Sahara-Sahel : entre terrorisme et défis de la gouvernance

Michael A. Sheehan et Geoff D. Porter, enseignants à la West Point Academy aux Etats-Unis, analysent la situation actuelle au Sahara et au Sahel. Les tensions restent importantes et s’expliquent par des facteurs économiques, politiques et culturels.  

Sahara-Sahel : entre terrorisme et défis de la gouvernance

Le 27 février 2014 à 11h50

Modifié le 27 février 2014 à 11h50

Michael A. Sheehan et Geoff D. Porter, enseignants à la West Point Academy aux Etats-Unis, analysent la situation actuelle au Sahara et au Sahel. Les tensions restent importantes et s’expliquent par des facteurs économiques, politiques et culturels.  

Michael A. Sheehan et Geoff D. Porter s’interrogent sur la politique anti-terroriste américaine en Afrique dans un article d’analyse publié dans la revue de West Point, CTC Sentinel. Selon ces deux spécialistes, ces tensions sont appelés à croître à court et moyen termes et des leçons peuvent être tirées de la réaction multilatérale qui a servi à défaire AQMI au nord du Mali.

Le CTC de West Point est spécialisé dans l’étude du phénomène terroriste.

Notant tout d’abord que les troubles au Mali et en Somalie figuraient parmi les très rares dossiers de politique étrangère mentionnés par le président Barack Obama lors de son discours sur l’Etat de l’Union prononcé le 28 janvier dernier, Les deux auteurs estiment dans leur article que « le Mali est vite devenu une priorité urgente pour l’administration Obama (…), la réponse multilatérale fournissant plusieurs leçons sur la manière pour les Etats-Unis de répondre à ces menaces, selon la nature de la menace et la volonté d’autres partenaires d’y participer ».

Pour rappel, après les menaces des groupes affiliés à AQMI (Al Qaida au Maghreb islamique) dans le nord du Mali sur Bamako et la souveraineté du pays identifiées au cours du second semestre 2012, Paris avait monté l’Opération Serval dès janvier 2013 avec un appui logistique américain et marocain avant l’entrée en scène de troupes tchadiennes.

Milices religieuses, ethniques et régionalistes

Sheehan et Porter notent toutefois que « mis à part le succès de l’opération multilatérale au Mali, de nombreux acteurs non-étatiques violents sont actifs en Afrique, au nord et au sud du Sahara ». Ces groupes incluent des groupes jihadistes et des milices ethniques et régionalistes et de nombreux analystes tentent de comprendre les liens entre les différents groupes et leurs modes de collaboration.

Pour les auteurs, si ce point est important, il éloigne d’une réalité qui est que « tous ces groupes représentent déjà des menaces sérieuses à la stabilité de leurs propres pays ». Selon Sheehan et Porter, « la région présente un scénario dans lequel la somme est supérieure aux différentes parties prises à part », car ces groupes représentent une menace pour leur principal pays d’implantation mais également parce qu’ils contiennent tous une composante transfrontalière.

Pour Sheehan et Porter le premier défi à relever aujourd’hui est de prévenir que des groupes armés mènent des offensives comme celle tentée au Mali fin 2012, début 2013. En janvier 2013, les groupes armés concentrés au nord du Mali à la frontière algéro-malienne avaient entrepris de conquérir le pays en visant la prise de la capitale Bamako plus au sud. Bamako est située à moins de 700 km de Dakar au Sénégal ou de Conakry en Guinée.  

Cette menace avait fait réagir Paris, laquelle, dès janvier 2013, dépêche des avions de chasse et des troupes, tandis que les Américains fournissaient des avions-ravitailleurs, des avions de transport de troupes et du renseignement. Le rôle du Maroc a été d’autoriser le survol de son territoire et le ravitaillement et d’apporter un soutien en matière de renseignement.

Les opérations avaient permis de sécuriser et de contrôler les trois principaux centres urbains du pays situés le long du fleuve Niger, Bamako, Gao et Tombouctou. Et des élections purent être organisées dès juillet 2013.

Cette opération, notent Sheehan et Porter, a permis de rapprocher les Français et les Américains et dans une phase ultérieure, Washington a dirigé la formation de troupes nigériennes, mauritaniennes et burkinabés et fourni un drone de surveillance de type MQ-9 à l’Opération Serval.

Selon Porter et Sheehan, l’Opération Serval enseigne plusieurs leçons en matière d’opérations anti-terroristes, dont la première a été de bien identifier la menace et qui pouvait le mieux y faire face. « Une coalition internationale contre une menace d’Al Qaida doit être seulement menée par une puissance militaire telle que les Etats-Unis, la France ou la Grande-Bretagne », estiment Sheehan et Porter. « Ils sont les seuls pays capables de mener des opérations multilatérales complexes. Quand l’un des deux derniers pays dirige, les Etats-Unis peuvent fournir un soutien aérien, logistique et en renseignement ».

Pour Sheehan et Porter, également,  la possibilité pour les Nations Unies de fournir des Casques bleus ne doit pas être sous-estimée car leur présence libère les leaders de la coalition qui peuvent poursuivre les terroristes, mener des opérations spéciales, perturber leurs communications, rechercher et identifier caches et camps terroristes.

Bonne gouvernance, opportunités économiques, justice sociale

Cependant note les deux chercheurs américains, « l’Opération Serval a été une action fondamentalement réactive (…). Le terrorisme en Afrique du Nord, dans la Corne de l’Afrique, au Sahara et en Afrique subsaharienne semble être en augmentation, écrivent-ils. Si les motifs de l’émergence du terrorisme varient tout comme varient les motifs de la tendance haussière, il existe cependant des traits communs notent Sheehan et Porter.

« La région, notent-ils, est caractérisée par la rareté des opportunités économiques et une forte compétition pour celles qui existent, légales ou illégales. Les services de sécurité sont souvent inefficaces. Et il existe un mélange complexe d’idéologies, d’ethnicités et de nationalismes ».  Bien qu’il n’existe pas de données qui soutiennent l’idée que la pauvreté mène au terrorisme, les perceptions aigues de l’injustice inhérente à la répartition inégale des richesses et de la pauvreté peuvent pousser des individus vers des idéologies extrêmes, soit pour justifier leur combat pour soulager la pauvreté soit pour punir ceux qu’ils jugent responsables de leur pauvreté ».

Les auteurs prennent l’exemple de la marginalisation socio-économique des Touaregs du nord du Mali ; l’exemple de Boko Haram et Ansaru au Nigéria qui jugent le sécularisme de l’Etat source de corruption et d’inégalités ; la révolution tunisienne du Jasmin comme réaction contre l’injustice sociale et les émeutes de Ouargla et de Ghardaïa en Algérie contre la perception d’une répartition injuste et discriminatoire des opportunités d’emploi dans les secteurs du pétrole et du gaz. En Libye la contestation sociale a parfois tourné, notent les auteurs, sur la répartition des marchés de la fourniture de services aux compagnies pétrolières internationales.

En partie, notent les auteurs, la situation d’opportunités économiques limitée qui caractérise la région du Sahara et du Sahel vient de la mauvaise gouvernance. Dans certains cas, les gouvernements sont injustes et discriminatoires. Dans d’autres cas, les gouvernements sont absents, créant ainsi des espaces pour des activités économiques illicites qui profitent à des groupes terroristes et d’autres acteurs non-étatiques. Les auteurs citent les cas de la Somalie, de la Libye, de l’ouest tunisien du nord-Mali et du nord du Nigéria.

Pour rendre la situation plus complexe, notent Sheehan et Porter, « la projection inconsistante du pouvoir des Etats est exacerbée par des différences idéologiques et ethniques. Au Mali, la rébellion qui a démarré comme un mouvement séparatiste a été récupérée par les islamistes. Au Nigéria, Boko Haram et Ansaru sont contre les chrétiens mais également contre les soufis. Les Shabab de Somalie sont divisés en clans selon des lignes tribales et économiques.

En Tunisie, le débat fait  rage sur le rôle de la religion dans l’Etat et la société mais aussi sur l’usage de la violence par les salafistes. En Libye enfin, les nombreuses milices sont inspirées des ethnies, des régions, des interprétations de l’islam ou mêmes de quartiers urbains ou de banlieues périphériques. Il existerait actuellement en Libye plus de 100 chaînes privées de télévision, chacune correspondant à une tribu ou un clan …

« C’est dans cet environnement complexe que les organisations terroristes opèrent et évoluent, notent les auteurs qui estiment que l’instabilité dans un Etat peut facilement se transmettre au voisin. Actuellement jugent-ils, le Mali est loin d’être stabilisé. La Somalie est dans un état pire, avec la Libye pas loin derrière. Le Niger a commencé à tirer la sonnette d’alarme et la tendance en Tunisie est inquiétante. L’Etat algérien est fort mais les rancœurs sociales peuvent se révéler mortelles » concluent Sheehan et Porter.

« Dans certains cas les causes de l’instabilité sont liés et dans d’autres elles ne le sont pas, mais l’effet cumulatif pourrait être catastrophique », estiment-ils. Dans le cas des terroristes et des acteurs non-étatiques en Afrique jugent Sheehan et Porter, « la somme des différentes parties est plus grande que la somme de l’ensemble ».

 

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