La police de l'eau : une opérationnalisation entravée par plusieurs dysfonctionnements

Le Maroc dispose d'une police de l'eau depuis 2018. Néanmoins, sur le terrain, cette police accuse plusieurs dysfonctionnements, d'après plusieurs acteurs sondés par Médias24. D'où l'appel du Souverain pour son opérationnalisation dans son discours de Trône.

La police de l'eau : une opérationnalisation entravée par plusieurs dysfonctionnements

Le 18 septembre 2024 à 16h28

Modifié 18 septembre 2024 à 17h29

Le Maroc dispose d'une police de l'eau depuis 2018. Néanmoins, sur le terrain, cette police accuse plusieurs dysfonctionnements, d'après plusieurs acteurs sondés par Médias24. D'où l'appel du Souverain pour son opérationnalisation dans son discours de Trône.

Dans son discours à l’occasion du 25e anniversaire de son accession au Trône, le Roi a appelé à l'opérationnalisation de la police de l'eau, rappelant que la préservation de cette ressource est une responsabilité nationale qui engage tout un chacun. Sondés par Médias24, différents acteurs de l'eau reconnaissent effectivement la défaillance de cette police pourtant d'une importance majeure en ces temps difficiles.

Selon l'Agence du bassin hydraulique (ABH) de Souss-Massa, la police de l'eau fait face à des difficultés dans l'accomplissement de ses missions. Il s'agit notamment de la multiplicité des textes législatifs régissant la surveillance du domaine public hydraulique ; la multiplicité des intervenants et l'absence de coordination ; l'insuffisance des ressources humaines et des moyens nécessaires pour constater les infractions ; la faible communication des ABH avec l'autorité judiciaire pour sensibiliser à la gravité des infractions portant atteinte à la loi sur l'eau ; la faiblesse dans le suivi du sort des procès-verbaux de cette police devant les tribunaux ; le cadre juridique insuffisant la régissant, comparé à celui des agents des eaux et forêts, par exemple ; l'absence de notification aux ABH des actions en justice et de l'issue des procès-verbaux par le ministère public ; la prononciation de jugements légers et d'acquittements dans certains cas, malgré la constatation des infractions ; la difficulté à exécuter les décisions de fermeture des installations hydrauliques illégales et la non-application des dispositions de l'article 131 de la loi sur l'eau par les autres intervenants.

Manque de ressources humaines et insuffisance des financements

Pour d'autres acteurs, le problème n'est pas l'absence d'opérationnalisation en soi. Ce sont plutôt les difficultés rencontrées par la police de l'eau, notamment la pénurie d'agents et l'insuffisance des financements qui entravent son bon fonctionnement.

"La police de l'eau est opérationnelle sur le terrain. Celle-ci émet, globalement, quelque 1.000 procès-verbaux par an. Néanmoins, elle rencontre beaucoup de difficultés. D'abord, au niveau de la disponibilité des ressources humaines. Prenons l'exemple du bassin de Bouregreg Chaouia. Sur une étendue de 20.000 km2, ce bassin dispose, tout au plus, de seulement cinq agents. À cette problématique s'ajoute également l'insuffisance des financements qui doivent suivre", apprend Médias24 auprès d'une source informée.

"Nous sommes en train de remédier à ces problèmes. Nous avons, à ce titre, initié une première action, notamment une convention que nous avions signée en 2023 avec la gendarmerie. En vertu de cette convention, les ABH peuvent désormais faire appel à la gendarmerie qui prêtera son appui aux agents de la police de l'eau. Un premier bilan de cette collaboration sera dressé en fin d'année", précise la même source.

"Le chevauchement des activités des différents départements impliqués est à l'origine de la non-opérationnalisation de la police de l'eau" (Afilal)

Le vice-président de la commune de Casablanca, en charge de la propreté et de l’eau, estime de son côté que la multiplicité des acteurs dont relève la police de l'eau fait qu'elle est défaillante. Ahmed Afilal suggère que la gestion de cette institution soit du ressort exclusif du département de l'Eau.

"La non-opérationnalisation de la police de l'eau revient au chevauchement des activités des différents départements dont relève cette dernière, alors qu'elle doit relever exclusivement du département de l'Eau. Face à ce constat, nous avons pensé à la création, au niveau de la ville de Casablanca, d'une police locale de nettoiement et de l'eau que nous sommes en train de monter. Nous sommes en phase de recrutement des agents qui constitueront cette police. Nous sélectionnerons des profils issus des communes et des arrondissements. Les profils les plus intéressants seront recrutés".

Les agents de la police de l'eau sont en effet nommés par décision de chacune des autorités gouvernementales chargées de l'Eau, de l'Agriculture et de la Santé, ainsi que des directeurs des Agences des bassins hydrauliques (ABH) et des Offices régionaux de mise en valeur agricole (ORMVA), lit-on dans le décret signant son entrée en service, en 2018.

Les missions de la police de l'eau

Pour rappel, la police de l'eau n'est pas nouvelle. Elle a été instaurée il y a 28 ans, et réactivée fin 2017 pour une entrée en service en 2018, après que le Conseil de gouvernement a approuvé le projet de décret n° 2.18.453 portant sur les conditions et les modalités de nomination de ses agents et de l'exercice de leur fonctions.

En vue de protéger les ressources en eau contre les effets négatifs de la pollution et de toute forme d'exploitation illicite des eaux souterraines et superficielles, la loi n° 36-15 relative à l’eau, adoptée en 2016, a accordé au contrôle du domaine public hydraulique une importance particulière, confiant cette mission à la police de l'eau.

Cette dernière est chargée de surveiller et de contrôler les violations commises contre les cours d'eau publics. Elle intervient dans le domaine public hydraulique composé de toutes les eaux continentales, qu’elles soient superficielles, souterraines, douces, saumâtres, salées, minérales ou usées, ainsi que des eaux de mer dessalées écoulées dans le domaine public hydraulique et des ouvrages hydrauliques et leurs annexes affectés à un usage public.

En vertu de la loi précitée, les agents de la police de l'eau sont chargés de constater les infractions et d'établir les procès-verbaux. Ils ont accès aux puits, aux forages et à tout autre ouvrage ou installation d'utilisation ou d'exploitation du domaine public hydraulique dans les conditions fixées par la loi relative à la procédure pénale. Ils peuvent requérir du propriétaire ou de l'exploitant d'une installation de captage, de prélèvement ou de déversement, la mise en marche des installations afin d'en vérifier les caractéristiques. À ces fins, lesdits agents sont tenus de se présenter en fournissant la carte professionnelle qui leur est délivrée.

Les creusements sans autorisation représentent 90% des infractions liées à l'eau

"Les creusements sans autorisation viennent en tête de liste des infractions constatées par la police de l'eau, représentant 90% de l'ensemble des infractions. La pollution, l'occupation illicite du domaine public hydraulique et l'extraction de matériaux sans autorisation sont les autres violations constatées sur le terrain", révèle notre source.

En cas de manquements, les agents de la police de l'eau, après présentation de leur cartes professionnelles, peuvent en effet émettre des contraventions, suspendre les travaux et procéder à des saisies de matériels ayant servi au détournement des eaux.

Des sanctions sont prévues par la loi n° 36-15 relative à l’eau. En voici quelques exemples :

  • Quiconque aura détruit, par quelque moyen que ce soit, en tout ou en partie, les ouvrages et installations suivantes : puits et abreuvoirs à usage public, canaux d'irrigation ou de drainage affectés à un usage public ainsi que les terrains régulièrement acquis, qui sont compris dans leurs francs bords, les digues et les barrages ainsi que leurs retenues, les aqueducs, les canalisations, les conduites d'eau et les séguias, affectés à un usage public, est puni d'un emprisonnement de 1 à 12 mois et d'une amende de 6.000 à 25.000 DH ou de l'une de ces deux peines seulement, à moins que les moyens employés ne justifient une qualification pénale plus grave.
  • Quiconque aura prélevé des eaux de conduites ou de canalisations d'amené ou de distribution d'eau sans l'accord préalable de la personne habilitée par l'administration à gérer lesdites conduites et canalisations, est puni d'un emprisonnement de 1 à 3 mois et d'une amende de 1.000 à 5.000 DH ou de l'une de ces deux peines seulement.
  • L'agence du bassin hydraulique ordonne la fermeture des prises d'eau qui seront reconnues sans droit ou auraient été réalisées sans autorisation. Si après mise en demeure, dont les délais peuvent être réduits à 24 heures en cas d'urgence, il n'est pas satisfait aux injonctions de l'ABH, celle-ci prend d'office et aux frais du contrevenant les mesures nécessaires, sans préjudice des peines prévues par la législation en vigueur.
  • En cas de constatation, dans les périmètres d'irrigation aménagés et équipés par l'Etat, d'un prélèvement non autorisé ou supérieur au débit autorisé, d'une irrigation non autorisée ou en dehors des heures fixées ou d'un vol d'eau, et sans préjudice des pénalités encourues pour l'infraction commise, le contrevenant est astreint à payer à titre de redevance supplémentaire, une somme égale au double de celle correspondant à la tarification normale des mètres cubes d'eau dûment prélevés.
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