Analyse. Le prix de la tomate, entre les sirènes de l'export et les contraintes locales

Le niveau des prix des légumes, et plus particulièrement de la tomate sur le marché local, suscite bien des passions et touche directement le pouvoir d’achat des citoyens. Une problématique complexe, qui deviendra récurrente surtout à l'approche du Ramadan, si des solutions pérennes ne sont pas apportées. Analyse.

Analyse. Le prix de la tomate, entre les sirènes de l'export et les contraintes locales

Le 17 février 2023 à 10h50

Modifié 17 février 2023 à 11h57

Le niveau des prix des légumes, et plus particulièrement de la tomate sur le marché local, suscite bien des passions et touche directement le pouvoir d’achat des citoyens. Une problématique complexe, qui deviendra récurrente surtout à l'approche du Ramadan, si des solutions pérennes ne sont pas apportées. Analyse.

La hausse des prix des légumes en général, et des tomates en particulier, préoccupe l’opinion publique, incitant le gouvernement à constituer une commission interministérielle de suivi des prix et de l'approvisionnement des marchés.

Cette hausse saisonnière des prix est provoquée en grande partie par les conditions climatiques, notamment la vague de froid qu’a enregistrée le Maroc les premières semaines de janvier. Le phénomène bien connu des Marocains, communément appelé Liyali, a induit, surtout dans la région d’Agadir, principale région productrice de tomate primeur (hivernale), un ralentissement du cycle de croissance de cette plante, ce qui a limité la production et donc l’offre sur le marché.

Selon les producteurs contactés, la vague de chaleur de fin octobre a aussi influé sur la période de floraison, induisant des pertes importantes.

Régulation des exportations

La région d’Agadir, en l’occurrence la province de Chtouka Ait Baha, est la principale zone de production et d’exportation de la tomate au Maroc, avec près de 4.000 hectares dédiés à cette activité. Quand les producteurs de la région s’enrhument, c’est tout le Maroc qui tousse. Produite sous serre, la tomate d’Agadir permet de satisfaire les besoins nationaux en cette période hivernale, mais surtout d’exporter d’octobre à avril, aussi bien les variétés rondes (faisant l’essentiel de la consommation marocaine) que fragmentées (cerise, cocktail, etc.), représentant plus de 54% des exportations du Maroc.

Deux facteurs créent une situation nouvelle, où le marché national va de plus en plus entrer en concurrence avec les marchés à l’export : la concomitance de la haute saison d’exportation des tomates avec le mois de ramadan où la demande augmente fortement, mais aussi le dérèglement climatique. D'où les hausses des prix, mais aussi les décisions, assumées ou pas, de réguler les exportations.

En effet, selon nos sources, l’une des principales mesures décidées lors de la dernière visite du ministre de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts, Mohammed Sadiki, dans la région d'Agadir, le mardi 14 février, a trait à la mise en place d'un mécanisme de suivi des prix, notamment en régulant les exportations.

Une assertion relativisée par Lahoucine Aderdour, président de la Fédération interprofessionnelle marocaine de production et d'exportation des fruits et légumes (FIFEL). "Le rôle de la commission est le suivi de la situation. Les mesures déjà prises, en plus d’une météo plus clémente, ont déjà permis une baisse des prix au niveau du producteur de 30% à 40%. Il ne s’agit nullement de limiter les exportations ou de les réguler." Selon une autre source, la commission a décidé de lutter contre les exportations anarchiques, en limitant l’accès des exportateurs occasionnels aux stations de conditionnement, régulant de fait les exportations.

Subvention par l’export

Le problème de la concurrence entre exportation et marché local est complexe, mais se fonde sur une réalité économique simple : l‘essentiel de l'offre dirigée vers le marché local en hiver vient des volumes non exportés, que ce soit les écarts de triage des stations de conditionnement de la région d’Agadir, ou le retournement du marché européen avec une baisse des prix, ce qui se traduit par une préférence des producteurs pour le marché local.

Selon l’économiste, expert en agriculture, Hassan Benabderazik, "le coût de revient de la tomate sous serre est tellement élevé qu’il ne peut être couvert que par l’exportation, au vu des prix pratiqués sur le marché national. Les prix nationaux sont, de fait, subventionnés par l’export".

En effet, selon les divers producteurs et professionnels consultés, ce coût de production dans des conditions moyennes tourne autour de 3,5 à 4 DH le kilogramme. À cela doivent s’ajouter le conditionnement, l’emballage, le transport, etc. Et tout changement dans les conditions de production, d’ordre climatique ou en termes d’intrants, fait grimper ces coûts en conséquence.

Les prix de vente de la tomate marocaine sur les marchés européens (rondes et en grappes) étaient de 1,58 € dans les pays de l’Union européenne en 2022. Concernant plus particulièrement la tomate ronde, sur le marché français, principal pays de destination des exportations marocaines en Europe, la moyenne des prix à l’import entre février 2022 et janvier 2023 a été de 1 € pour le calibre 57-67 mm, 1,04 € pour le calibre 67-82 mm et 1,17 € pour le calibre 82-102 mm. Une moyenne de 1,07 €/kg contre une moyenne de 1,34 €/kg pour les catégories similaires de tomates espagnoles.

Au Maroc, la moyenne des prix de la tomate tourne autour de 6 DH/kg, et varie selon les saisons et les qualités entre 3 et 10 dirhams. Il est donc économiquement rationnel qu’une partie de la production hivernale, notamment les tomates rondes, soit consacrée à l’exportation vers des marchés plus rémunérateurs, notamment  l’UE, la Grande-Bretagne, le Moyen-Orient et les USA.

Ce qui reste au Maroc, ce sont les invendus de l’export, soit à cause des standards de qualité, soit à cause des prix en Europe qui peuvent chuter. Une partie de ces volumes commence aussi à s’exporter vers les marchés d’Afrique de l’Ouest, notamment la Mauritanie, le Sénégal, le Mali... Elles peuvent aussi être réexportées vers le marché maghrébin.

L’export priorisé

Selon les statistiques de l’Office des changes, les quantités orientées vers l’Afrique subsaharienne restent minimes et n’ont pas dépassé 38.000 tonnes en 2021, sur un total de 630.000 tonnes de tomates exportées. Jusqu'en septembre 2022, les chiffres de l’Office indiquent 20.000 tonnes de tomates exportées vers l’Afrique, alors que ce chiffre était de 28.000 tonnes pour la même période de 2021. Globalement, les légumes frais ne représentent que 5% des échanges entre le Maroc et l’Afrique de l’Ouest.

En revanche, selon les chiffres diffusés par la Commission européenne, les exportations marocaines de tomates entre janvier et décembre 2022 ont atteint près de 550.000 tonnes. Sur la même période en 2021, ces exportations étaient de 475.000 tonnes. Alors même que les conditions climatiques étaient défavorables au Maroc cette année, notamment avec la sécheresse et l’arrêt de l’irrigation de certaines superficies, ainsi que l’inflation des intrants, le pays a surperformé en matière d’exportation.

Ainsi en moyenne, les exportations marocaines vers l’Europe ont augmenté de 16,8% sur les trois derniers mois de l’année 2022, correspondant aux trois premiers mois de la saison d’export. Pour le seul mois d’octobre, l’augmentation était de 24,4% avant de se stabiliser à +8,2% en décembre. Durant la dernière semaine de janvier 2023, les expéditions de tomates marocaines en Europe ont rebondi de 13,7% en volume par rapport à la même période l’année dernière, avant de baisser significativement durant les deux premières semaines de février. Selon les experts contactés, la demande supplémentaire adressée au Maroc vient en grande partie de l’augmentation des prix de l’énergie en Europe, ce qui a découragé les producteurs néerlandais, français et belges à produire dans leurs serres chauffées.

Vers une production dédiée au marché local

Ces volumes supplémentaires influent-ils sur le marché marocain ? Sans aucun doute, car les arbitrages qui se font entre export et vente sur le marché local sont fonction du prix et de la demande. Face à une demande plus importante, et des prix plus rémunérateurs observés notamment entre octobre et janvier en Europe, les producteurs ont largement préféré le marché européen - ce qui est légitime -, tendant de fait à aligner les prix locaux sur ce qui se fait en Europe.

Une tendance de fond qui a déjà été observée l’année dernière au mois de mars, encore une fois à l’approche du mois de ramadan, synonyme de crispation à la suite de l’augmentation des prix des denrées alimentaires, notamment de la tomate. Ce qui fait dire à Hassan Benabderazik que "la décision de réguler les exportations pour baisser les prix locaux est dramatique. Nous avons connu la même situation avec les producteurs de légumineuses, une culture importante, qui ont complètement perdu leurs marchés en faveur des Turcs. Aujourd’hui, toute la filière d’exportation de légumineuses a été détruite".

Et d’ajouter, "on ne peut plus continuer avec une logique de subvention des prix locaux à travers les exportations. Il faut une production destinée au marché local, synonyme d’une acceptation d’une hausse pérenne des prix de la tomate, ce qui permettra de réduire la volatilité des prix et la spéculation qui va avec".

Avec une consommation de 400.000 à 600.000 tonnes par an, et un pic pendant le mois de ramadan, le marché marocain offre des débouchés importants, encore faut-il qu’il ne soit pas phagocyté par la demande à l’export.

 

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