de ceux qui ont porté leurs espoirs sur la révolution mais que celle-ci a déçus.Ce sont des sans-voix, peu organisés, éparpillés, n'ayant que peu de moyens.

C’est cette force qui a créé la surprise en 2019, aux présidentielles et aux législatives. Adieu la polarisation classique entre conservateurs et modernistes.

Kais Saïed et Nabil Karoui ? Ce sont eux. 9alb Tounes ? Ce sont eux. Ennahdha est tombée à moins de 13% des voix au premier tour de la présidentielle. Nida Tounes, l’ex parti présidentiel, est moribond.

>Un risque d’instabilité politique.

Quel que soit le résultat des législatives, l’équilibre sera précaire. Dans le camp démocrate, outre l’éparpillement des voix, les couteaux sont tirés et les haines palpables et publiques. De plus, le camp démocrate acceptera-t-il de faire bloc autour de Nabil Karoui, le sulfureux homme d’affaires, magnat des médias, suspecté de blanchiment et de fraude fiscale, embastillé ?

Et même s’il faisait bloc, sa majorité serait très serrée et donc fragile.

>Un Chef de gouvernement en prison…

… et en lice pour le second tour de la présidentielle.

Situation inédite dans le monde, à cause d’un conflit de lois : d’un côté le code pénal, de l’autre la loi électorale qui garantit le droit de Karoui à faire campagne à égalité avec son et ses concurrentes.

>Des enjeux externes qui sont visibles.

La Libye et l’Algérie, les deux puissants et remuants voisins. Et surtout les interventions certaines et documentées, du Qatar et des Emirats, chacun pour un camp.

>Le camp démocrate est resté dans le même système.

En gouvernant depuis 2014, le camp démocrate a reconstitué ou toléré la reconstitution d’une partie de l’ancien système. Les mêmes têtes sont revenues pour la plupart, dans les médias, les affaires et la politique.

Les candidats les plus en vue de ces élections législatives et présidentielles sont des candidats anti-système.

A l’issue d’un mandat de 5 ans, le camp démocrate n’a pas su ou pas voulu combattre efficacement une corruption galopante. Appelez-les comme vous voulez, laïcs, rationalistes, démocrates, libéraux, modernistes : ils sont depuis l’aube des temps otages de leur incapacité à forger et respecter une morale autonome indépendante de la religion. La démocratie, c’est le règne du droit positif. Peut-on vraiment évoquer aujourd’hui en Tunisie une indépendance judiciaire ? Ou un droit autonome ? Non, malheureusement.

>La liberté ne fait pas vivre.

La situation économique est catastrophique et il est probable qu’elle va s’aggraver après les élections : législatives le 6 octobre, deuxième tour des présidentielles le 13 octobre.

Entre 2003 et 20010, le taux de croissance moyen en Tunisie était de 4,8%. De 2011 à 2018, il est tombé à 1,7%. Le déficit budgétaire a plus que doublé (5,2%). Le déficit du compte courant triple (9%). Les effectifs de la fonction publique augmentent de 50% et la masse salariale dans le budget dépassé le double de ce qu'elle était.

Au final, la transition tunisienne, économique et politique est plus longue que prévu. Elle va encore demander une dizaine ou une quinzaine d'années selon les experts locaux. Le pays a essayé l'islamisme et en est sorti plutôt vacciné. Maintenant c'est la tentation du populisme mâtiné d'anarcho-islamisme et de nationalisme arabe.

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