Salah ElOuadie: “Il faut séparer le politique et le religieux”

Vers quel modèle de société doit-on s’acheminer? Médias 24 a rencontré Salah El Ouadie, militant associatif et membre fondateur du mouvement Damir. Il nous livre, dans cet entretien, son analyse et sa vision.  

Salah ElOuadie: “Il faut séparer le politique et le religieux”

Le 29 janvier 2015 à 16h28

Modifié 29 janvier 2015 à 16h28

Vers quel modèle de société doit-on s’acheminer? Médias 24 a rencontré Salah El Ouadie, militant associatif et membre fondateur du mouvement Damir. Il nous livre, dans cet entretien, son analyse et sa vision.  

Médias 24: On assiste, un peu partout dans le monde arabe, à une montée du radicalisme religieux. Comment expliquez-vous ce phénomène?

Salah El Ouadie: Il faut être conscient d’une chose: la plupart des textes de la tradition, fatwas, interprétations, jurisprudences, sont une œuvre humaine.

De l’aveu même de plus d’un activiste anciennement considérés comme salafistes, ils nécessitent un révision qui doit aboutir à une «désactivation» en quelque sorte des textes qui peuvent contenir des discours qui incitent au rejet des autres confessions et qui poussent à la violence, et il y en a.

Si un musulman se sent offensé – à juste titre -  lorsqu’on se moque d’une façon ou d’une autre de l’Islam et du Prophète, il a l’obligation morale de ressentir le même malaise lorsqu’on se moque des autres religions.

Par conséquent, on doit se poser la question – brûlante plus que jamais – de savoir quels sont ces textes dans notre patrimoine qui entrent en contradiction, pour une raison ou une autre, avec les valeurs de liberté et de d’égalité devant la loi, prônés par tout le monde de nos jours.

C’est sur ces textes d'un autre contexte, que se basent les intégristes pour construire leur idéologie. Ils y trouvent l’appui et l’argumentaire imparables nécessaires pour commettre leurs forfaits.

Evidemment, ces mouvements extrémistes violents ne sont pas nés du néant, il y a des intérêts régionaux et mondiaux qui les commanditent. On peut trouver même chez certains jeunes – sans qu’ils soient acquis au «daeshisme» opérationnel -une haine envers l’européocentrisme ou l’occidentalo-centrisme, si je puis dire, haine qu’ils ne peuvent justifier que par ce qu’ils trouvent à portée de main comme argumentaire - même défaillant: ces textes correspondants à d’autres phases de l’histoire et qui ne sont plus en accord avec notre temps.

Notre responsabilité morale envers notre pays et envers le monde et envers l’Islam, nous dicte d’appeler à un grand travail de relecture de ce patrimoine afin de déclarer caducs les textes en question.

C’est d’ailleurs la responsabilité de tous: les instances religieuses, les intellectuels, les chercheurs, la société civile… Il est grand temps d’y faire face en bon ordre et pas n’importe comment bien sûr, afin d’aboutir à désactiver les corpus violents, à travers une révision historique de ces textes.

 

M24: Qu’entendez-vous par révision historique?

S.E.O: Cela sous-entend la mise en adéquation avec les valeurs des droits de l’Homme, qui soit dit en passant, constituent l’héritage perfectible de toute l’humanité.

Car, si par le passé, la principale référence d’un être humain était sa religion, aujourd’hui, cette approche n’a plus lieu d’être. Les temps ont changé, et l’approche des droits humains universels et indivisibles doit être prônée. En d’autres termes, il faut qu’on cesse de croire que les citoyens appartenant à une confession sont meilleurs que les autres.

 

M24: Pourtant, la plupart de nos concitoyens estiment que les valeurs de la société  sont issues de la religion et que seule la religion peut être source de morale…

S.E.O: C’est un amalgame très répandu. Nombreuses sont les personnes qui croient – de bonne foi -  que la séparation entre l’Etat et la religion est une séparation entre l’Etat et les valeurs. Ce qui est complètement à l’antipode de la pensée laïque.

En effet, le meilleur garant de l’intégrité de la religion, et de la préservation des valeurs reste la laïcité. Parce qu’une croyance religieuse n’a de valeur que si elle est basée sur le choix propre de la personne. Sinon elle n’est qu’hypocrisie sociale et misère morale.

Il n’est pas logique que l’on se batte pour que la laïcité soit de mise en Inde, afin de protéger la minorité musulmane -ce qui est complètement légitime- et la refuser là où ils sont majoritaires…

La séparation entre la sphère religieuse et la sphère politique est bénéfique pour les deux sphères.  Elle protège la religion dans ce qu’elle a de plus intime contre les abus du politique qui a tendance à manipuler le discours religieux pour servir ses propres intérêts. C’est une garantie pérenne pour l’instauration de l’Etat de droit.

 

M24: La laïcité, parlons-en. Beaucoup y voient une menace à la pratique religieuse. Qu’en pensez-vous ?

S.E.O: Il existe chez nous une grande confusion dans ce domaine. La laïcité défend le libre arbitre et protège les croyants de toutes les confessions. Elle garantit également la liberté du culte et de la pratique religieuse. Cela signifie que la religion conforte la pratique du droit de croyance, qui fait partie des droits de l’homme, ce qu’on oublie souvent, ou qu’on feint d’oublier!

Ce système interdit par exemple la conversion forcée, estime que toutes les valeurs spirituelles sont égales, et met les bases d’un droit positif capable d’évoluer avec son temps.

Au Maroc, nous avons au sommet de l’Etat un Roi Commandeur des croyants. Ce statut fait de lui, dans un esprit démocratique et d’attachement aux droits de l’Homme, un garant de la liberté de conscience et de la liberté de culte.

 

M24: Vers quel modèle de laïcité doit-on s’acheminer ?

S.E.O: Il existe dans le monde autant de modèles de laïcité que d’Etats laïcs! Mais comme nous ne connaissons que le modèle français, nous avons tendance à penser que c’est le seul qui existe. Ce modèle est issu de la confrontation entre l’Etat et l’église catholique. Et donc il est historiquement marqué par des péripéties violentes. Historiquement, dans ce cas, il y a eu intrinsèquement un rejet de la religion.

Pas si loin, en Allemagne, le modèle de laïcité est tout autre. L’Etat garantit le droit à la pratique religieuse, et va même jusqu’à l’organiser.

Au Maroc, il est grand temps d’ouvrir le débat afin d’élaborer, ensemble, le modèle de laïcité qui nous convient. Mais dans ce débat ne soyons pas prisonniers des mots…

 

M24: C’est un grand débat qui risque de heurter la sensibilité de beaucoup de Marocains. Par où faut-il commencer à votre avis ?

S.E.O: Nous avons assisté, il y a quelques jours à de grandes vagues de manifestations, dans le monde, de musulmans qui se sont sentis offensés par les caricatures du prophète.

Qu’on soit clairs, nous refusons les moqueries dirigées vers l’islam, comme nous les refusons aussi lorsqu’elles sont orientées vers d’autres religions.

Ce discours d’acceptation et d’ouverture doit être enseigné dans les écoles. Il faut apprendre aux enfants la relativité des choses, en introduisant dans le cursus scolaire -en plus des cours d'éducation religieuse éclairée et  apaisée- des cours d’histoire comparée des religions, en initiant les jeunes à l’art dans toutes ses formes d’expression, en distillant les principes de tolérance et de respect de la différence, en orientant nos écoliers vers l’appréciation du beau comme levier éducatif, beau dont les expressions se trouvent dans notre patrimoine comme dans celui des autres peuples …etc.

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