Bourse : la création de nouveaux compartiments de cotation insuffisante pour encourager les IPO (experts)

Mouna Ettazy | Le 17/11/2020 à 16:20

Bien qu’elle soit saluée par quelques experts du marché, l’ouverture d’un nouveau compartiment de cotation dédié aux Entreprises de Taille Intermédiaire ne suffit pas pour motiver ces entreprises à réaliser des IPO et ne résout pas le problème de retard de développement du marché boursier. Avis d’experts. 

La mise en place d’un nouveau compartiment de cotation pour les Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) par l’AMMC et la Bourse de Casablanca a été annoncée lundi 16 novembre. Cette initiative vient pour améliorer l’accès au financement de ces entreprises par le marché boursier en cette période de relance.

Toutefois, ce n’est pas l’ouverture d’un nouveau compartiment de cotation dédié qui va faciliter l’accès au financement des entreprises, de taille moyenne ou intermédiaire, par le marché boursier et ainsi contribuer au développement de ce dernier. C’est en tous les cas ce qui ressort des analyses livrées, à LeBoursier, par deux grands experts du marché, préférant s’exprimer sous couvert d’anonymat.

Le directeur d’une société de bourse de la place estime que «c’est une bonne initiative de la part de la bourse. C’est important d’avoir des compartiments de cotation dédiés. Mais je pense qu’il serait préférable d’accompagner cette initiative par des incitations fiscales et des mesures encourageantes. Il faut un coup de pouce assez franc et assez important qui ferait qu’une entreprise aille sur le marché boursier et pas vers d’autres sources de financement».

A rappeler que la Bourse de Casablanca a également créé un marché alternatif, dans le cadre de son nouveau règlement général, entré en vigueur en décembre 2019, s’adressant exclusivement aux petites et moyennes entreprises. Mais jusqu’à présent, ce compartiment n’a séduit aucune PME.

« On a par exemple le compartiment alternatif qui est déjà mis en place. Il faut que les entreprises sautent le pas pour l’intégrer. Pour cela, il faut d’autres mesures. Avec la crise actuelle, il y a beaucoup d’opérations qui pouvaient être réalisées sur ce marché et qui ont été peut être reprogrammées pour l’avenir. C’est clair que la crise a joué un rôle dans la morosité du marché, mais ce n’est pas le seul élément qui n’a pas encouragé les IPO des PME. La bourse gagnerait encore plus en attractivité si ces nouveaux compartiments sont accompagnés par d’autres mesures, notamment fiscales », continue notre interlocuteur.

Le nouveau compartiment n’est pas suffisant… les incitations fiscales non plus

Or il semble que la carotte fiscale n’est pas non plus suffisante pour faciliter l’accès des entreprises en bourse. Ce n’est pas là où réside le vrai problème. Le vice-président d’une banque d’affaires de la place, lui, estime qu’il n’y a à la base « pas de cadre sain pour développer les IPO » et que le problème vient « des émetteurs, des investisseurs et de l’Etat ». Il trouve qu’il y a « un problème de structure et de confiance émanant du sous-développement du tissu économique marocain ».

Et d’expliquer : « Nombreuses sont les entreprises qui sont grosses et qui réalisent des chiffres d’affaires assez consistants mais qui ne sont pas éligibles à une introduction en bourse tout simplement parce qu’elles ne sont pas structurées. C’est un problème du tissu économique marocain. Il y a très peu de de sociétés de taille moyenne ou même intermédiaire qui respectent les normes de gestion et de qualité et qui ne travaillent pas dans le marché noir ».

Il y a aussi un problème de transparence. « Mon rôle est de faire du Business développement, je cherche de nouvelles sociétés pour faire des opérations financières. Dans ce processus, j’ai remarqué qu’un nombre important d’entreprises marocaines n’ont pas envie de publier leurs comptes et de communiquer autour de leurs réalisations. Elles n’ont pas la culture de rendre des comptes. La bourse offre déjà plusieurs avantages, notamment fiscaux. Mais les entreprises qui grugent les impôts, ça ne les intéresse pas », s’indigne notre interlocuteur.

On n’en finit pas avec les problèmes de structure. « Il n’y a pas la prise de risque au niveau de l’industrie. On observe au niveau de plusieurs sociétés que leurs patrons se sont diversifiés dans l’immobilier à la place de mettre du cash dans le développement industriel de leur société. L’entrepreneur marocain n’est pas preneur de risque. De plus, il ne sait pas faire de la compétitivité autre que par les prix », continue-t-il.

S’ajoute à cela le problème des dettes fournisseur et leur délai de paiement. Notre interlocuteur souligne que « le problème des délais de paiement des dettes fournisseurs dégrade la santé financière de ces entreprises et freine leur développement. L’Etat aurait pu forcer toutes les sociétés à payer leurs dettes vis-à-vis de leurs fournisseurs. Mais, il ne faut pas oublier que l’un des plus grands clients à ne pas payer les entreprises c’est l’Etat. Donc, l’Etat ne montre pas l’exemple. Les sociétés, spécialement les PME, sont dépourvues de toute structure ».

Un autre problème s’ajoute à cette équation, d’après notre source : « le partage du capital est toujours un tabou. Généralement les entreprises marocaines se méfient de l’ouverture du capital. Elles ne travaillent qu’avec la banque et ne font pas appel au levier financier pour se développer ».

Selon notre interlocuteur, tous ces problèmes s’expliquent par le sous-développement de l’économie marocaine. « C’est un seul et même problème. Le tissu marocain n’est pas développé. Dans ce cas, les entreprises se développent comme elles le peuvent ». Et puis, « la crise actuelle est conjoncturelle. Je m’intéresse à l’aspect structurel. Même quand il y aura un rattrapage de l’économie, la situation ne devrait pas beaucoup changer ».

« Les investisseurs ne jouent pas le jeu »

Ces sociétés qui sont dans cet esprit, ou qui ne sont pas structurées et ne font pas preuve de transparence « ne vont pas intéresser les investisseurs. Ceux-ci cherchent des pépites, des sociétés qui font du rendement, qui sont à faible risque et qui vont cracher du dividende », estime notre interlocuteur.

A ce niveau-là, il importe d’évoquer un autre problème : « les investisseurs ne sont pas des preneurs de risque dans ce pays. Ils cherchent du rendement avant la prise du risque. Les investisseurs se focalisent sur les Blue Chip, c’est-à-dire les sociétés qui font de la rentabilité, qui ont leur rythme de croissance et qui génèrent des dividendes en continu. Ce qui n’est pas forcément ce qu’on peut trouver dans le marché. Les investisseurs ne jouent pas le jeu », ajoute-t-il.

Ainsi, « d’un côté on a des investisseurs qui ne veulent pas prendre de risque, de l’autre, on a des émetteurs potentiels qui ne sont pas structurés et qui n’ont pas la mentalité du partage de capital ».

C’est pour dire que « l’ouverture du nouveau compartiment ne servira à rien, à moins qu’il y ait un vrai accompagnement bien structuré qui intervient bien avant que l’entreprise ne décide de s’introduire en bourse », conclut notre source.

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