Électricité : l'avis du Conseil de la concurrence propose de changer profondément de modèle

DOCUMENT. L'avis du Conseil de la concurrence, qui vient d'être rendu public, pointe les limites du modèle actuel, les dettes colossales de l'ONEE, et propose un nouveau modèle qui ouvrirait le marché à la concurrence, avec un régulateur fort et indépendant du secteur privé.

Électricité : l'avis du Conseil de la concurrence propose de changer profondément de modèle

Le 26 avril 2024 à 18h22

Modifié 26 avril 2024 à 18h57

DOCUMENT. L'avis du Conseil de la concurrence, qui vient d'être rendu public, pointe les limites du modèle actuel, les dettes colossales de l'ONEE, et propose un nouveau modèle qui ouvrirait le marché à la concurrence, avec un régulateur fort et indépendant du secteur privé.

L'avis du Conseil de la concurrence, très attendu et dont l'imminence avait été révélée par Médias24, a été publié ce vendredi 26 avril en fin d'après-midi. Hormis les satisfecit et les critiques, il propose de revoir "en profondeur" le modèle actuel, notamment pour dynamiser la concurrence sur ce marché. Voici le modèle cible qu'il suggère :

Les avantages du modèle actuel

Dans son avis, le Conseil estime que "grâce aux différentes politiques publiques et réformes successives menées, le modèle actuel a répondu aux enjeux liés à :

- la sécurité d’approvisionnement du pays en évitant, contrairement à d’autres pays, des situations de coupures de courant fréquentes et délestages sur les vingt dernières années, même dans des contextes marqués par des évènements tels que l’arrêt du gazoduc Maghreb-Europe et la flambée spectaculaire des cours internationaux des combustibles importés ;

- "la généralisation de l’accès à l’électricité grâce au succès du programme d’électrification du monde rural (PERG). Ce projet novateur et structurant a permis d’électrifier près de 13 millions d'habitants, avec un taux d’électrification atteignant 99,89%. Il représente l’une des grandes réussites du secteur grâce aux efforts déployés par les politiques publiques successives implémentées par l’ONEE " ;

- "l’ouverture de notre pays aux EnR avec l’adoption de la Stratégie énergétique nationale en 2009, qui a permis de placer progressivement le pays comme un pionnier en matière d’énergies renouvelables au niveau régional et continental.

Les limites d'un modèle qui s'essouffle

Cependant, malgré ces réalisations et acquis, la dynamique de mise en œuvre des réformes visant à rendre le marché plus concurrentiel et attractif pour les investisseurs montre des signes d’essoufflement, en raison des limites inhérentes au modèle actuel.

Ce modèle, qui repose encore largement sur une production à prédominance fossile, avec de contrats d’approvisionnement à long terme conclus dans des contextes spécifiques, pèse lourdement sur le marché dans sa globalité, ainsi que sur les équilibres financiers de l’opérateur historique en particulier.

"Dans ce contexte, le Conseil estime qu’il est nécessaire de revoir en profondeur le modèle actuel afin de dynamiser la concurrence sur le marché de la production d’électricité [ci-dessus] et d’accélérer le processus des réformes engagées. Cela passe par la définition d’un modèle cible en ligne avec les Hautes Orientations Royales, visant à rendre le fonctionnement de ce marché davantage efficace.

"Ce modèle, conçu pour s’inscrire dans la durée avec une planification sur le long terme (sur une période de 20 à 40 ans), nécessite une réévaluation de la configuration organisationnelle actuelle du secteur. Celle-ci est caractérisée par la prédominance de l’ONEE et sa présence sur tous les maillons de la chaîne de valeur, sans pour autant garantir une transparence accrue sur le coût réel de l’énergie.

Refonte du rôle et des missions de l'ONEE, désengagement progressif de la production et de la distribution

"Ainsi, le modèle proposé préconise une refonte du rôle et des missions de l’opérateur historique du marché. Il suggère un désengagement progressif de l’ONEE de la production et de la distribution d’électricité, afin de lui permettre de recentrer ses activités sur sa mission stratégique de planification et transport.

"Dans cette perspective, afin de permettre à l’ONEE de mener à bien ses missions dans le cadre de la nouvelle configuration, il est impératif de décongestionner l’Office de sa dette colossale actuelle, qui s’est accumulée au fil des années. Cette mesure est essentielle et conditionne la réussite du modèle proposé.

"En effet, la dette actuellement supportée par l’ONEE peut être divisée en trois grandes catégories en fonction de ses origines.

"Une première catégorie regroupe la dette induite par les facteurs suivants :

"- l’engagement de l’ONEE dans des programmes d’investissement en moyens de production coûteux et disproportionnés par rapport aux ressources financières générées, motivé par des considérations de généralisation du service public ;

"- le gel des tarifs de vente appliqués par l’Administration, justifié essentiellement par des considérations sociales, entraînant des marges négatives, surtout lors des périodes de flambée des cours mondiaux des combustibles importés. De plus, l’application d’un système de péréquation tarifaire entre les activités électricité et eau, ainsi qu’entre les tranches de consommation au sein d’une même activité ;

"- les engagements financiers du régime de retraite des salariés de l’Office via la Caisse commune de retraite (dette sociale), qui ont presque doublé en 10 ans (16,5 MMDH en 2013 contre 37 MMDH à fin 2022).

"Une deuxième catégorie concerne la dette résultant des investissements importants mobilisés par l’Office dans le segment de transport, une activité considérée comme stratégique. Ces investissements portent notamment sur le renforcement du réseau de transport à l’échelle nationale.

"Une troisième catégorie englobe la dette causée par l’impact des investissements réalisés par l’ONEE au niveau de l’activité de distribution, en particulier dans les zones rurales, qui sont structurellement déficitaires. Cette dette est amplifiée par les dysfonctionnements que connaît ce segment, notamment la faiblesse des taux de rendement du réseau de distribution, causant d’importantes pertes techniques et financières pour l’ONEE".

Créer une structure de défaisance pour restructurer la dette de l'ONEE

Pour restructurer cette dette, le Conseil propose de :

(i) Créer une structure de défaisance chargée de gérer la dette sociale de l’ONEE, celle liée à son activité de production, ainsi que la dette causée par le déficit de marges généré, résultant du différentiel entre les tarifs de vente et les coûts de revient.

(ii) Transférer la dette relative à l’activité de distribution aux différentes SRM qui seront créées. La dette accumulée sur l’activité de transport, elle, sera prise en charge par l’ONEE en sa qualité de GRT.

Une fois sa dette restructurée, et dans le cadre de la redéfinition des missions de l’Office, le Conseil propose :
"- Un désengagement de l’ONEE du maillon de la distribution, qui sera porté par les SRM. Conformément aux dispositions de la loi n° 83-21, ces SRM sont appelées à jouer un rôle capital au niveau local, en assurant la récupération, l’injection et la distribution de l’énergie électrique produite, notamment par les autoproducteurs et les opérateurs privés des EnR. Cela se fera par le développement et l’exploitation des réseaux de distribution adéquats et capables de remplir cette mission.

"- Une recentration de l’activité de l’ONEE sur le segment stratégique du transport en sa qualité de GRT. Cette recentration s’appuie sur l’expertise accumulé par l’Office dans ce domaine. Outre le transport, l’ONEE se chargera des missions de planification du réseau à l’horizon 2050 et la stabilisation du réseau électrique national, y compris les interconnexions pour assurer l’équilibre entre l’offre et la demande.

En ce qui concerne l’activité de production, le Conseil propose qu’elle soit portée essentiellement par le secteur privé. À cet égard, il convient de distinguer entre la production assurée dans le cadre des contrats PPA à des IPP, y compris Masen, et la production portée par des autoproducteurs et des producteurs privés dans le cadre de la loi n° 40-19.

"Pour la première catégorie, le Conseil propose une réévaluation des différents contrats PPA liés aux sources fossiles en cours, en distinguant entre les centrales de production non encore amorties et présentant des coûts d’achat élevés et non compétitifs, pour lesquels il convient de procéder à leur cessation immédiate, même s’il faut supporter une charge financière à cet effet.

"Cette démarche permettra de mettre un terme immédiatement au surcoût généré par ces contrats, moyennant une compensation versée en une seule fois. La charge financière résultant de la cessation des contrats PPA fossiles non compétitifs peut être transférée à la structure de défaisance qui sera créée pour gérer la première catégorie de dettes, citée antérieurement.

"Pour les autres centrales non encore amorties mais présentant des coûts d’achat compétitifs, il est proposé de maintenir les contrats avec les IPP correspondants, afin de sécuriser une partie des besoins en électricité du pays (par exemple, la moitié).

"Concernant les contrats PPA conclus par Masen, la même démarche est suggérée, mais en prolongeant la durée des contrats induisant des coûts d’achat élevés, en échange d’une baisse rapide de ces coûts (3 à 4 ans).

"S’agissant de la production à partir de sources d’énergie renouvelables, qui offrent une disponibilité tout au long de l’année (grâce à la complémentarité entre l’éolien et le solaire), elle sera portée par des autoproducteurs et producteurs privés dans le cadre de la loi n° 40-19 précitée. Cette production constituera une source importante pour sécuriser l’approvisionnement national en électricité et répondre aux nouveaux enjeux, notamment en matière de dessalement de l’eau de mer.

"À cet égard, le Conseil estime que la question du coût de production de l’électricité, qui reste un facteur déterminant pour l’investissement privé, peut être abordée dans le cadre de ce modèle proposé. Le prix de vente moyen d’électricité pourrait ainsi passer de près de 0,9 DH/kWh actuellement à 0,6 DH/kWh dans les vingt prochaines années pour les activités de production, compte tenu du vaste potentiel du pays en EnR.

Les consommateurs peuvent devenir des producteurs d'électricité

"En effet, une attention particulière doit être accordée à l’élargissement de l’assiette de l’offre, particulièrement sur le segment de la Moyenne et Basse Tension (BT) pour ce qui est du marché développé dans le cadre de la loi n° 40-19, afin d’encourager davantage la réalisation de projets renouvelables.

"Le Conseil souligne la nécessité de revoir le cadre légal et réglementaire de l’autoproduction pour le rendre plus incitatif. Cela permettrait de tirer pleinement parti du potentiel du Maroc en énergies renouvelables, d’autant plus que le pays continue d’importer de l’énergie électrique alors qu’il pourrait couvrir une grande partie de ses besoins en encourageant la production décentralisée avec des installations existantes.

"Ainsi, l’autoproduction de masse domestique et en BT peut constituer un levier important d’approvisionnement, où les consommateurs deviennent en même temps producteurs et fournisseurs d’électricité".

Dans le secteur agricole, 50.000 installations produisent de l'électricité

"À titre d’illustration, et rien qu’au niveau du secteur agricole, le Maroc dispose actuellement de plus de 50.000 installations solaires représentant un investissement total de plus de 5 MMDH. Ces installations produisent de l’énergie électrique qui, bien qu’étant disponible à un moment donné, est actuellement perdue alors que le pays en a besoin".

"En parallèle, étant donné que les énergies renouvelables, notamment solaire et éolienne, sont des sources d’énergie intermittentes, il est nécessaire d’intégrer la composante stockage en mettant en place un écosystème industriel de production de batteries pour véhicules électriques et de systèmes de stockage d’énergie".

Développer le parc de voitures électriques

À cet égard, le Conseil estime que le développement du parc des voitures électriques est une opportunité à envisager. En plus des avantages économiques qu’il présente, cela peut aider à l’amélioration de la flexibilité du système électrique national et au développement de l’intégration massive des EnR. En effet, les voitures électriques peuvent être chargées lorsque les conditions sont favorables, comme la journée, pour restituer l’énergie électrique dans le réseau électrique quand la demande augmente, notamment le soir. D’autre part, les batteries des voitures électriques, ayant une durée de vie moyenne de 8 à 10 ans, peuvent être réutilisées ultérieurement pour stocker l’électricité et équiper, entre autres, les bâtiments à usage d’habitation ou professionnels.

"Par ailleurs, compte tenu de l’immense potentiel en EnR du Maroc, le pays pourrait devenir une destination attrayante pour les producteurs étrangers des EnR. Cela pourrait attirer plusieurs investissements portant sur l’installation de capacités de production destinées à approvisionner le marché extérieur, particulièrement européen".

À cette fin, le Maroc pourrait bénéficier de cette dynamique future et exiger de ces producteurs, en contrepartie, et au moyen d’une contractualisation ou dans le cadre de conventions d’investissement conclus, d’avoir un droit de préemption sur une partie des capacités installées au Maroc destinée à l’export, dans les limites d’un pourcentage qui reste à définir par l’ONEE et avec un prix défini à l’avance sans obligation d’achat.

"Dans le cas où l’ONEE ne récupérait pas la production, le producteur privé aurait la possibilité d’écouler la production réservée sur le marché européen spot.

"Par ailleurs, l’élargissement de l’offre nationale en matière de production de l’électricité à base des EnR, conjugué à l’augmentation de la demande mondiale en énergie décarbonnée, ouvre de nouvelles perspectives de croissance à l’export. Cet élargissement va permettre à notre pays, par exemple, de capter une partie de la demande extérieure, notamment européenne. En effet, les besoins externes en capacité des pays européens sont estimés à 90 GW, dont 10 à 20 GW pourraient être captées par notre pays à court et moyen terme, compte tenu des connexions existantes via les interconnexions électriques.

"En contrepartie, le Maroc pourra réclamer un accès au marché européen de l’électricité, ce qui lui permettrait, d’une part, de réaliser des importations en cas de besoin et, d’autre part, de devenir un hub régional entre l’Europe et l’Afrique pour l’exportation de l’énergie électrique à faible coût et décarbonée.

"Au final, et pour compléter et réussir cette restructuration du marché, le Conseil considère qu’il est impératif de se doter d’un régulateur fort et indépendant des opérateurs privés, capable de garantir un bon fonctionnement du marché, en particulier sur le plan de la concurrence".

Voici par ailleurs le texte intégral de l'avis du Conseil de la concurrence :

Électricité au Maroc : un important rapport en vue

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