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PLF 2024. Le principe de solidarité fiscale des dirigeants sur la TVA vivement critiqué par des experts

Proposé dans le PLF 2024, le principe de solidarité fiscale en matière de collecte et de versement de la TVA peut s’avérer “dangereux”. Pour des experts sondés par Médias24, la formulation actuelle de la disposition prévue dans le PLF 2024 doit être revue, voire supprimée. Détails.

PLF 2024. Le principe de solidarité fiscale des dirigeants sur la TVA vivement critiqué par des experts

Le 24 octobre 2023 à 13h39

Modifié 24 octobre 2023 à 15h50

Proposé dans le PLF 2024, le principe de solidarité fiscale en matière de collecte et de versement de la TVA peut s’avérer “dangereux”. Pour des experts sondés par Médias24, la formulation actuelle de la disposition prévue dans le PLF 2024 doit être revue, voire supprimée. Détails.

Dans son article 182, le projet de loi de finances 2024 prévoit d’instituer le principe de la solidarité en matière de TVA collectée et non versée au Trésor. L’objectif est de renforcer les moyens de lutte contre les pratiques visant à éluder le paiement de la TVA. Pour ce faire, il est proposé de mettre en place un principe de solidarité en matière de collecte et de versement de la TVA, de toute personne exerçant directement ou indirectement des fonctions d’administration, de direction ou de gestion de l’entreprise.

Cette mesure, qui n’en est qu’au stade de projet, risque de faire couler beaucoup d’encre. Elle est considérée, par des experts, comme “surprenante”, et “entourée de zones d’ombre”. Certains recommandent même de la supprimer. Médias24 a sondé trois experts, dont deux avocats et un expert-comptable. Voici leurs lectures respectives.

"Une sanction et non un recouvrement d'impôt"

“En cas de non-respect des obligations de déclaration et de paiement prévues par le présent code en matière de taxe sur la valeur ajoutée, toute personne exerçant directement ou indirectement des fonctions d'administration, de direction ou de gestion de l’entreprise demeure solidairement redevable de la taxe due, des pénalités et majorations y afférentes”, c’est ce que prévoit la nouvelle disposition du PLF 2024. Une disposition jugée “assez surprenante” par Me Zineb Naciri-Bennani, avocate aux barreaux de Casablanca et de Paris.

“Dans un premier temps, le dirigeant social ne peut être appelé à combler les dettes de la société que dans des cas précis prévus par la loi (faute de gestion, violation des statuts, violation des règles applicables aux sociétés, certaines infractions pénales et dans les conditions particulières prévues dans le cadre des entreprises en difficulté). Par cette mesure, le législateur vient tenir le mandataire social responsable pour la TVA non déclarée et non payée. Il s’agit d’une sanction et non d’un recouvrement de l’impôt, notamment s’agissant d’une personne non assujettie à la TVA et qui n’est pas intervenue à titre personnel dans l’opération soumise à cet impôt”, poursuit-elle.

Pour cette avocate, cette mesure est “inadaptée quelle que soit la forme sociale de l’entreprise”. Elle rappelle que “le dirigeant social n’est pas un assujetti. Il n’intervient pas directement dans l’opération concernée par l’application de la TVA et ne peut être tenu d’un paiement sans avoir lui-même qualité d’être assujetti à la TVA”.

Le dirigeant social ne peut être appelé à combler les dettes de la société que dans des cas déterminés prévus par la loi

De plus, elle relève que la formulation actuelle de cet article marque “une incertitude sur les personnes visées”. “Il semble, à la lecture des dispositions du projet de loi de finances, qu’il n’existe pas d’ordre à respecter dans ce cadre. La loi fait référence aux personnes exerçant directement ou indirectement les fonctions d’administration, de direction ou de gestion de l’entreprise. Il ne s’agit donc pas seulement du dirigeant social figurant au niveau du Registre de commerce et de l’imprécision de la loi. Cette absence de précision dans la formulation de la loi laisse un champ d’interprétation large et dangereux”, estime Me Zineb Naciri Bennani qui s’interroge sur “la situation dans laquelle il existe plusieurs mandataires sociaux, comme c’est notamment le cas pour les sociétés anonymes.”

Pour elle, “il convient de savoir s’il y aura une solidarité entre l’ensemble des mandataires sociaux”. Mais aussi de savoir “dans quelle mesure le mandataire social pourra disposer d’un recours afin de recouvrer les sommes payées au profit de l’entreprise”.

"Un principe qui existe déjà, sous certaines conditions"

Également contacté par Médias24, Me Omar Zizi, avocat au barreau de Casablanca et associé du cabinet KZ and Partners, rappelle que “le principe de solidarité fiscale du dirigeant au passif fiscal de la société qu’il dirige existe d’ores et déjà en droit marocain. En effet, en vertu de l’article 98 du Code de recouvrement des créances publiques, un dirigeant d’entreprise peut être tenu solidairement responsable du paiement des dettes fiscales d’une entreprise si les conditions suivantes sont réunies :

  • le dirigeant a effectué des ‘manœuvres frauduleuses’ ;
  • le recouvrement de l’impôt a été rendu impossible du fait desdites manoeuvres frauduleuses”, explique l’avocat.

“Si ces conditions de fond sont réunies, l’administration fiscale peut poursuivre les dirigeants concernés devant le tribunal de première instance par la voie d’une assignation à l’initiative du Trésorier général du Royaume, du directeur général des impôts ou du directeur général de l’Administration des douanes et impôts indirects.”

Me Omar Zizi explique que “dans le projet de loi de finances, il est indiqué que les dirigeants (de droit ou de fait) demeurent solidairement responsables du paiement de la TVA ‘en cas de non-respect des obligations de déclaration et de paiement prévues par le présent code en matière de taxe sur la valeur ajoutée’. Mais cette rédaction est ambiguë et nous amène à nous poser les questions suivantes :

  • Est-ce que les conditions prévues à l’article 98 du Code de recouvrement des créances publiques demeurent applicables pour engager la responsabilité solidaire d’un dirigeant au titre du passif fiscal d’une société ? Dans l’affirmative, ce nouvel article du projet de loi de finances n’a aucun intérêt puisqu’il convient de se référer à l’arsenal juridique existant.
  • Est-ce que les conditions prévues à l’article 98 du Code de recouvrement des créances publiques ne sont pas applicables en matière de recouvrement de TVA ? Dans une telle hypothèse, un dirigeant pourrait voir sa responsabilité personnelle engagée au titre du paiement de la TVA due par la société qu’il dirige dès lors que les déclarations et paiements y afférents n’ont pas été réalisés dans les délais impartis, même si :
    • celui-ci est parfaitement de bonne foi, et que le défaut de déclaration et/ou de paiement est dû à un simple oubli de sa part ;
    • il n’y a aucune circonstance menaçant le recouvrement de la TVA par l’administration fiscale auprès de la société concernée”. 

Par ailleurs, Me Omar Zizi souligne que “si les conditions prévues à l’article 98 du Code de recouvrement des créances publiques ne sont pas applicables en matière de recouvrement de TVA, quid de la procédure à engager contre le dirigeant ? Est-ce qu’une assignation devant le tribunal de première instance est nécessaire pour obtenir sa condamnation ?”

Pour cet avocat, “une telle mesure doit fait l’objet de clarifications, notamment au regard de sa compatibilité avec les dispositions de l’article 98 du Code de recouvrement des créances publiques”.

"Une disposition qui sort de la norme"

Pour Bennaceur Bousetta, expert-comptable, managing partner du cabinet BBO & Partners et président de la commission juridique et fiscale de la CFCIM, “il convient de préciser que la solidarité fiscale est la conséquence du principe général de solidarité tel qu’il est posé par le droit civil. À ce titre, les articles 164 à 180 détaillent le mécanisme et les conditions de mise en œuvre du principe de solidarité”.

“Sur le plan fiscal, le Code général des impôts consacre tout un chapitre à la solidarité fiscale ‘Dispositions relatives à la solidarité’ (articles 180, 181, 182 et 183). En vertu du principe de la solidarité fiscale, conçu pour renforcer la garantie de recouvrement des créances de l'État, un dirigeant d’entreprise peut être tenu solidairement responsable du paiement des impôts non versés, dans le cas où ses actions ont entravé le recouvrement des sommes dues à l’administration fiscale”, poursuit-il avant de rappeler que “plusieurs impôts sont concernés par la solidarité fiscale”.

“Il s’agit, notamment, de l’impôt sur le revenu (IR), de l’impôt sur les sociétés (IS), de la TVA, des taxes sur les profits fonciers et des droits de timbre. À noter qu’en matière de TVA, la solidarité fiscale s’applique en cas de cession du fonds de commerce, le cessionnaire est solidairement redevable de la taxe exigible pour la période du 1er janvier à la date de cession, s’il n’a pas souscrit, dans les trente jours qui suivent le commencement de ses opérations, la déclaration d’existence”, précise le président de la commission juridique et fiscale de la CFCIM.

Concernant l’article proposé dans le PLF 2024, Bennaceur Bousetta estime qu’un “premier constat majeur réside dans la focalisation de cet article sur la TVA, un des chantiers prioritaires du PLF 2024. Cependant, sa portée s'étend bien au-delà de la responsabilité des dirigeants et mandataires sociaux, du fait des enjeux juridiques qu'il englobe en visant ‘toute personne exerçant directement ou indirectement des fonctions d’administration, de direction ou de gestion de l’entreprise’. Cette formulation suggère que, même au sein de l'équipe financière, un directeur financier, un responsable financier ou un chef comptable, voire un prestataire de services tel qu’un expert-comptable ou un comptable agréé (dans les cas où la fonction financière est externalisée et où le prestataire se charge de la télédéclaration et du télépaiement sur la plateforme de la DGI), sont susceptibles de partager la responsabilité avec le dirigeant de l'entreprise en cas de non-paiement de la TVA dans les délais”.

Pour le président de la commission juridique et fiscale de la CFCIM, “il s’agit d’une disposition d’une importance considérable qui sort de la norme”.

Cela dit, il rappelle qu’il “ne s'agit pas de la première fois qu’une mesure de ce genre est intégrée dans le Code général des impôts. L'article 187 du CGI traite des sanctions en cas de fraude fiscale ou de complicité à la fraude, prévoyant qu'une amende équivalente à 100% du montant de l'impôt éludé s'applique à toute personne ayant pris part à des manœuvres visant à éluder le paiement de l'impôt, ayant assisté ou conseillé le contribuable dans la réalisation de ces manœuvres, quelle que soit sa fonction publique, en plus des sanctions disciplinaires. Cette mesure a été instaurée pour réprimer sévèrement les cas de fraude et la complicité dans de tels actes illégaux. Cependant, dans ce cas-ci (article 182-II prévu dans le PLF 2024), nous sommes confrontés à une forme de responsabilité collective et tous azimuts sans précédent”.

Pour Bennaceur Bousetta, “il serait plus judicieux d’abandonner cette disposition et de se référer à l'article 187 qui est déjà inscrit dans le Code général des impôts (CGI), car il couvre cette question. Il n'est pas nécessaire d'ajouter un second article, qui manque de clarté et est entouré d’incertitudes, cela risquerait de susciter des inquiétudes parmi les professionnels, les départements financiers et les directions générales. Si cette mesure devait être maintenue, il serait impératif pour ces acteurs de faire preuve de vigilance accrue, voire de revoir les clauses de leurs contrats pour envisager, le cas échéant, des garanties et des polices d'assurance relatives à ce type de risques”.

Il serait plus juste d'évaluer chaque situation individuellement, en prenant en compte les circonstances et les intentions des dirigeants

De son côté, Me Omar Zizi précise que ce principe de solidarité “existe notamment en matière de redressement ou de liquidation judiciaire. En effet, lorsque la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire concernant une société commerciale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que cette dernière sera supportée, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous ses dirigeants ou seulement certains d'entre eux”.

Pour lui, “le principe de solidarité fiscale (au sens de l'article 98 du Code de recouvrement des créances publiques) ne doit pas être remis en question dans la mesure où il permet de dissuader les dirigeants de prendre des décisions irresponsables ou frauduleuses qui pourraient entraîner des dettes fiscales importantes, et remettre en cause leur recouvrement”.

“Toutefois, l’élargissement de son application par le biais de cette loi de finances (en supprimant les conditions prévues à l’article 98 du Code de recouvrement des créances publiques) nous semble injuste, car il pourrait conduire à punir des dirigeants qui ont agi de manière responsable et de bonne foi, sans intention de frauder ou de causer des dettes fiscales importantes. Il serait plus juste d'évaluer chaque situation individuellement, en prenant en compte les circonstances et les intentions des dirigeants, plutôt que d'appliquer automatiquement ce principe sans discernement”, conclut Me Omar Zizi.

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