La glorieuse armée égyptienne enchaîne les actions spectaculaires: après avoir emprisonné une pauvre cigogne (si, si)  française accusée d’espionnage, puis auditionné des responsables de Vodafone pour la pub d’une marionnette soupçonnée de contenir un message codé aux Frères musulmans, la voilà qui affirme fièrement avoir inventé une machine capable de guérir le SIDA et l’hépatite C. Pour certains, cette fantastique avancée scientifique n’est qu’une histoire à dormir debout, sortie de l’imaginaire délirant de l’armée pour préparer le terrain des prochaines élections. Pour d’autres, il s’agit d’un exploit scientifique majeur. 

A ce jour, la machine est classée top secrète et aucun scientifique étranger à l'armée n'est autorisé à l'approcher. Aux dernières nouvelles, le porte-parole de l’armée, Ahmed Ali, a annoncé que toute personne souhaitant avoir les détails sur la machine peut directement contacter l’armée à l’adresse [email protected]. Un homme de communication!

Complete cure device, une percée scientifique sans précédent

«Soyez rassurés, nous avons vaincu le sida. Vous ne trouverez plus jamais de patient souffrant d’hépatite C après aujourd’hui, inchallah», a déclaré le général docteur Ibrahim Abdel Aaty, son illustre inventeur. Selon lui, le secret de cet appareil est comparable au mystère qui entoure les pyramides, et les virus une fois traités, sont si «inoffensifs qu’il peut les donner à manger au patient dans de la viande kofta».

Suite à cette métaphore raffinée, les internautes égyptiens l’ont affectueusement surnommé Abou kofta.

L’engin révolutionnaire, sobrement baptisé «Complete cure device» (engin qui guérit tout), a été développé depuis 22 ans dans le plus grand secret. Il fonctionne en produisant des ondes électromagnétiques qui pulvérisent les cellules infectées et injectent à la place des acides aminés. Le tout, sans douleur, et sans le moindre prélèvement sanguin. Du reste, le taux de réussite affiché est de 100%.

Une opinion publique dubitative

L’opinion publique reste dubitative et les chercheurs expriment des réserves, à l’instar de Islam Hussein, professeur et chercheur en virologie. Dans une longue vidéo intitulée «points d’interrogation scientifiques», il exprime son scepticisme quant au fondement de la démarche scientifique.

 Essam Heggy, conseiller scientifique de la présidence a qualifié l’invention de scandale scientifique. «Cette annonce nuit à la recherche scientifique comme à l’armée. Les découvertes scientifiques ne doivent pas faire l’objet de plébiscite pour une institution. Comment peut-on faire une telle annonce sans suivre les procédures scientifiques reconnues? C’est un scandale plutôt qu’une découverte», a-t-il tempêté.

La chaîne télévisée Elsharq a réalisé un documentaire sur Ibrahim Abdel Aaty: on y apprend que dans une autre vie, l’inventeur de la Complete cure device  apparaissait sur une chaîne religieuse dans un programme de guérison par le Coran et commercialisait des herbes censées guérir…l’hépatite C.

Même Mohamed El Baradei s’est fendu d’un tweet plein d’humour: «Si vous voulez construire une maison adressez-vous à un ingénieur, si vous voulez vous soigner adressez-vous à un docteur, mais si vous voulez manger adressez-vous à l’armée, elle fait une excellente Kofta ».

L’irrévérencieux Bassem Youssef, présentateur vedette de El Barnamag, a fustigé l’armée égyptienne en dénonçant une annonce mensongère visant à gagner la confiance du peuple, surtout que le maréchal Abdel Fattah al-Sissi est candidat probable à la présidentielle organisée au printemps prochain.

Pour les médias proches du pouvoir, il s’agit d’une bénédiction, d’un cadeau de Dieu. Pour Alaa Ismaïl, médecin au Centre des maladies épidémiologiques, il est prématuré de juger de l’efficacité de cet appareil qui doit être expérimenté. «C’est la façon dont a été annoncée cette découverte qui a donné lieu à cette campagne acharnée remettant en cause son efficacité. Il faut d’abord former un comité composé d’experts en la matière pour le tester et l’évaluer suivant les procédures scientifiques reconnues. Mais jusqu’à présent, il n’existe aucune information sur les aspects techniques de l’appareil et les cas des malades qui pourraient en profiter», a indiqué le médecin, rapporte le site Hebdo Ahram.

Le monde ne pourra en profiter

Le général docteur Ibrahim Abdel Aaty a assuré face aux caméras du pays qu’on lui a déjà  proposé 2 millions de dollars pour racheter son invention, chose qu’il a refusée.  Le génie est intransigeant: l’Égypte n’exportera pas cette machine révolutionnaire à l’étranger afin de la protéger du monopole international et du marché noir.