Startups : la recette à succès du miracle israélien

Nous avons passé une semaine en Israël à l’occasion du Sommet de l’investissement organisé par le fonds OurCrowd. L'occasion de constater de visu ce que l’on appelle ici “le miracle israélien” dans la Tech et l’innovation, domaines qui font du petit Etat hébreu la plus grande usine d’idées et de startups dans le monde.

Grands acteurs du capital risque, startuppers, chercheurs… tous professionnels de la Tech se sont donné rendez-vous à Jérusalem pour ce 10e anniversaire le Global Investor Summit. Photo Tomer Foltyn

Startups : la recette à succès du miracle israélien

Le 20 février 2023 à 15h36

Modifié 20 février 2023 à 17h10

Nous avons passé une semaine en Israël à l’occasion du Sommet de l’investissement organisé par le fonds OurCrowd. L'occasion de constater de visu ce que l’on appelle ici “le miracle israélien” dans la Tech et l’innovation, domaines qui font du petit Etat hébreu la plus grande usine d’idées et de startups dans le monde.

C’est un véritable voyage vers le futur que nous avons entrepris entre le 13 et le 18 février en Israël. Nous y sommes allés sur invitation du fonds d’investissement OurCrowd, qui organisait à Jérusalem son 10e anniversaire. Le Global Investor Summit a accueilli les plus grands acteurs du capital-risque dans le monde, des startupers, des chercheurs, des professionnels de la Tech, venus découvrir l’univers de l’investissement en Israël. Le Maroc était également représenté par une délégation menée par l’AMDIE, comptant de jeunes entrepreneurs, des investisseurs et des membres de l’administration.

Pour les délégations de journalistes venues du monde entier, OurCrowd a organisé tout au long de l’évènement des visites et des rencontres avec près d’une trentaine de startupers qu’il compte dans son portefeuille.

 

L'écosystème israélien compte plus de 9.000 startups dont 74 licornes

 

En dix ans d’existence, ce fonds a déjà investi plus de 2 milliards de dollars dans l’amorçage de projets portés par de jeunes Israéliens. Il compte aujourd’hui plus de 380 startups dans un portefeuille naviguant dans la cybersécurité, la foodtech, l’agritech, la fintech, les technologies de l’espace et du monde quantique, la santé, la défense… Et ce n’est qu’une infime partie de l’écosystème israélien, qui compte plus de 9.000 startups, dont 74 licornes, ces jeunes entreprises fraîchement créées et déjà valorisées à plus d’un milliard de dollars.

Pour un pays de 9 millions d’habitants, c’est le plus grand nombre de startups par habitant dans le monde, soit une jeune pousse pour 1.000 habitants. Ceci pour le volume. Le chiffre du contenu donne également le tournis : 200 fonds de capital-risque avec une mise annuelle moyenne de 10 milliards de dollars, soit la première place d’investissement dans l’innovation dans le monde.

De quoi faire de ce secteur de la Tech un des plus grands moteurs de l’économie locale, contribuant à plus de 10% du PIB et la moitié des exportations du pays, qui ont totalisé en 2022 plus de 160 milliards de dollars.

Mieux encore, cette industrie naissante, quasi inexistante il y a moins de deux décennies, contribue aujourd’hui à hauteur de 15% des emplois privés dans le pays. Près d’un Israélien sur neuf travaille dans l’univers des startups… Une nouvelle “économie” que seule la Silicon Valley californienne peut concurrencer.

Comment Israël a-t-il pu réaliser ce “miracle”, terme qu’on entend sur toutes les lèvres ici ? De nos entretiens avec les startupers locaux, les investisseurs, les responsables publics, on peut dégager, sans être exhaustif, une recette simple, efficace et qui s’est révélée gagnante.

 

Pour Israël, l’innovation est une question de survie

 

Le premier ingrédient qui nous paraît essentiel et décisif dans cet essor : l’intervention de l’Etat. Car si Israël est un pays ultralibéral, le domaine de l’innovation et de l'entrepreneuriat est considéré ici comme une question de souveraineté, une sorte de prérogative régalienne.

Le pays s'est doté depuis 2016 d’une agence publique, l'Autorité israélienne de l’innovation, à l'origine de l’émergence de tout cet écosystème de startups.

Selon le schéma que nous ont décrit plusieurs personnes rencontrées sur place, cette autorité intervient principalement à travers deux formules.

La première est une approche dite “bottom-up”, où l’autorité reçoit des demandes de financement de toutes parts pour des projets innovants. Cela va du projet modeste porté par un jeune à un grand projet porté par un industriel ou une multinationale installée sur place. Les dossiers sont étudiés, et l’autorité finance, au terme du processus de sélection, la moitié des frais de recherche et développement.

“Le seul critère pour choisir un dossier, c’est son apport en termes d’innovation et de développement. Mais à deux dossiers équivalents, la priorité est donnée au projet ou au secteur où il n’y pas d’investissement et de financement privés. Car l’autorité n’a pas vocation à remplacer le privé, mais à constituer un complément, à faire émerger de nouvelles choses, de nouveaux projets, de nouveaux secteurs où le privé viendra investir par la suite”, souligne un responsable de l’Autorité israélienne de l’innovation.

L’intervention étatique prend ici la forme d’un prêt. Mais un prêt pas comme les autres. Car, dès le départ, cette agence, qui tourne avec un budget annuel de 500 millions de dollars, intègre le facteur risque, l’échec.

 

Cinq dollars de rendement économique pour chaque dollar investi

 

“On finance 50% du projet de recherche. S’il réussit et aboutit à un produit commercial, l’entrepreneur nous rembourse sous forme de royalties. Si le projet échoue, le prêt est perdu et est comptabilisé sous forme de subvention. Quand on fait le compte, rien ne se perd, bien au contraire. Pour chaque dollar investi dans ces programmes, l’impact sur l’économie est de cinq dollars”, explique notre interlocuteur.

Cinq dollars de rendement économique pour un dollar investi, voilà le résultat de cette politique de dépense publique dans la R&D, qui considère l’échec comme quelque chose de normal, et même un passage obligé. Ce programme intelligent a non seulement contribué à faire éclore des projets portés par des jeunes, mais également à attirer des multinationales dans le pays. Aujourd’hui, comme nous le signale notre source, Israël compte pas moins de 350 centres de R&D appartenant à des multinationales.

La deuxième approche est plutôt “bottom-down”. L’Autorité israélienne de l’innovation identifie ici des secteurs clés, ayant un fort potentiel technologique, avec un impact considérable sur l’économie et l'avenir du pays, mais aussi du monde.

Des programmes dédiés sont ainsi façonnés dans les domaines de l’intelligence artificielle, les biotechnologies, les technologies du climat, le quantique…

“Pour ces secteurs, on cherche à promouvoir l’écosystème des startups en travaillant sur la régulation, la formation, la création d’incubateurs et d’accélérateurs de projets”, précise notre source.

Des appels d’offres sont lancés à l’adresse de porteurs de projets israéliens, mais aussi étrangers qui veulent apporter leur expertise. L’autorité finance une partie des charges de création et d’exploitation des incubateurs qui s’installent pour répondre à la demande de l’Etat. Et si un projet à fort potentiel émerge, les pouvoirs publics le financent à hauteur de 85%. Toujours selon le même mode : des prêts qui peuvent être remboursés sous forme de royalties ou qui seront perdus en cas d’échec du projet.

Au total, l’agence reçoit plus de 4.000 demandes de financement de projet par an. “Il y a des succès et des échecs. Mais c’est cela notre rôle, prendre des risques pour ouvrir la voie aux financements privés”, poursuit notre source de l’Autorité israélienne de l’innovation.

 

“Les porteurs de projets n’ont pas forcément besoin de capital, mais de commandes”

 

Le fonds OurCrowd, comme d’autres, a émergé grâce à cette formule. Le rêve de tout financier est de s'engager dans des projets à moindre risque, et c’est ce que l’Etat, à travers cette autorité, réalise : “dérisquer” des projets d’innovation qui sont par nature à haut risque.

“Quand l’Etat mise sur un projet qu’il identifie comme prioritaire pour ses besoins ou les besoins de l’économie, et apporte 85% du financement pour l'amorcer, il est tout à fait normal de le suivre. Cela réduit notre mise à 15% ou 20% au maximum, avec des chances de succès plus importantes qu’un investissement qui passe par la voie classique”, nous apprend un responsable du fonds.

C’est la démonstration grandeur nature que les porteurs de projets n’ont pas forcément besoin de capital, mais de commandes. Et ceux qui intègrent les programmes de l’Autorité israélienne de l’innovation savent qu’ils travaillent sur des services ou des produits qui trouvent déjà preneur : l’Etat israélien tout d’abord, dans les secteurs de la défense, l’éducation, la santé, mais aussi le secteur privé, dans la finance, l’agriculture…

Le résultat des courses est impressionnant : l’émergence de milliers de startups, dans plus de 350 incubateurs, devenues le fer de lance de l’économie israélienne et de son soft power dans le monde.

 

Avant de développer des startups, il faut investir massivement dans la R&D

 

Un modèle qui est difficilement duplicable dans nos contrées, car cette autorité et son mode de fonctionnement ne sont pas nés d’hier ou de l’avènement d’internet et de l’effet de mode engendré par les acteurs de la Sillicon Valley.

Et si l’agence porte le nom de "Israel Innovation Authority" depuis seulement sept ans (en 2016), son existence remonte à cinquante ans. Elle était connue sous le nom de "Office of the Chief Scientist", une structure dont la charge exclusive était de développer la recherche et développement dans le pays.

“Israël est un État qui est en perpétuelle guerre depuis sa naissance en 1948. L’avance technologique n’est pas perçue ici comme un luxe ou une simple vision économique, mais comme une question de survie. C’est pour cela que l’Etat a investi très tôt dans la R&D. C’est ce qui a préparé le terrain plus tard à l’explosion du nombre de projets et de startups”, nous explique un investisseur israélien.

Les chiffres en disent long sur cette 'obsession' israélienne : près de 5% du Budget public est investi dans la R&D, contre une moyenne de 2,38% dans les pays de l’OCDE. C’est le premier Etat en termes d’investissement dans la recherche dans le monde en regard du PIB, et la deuxième terre en nombre de chercheurs par habitant. Des chercheurs issus presque tous d'universités israéliennes, à la pointe de la technologie, à l’image de la quasi-majorité des jeunes startupers, homme et femmes, que nous avons rencontrés, tous diplômés de l’Université de Tel-Aviv, de l’Université hébraïque de Jérusalem ou de l’Institut Weizmann, l'équivalent de Stanford, Harvard et MIT à la sauce locale.

Contrairement au Maroc où nos jeunes startupers sont souvent des ingénieurs ou des diplômés d’écoles de commerce, les fondateurs de jeunes pousses en Israël sont généralement des chercheurs en physique, en chimie, en biotechnologie, en astronomie, en médecine, en agriculture… De jeunes patrons titulaires de PHD, avec des années de laboratoire au compteur…

Avec des programmes de R&D qui existent depuis un demi-siècle, le nombre de brevets et d'innovations se comptent en dizaines de milliers. Le nombre de chercheurs également. Des têtes bien faites ayant expérimenté de nouveaux process, et prêtes à passer au stade supérieur : industrialiser leurs idées, leurs projets. Ce n’est qu'à partir de cette étape qu’on commence à parler d’incubation, de business plan, de financement…

En résumé, c’est la recherche universitaire ou en entreprise qui est à l’origine de ce succès de l’écosystème de la Tech israélienne. Et on ne parle pas de recherches académiques vouées à rester dans les tiroirs ou les rayons de bibliothèques, mais de recherches d’application qui répondent à des besoins concrets. Des recherches qui sont en train de transformer le monde et notre manière de vivre.

A l’image de ces startups que nous avons visitées, dont certaines ont réussi à extraire l’oxygène de la pierre et envisagent d’aller à la conquête de la lune, produire du fer et de l’acier avec un simple procédé chimique à base de sodium sans besoin de fours hyper consommateurs en énergie, fabriquer des matériaux de construction sans ciment, du filet de saumon à partir de plantes, réduire le taux de carbone dans l’atmosphère en enfouissant des arbres au fond de la mer noire, guérir le cancer en reprogrammant notre ADN, concevoir un système de santé où le patient n’aura plus à se déplacer à l’hôpital, produire un nouveau légume vert capable de fournir tous les nutriments nécessaires à l'homme dans des “fermes” qui ressemblent à des serveurs informatiques…

“De la magie ?”, avons-nous lancé à un des chercheurs à l’origine de ce projet fou. “No, it’s just science !”, nous répond-il en toute simplicité.

 

Le service militaire, premier incubateur de startupers…

 

En plus d'une formation locale, ces entrepreneurs israéliens qui sont en train de changer le monde ont un autre point commun : ils sont tous passés par l’armée à un très jeune âge, et ce, quels que soient leur classe sociale, leur niveau d’éducation, leurs origines... Ici, le service militaire est obligatoire pour tous : trois ans pour les garçons, deux ans pour les filles.

“L’armée joue un grand rôle dans la formation de l’élite israélienne. C’est d’abord la première pourvoyeuse de fonds pour la R&D, et les jeunes enrôlés apprennent certes à manier des armes, à défendre leur pays, mais sont formés également à l’esprit d’entreprendre, aux méthodes de la recherche et développement et sont intégrés très tôt dans des programmes de recherche. L’essentiel des startupers dans la cybersécurité par exemple sont sortis avec des projets et des idées inspirés de leur service militaire”, nous explique-t-on.

Un startuper israélien rencontré sur place témoigne de ce passage dans l’armée et nous apprend qu’au-delà de l’apprentissage, le service militaire forge un caractère de gagnant. “Quand on est postés devant la frontière et qu'on traverse des moments de tension, tout vous paraît plus tard simple à vivre, aucune épreuve ne peut vous faire vaciller. On sort avec un esprit d’endurance, de résilience, de prise de risque, avec l’idée qu’on est tous engagés dans un projet commun. On cultive aussi un esprit d’entraide entre nous, puisqu’on se retrouve plus tard à l’université ou dans le monde professionnel. Quand un camarade de l’armée vous demande un service, vous faites tout pour l’aider dans la mesure du possible.”

Un entrepreneur marocain rencontré également sur place nous fait remarquer que c’est cet esprit d'entraide qui fait défaut ailleurs. “Quand tu es un jeune Israélien, tu as accès à un large réseau qui t’aide, te soutient. Tu peux avoir le numéro de téléphone du numéro deux de l’Etat, d’une grande banque ou d’un fonds d’investissement en passant simplement deux coups de fil. Au Maroc, tu demandes le numéro d’un responsable, on te balade, on te cache l’info… Ce n’est pas propre au Maroc, c’est également le cas en Europe”, nous confie-t-il.

 

Des startupers à la conquête du monde

 

Autre particularité de ces entrepreneurs : ils pensent global. Quand ils développent un projet, ce n’est pas seulement dans l’objectif de fournir le marché israélien, mais pour irriguer le monde entier. Cet état d’esprit découle de la nature même de cet Etat, d'une taille modeste et au marché très étroit.

“Jusqu’à la signature des accords d’Abraham qui ont permis une ouverture sur notre région, nous étions une sorte d’Etat insulaire. Si vous ne pensez pas international, vous êtes condamnés à rester petits. D’où ce réflexe naturel qu’ont tous les jeunes Israéliens dans leur process de création, où ils pensent à des projets, des produits et des services qui peuvent se vendre dans le monde entier, pas seulement sur le marché local”, décrit un investisseur israélien.

Résultat : une centaine d'entreprises israéliennes sont cotées aujourd’hui au NASDAQ, et cette manière de penser global a permis au pays de devenir le cœur de l’investissement étranger dans l’innovation. Au point que près de 90% des capitaux investis dans des startups israéliennes sont d’origine étrangère : américains, européens, asiatiques, mais aussi marocains, à travers le fonds UM6P Venture qui détient actuellement deux startups israéliennes dans son portefeuille.

Tous ces investisseurs étrangers misent sur les compétences du pays, sa culture de l’innovation, pour faire émerger des technologies, des produits et des services exportables dans le monde entier et susceptibles d'être valorisés à des milliards de dollars sur les grandes places financières.

 

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