Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Nous sommes aussi du Sud Global

Le 11 mars 2024 à 14h45

Modifié 11 mars 2024 à 14h49

Depuis le déclenchement de la guerre d’Ukraine en février 2022 et de la confrontation entre l’Occident, menée par les États-Unis, et la Russie, les analystes et les politiques occidentaux font usage du terme sud-global pour qualifier l’ensemble des pays qui rechignent à prendre position dans ce conflit qui les intéresse peu. Ce terme, qui désigne également le Maroc, qui se situe à quelques kilomètres de l’Europe, fait référence aussi bien à une expression géopolitique que socio-économique.

Le terme sud global désigne les régions du monde situées principalement dans l’hémisphère sud, par opposition au nord développé. Il est caractérisé par un développement économique moins avancé par rapport aux régions du nord, industrialisées et riches. Il comprend souvent des pays se situant en Afrique, en Asie, en Amérique Latine et en Océanie. Par opposition, le nord global, terme également utilisé, est synonyme de contrées où le développement économique, industriel et technologique est dominant, tout comme le système politique basé sur la démocratie et les élections libres.

Le concept nord global correspond à l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée du sud. Ces pays occupent une position économique dominante et stratégique dans l’ordre économique et politique libéral mondial. Le nord a, par conséquent, un niveau de vie élevé, des infrastructures et des technologies modernes, un accès facile à tous les outils utiles au développement pour se différencier et dominer ce que l’on appelle le sud global.

Partant de cette définition sur le nord global, le sud global est logiquement tout le reste, c’est-à-dire toutes les nations en développement et les pays que l’on qualifiait hier de sous-développés, puis de pays en voie de développement pour ménager leur susceptibilité. Parmi ces derniers, s’y trouve également un sous-ensemble nommé les pays les moins avancés qui, aux yeux de la communauté internationale, sont les plus démunis de tous. Ils sont surtout les plus exploités par les anciennes puissances coloniales, comme c’est le cas des pays du Sahel par la France.

Si ce terme sud global reflète des réalités objectives, il traduit surtout les inégalités et les disparités entre ces deux mondes. Entre ceux qui possèdent les richesses, en plus de la force et des moyens de coercitions, et ceux du sud qui tentent, par leurs politiques de développement, de négocier avec les puissants du nord, l’amélioration de leurs positions géostratégiques. Au fur et à mesure que les nations se développent et se démocratisent, elles ont plus de chances d’intégrer le cercle des pays du nord global.

Le qualificatif sud global a été conçu pour la première fois par l’universitaire et écrivain américain Carl Oglesby, qui l’a utilisé en 1969 dans un article relatif à la guerre que menaient les États-Unis au Vietnam. Il a fait valoir que des siècles de domination du Nord sur le Sud global, ont convergé pour produire un ordre mondial intolérable. Ce terme de sud global s’est répandu depuis la fin du XXe siècle pour prendre l’ampleur qu’on lui connaît aujourd’hui. Le non-suivisme des pays du sud à l’égard de l’Occident dans la crise ukrainienne, puis le silence et l’appui de celui-ci à Israël face à la tragédie palestinienne, ont accentué le hiatus existant entre ces deux pôles.

Dans cet effort de conceptualisation des rapports entre les nations développées et celles qui le sont moins, le démographe et historien Alfred Sauvy inventait déjà le concept de tiers-monde en 1952. Dans son esprit, le monde de l’époque était subdivisé entre l’Est socialiste et l’Ouest libéral puis le tiers-monde, c’est-à-dire le reste des pays qui n’étaient alignés ni sur l’un ni sur l’autre. Ce terme s’est renforcé depuis la conférence de Bandung où une alternative au non-alignement commençait à voir le jour. Cela donnera plus tard le Mouvement des non-alignés, MNA, qui fut officiellement déclaré en 1961 à Belgrade, en ex-Yougoslavie.

En réalité, une grande partie du Mouvement des non-alignés était socialiste et prosoviétique, et reprochait à l’Ouest son impérialisme et son exploitation du tiers-monde. Lors d’une conférence du MNA tenue à Cuba en 1979, l’ancien président cubain Fidel Castro déclarait que le but du mouvement était d’assurer à ses pays-membres l’indépendance nationale, la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité face à l’Occident. Cet élan révolutionnaire s’est réduit au sein du mouvement depuis la dislocation du bloc de l’Est au début des années 1990.

En dépit de son poids économique dans le monde, le sud global a su se saisir du système multilatéral pour faire valoir ses droits et défendre collectivement ses propres intérêts face à l’hégémonie occidentale. En 1974, l’Assemblée générale des Nations unies adopte un ensemble de propositions préconisées par les pays en développement. C’est ce que l’on a appelé le Nouvel ordre économique international, dont l’objectif était de rendre justice aux pays du sud qui s’estimaient lésés par le nord.

Devant le peu de résultats obtenus, l’ONU adopte en 2015 les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) pour réduire la fracture entre le sud et le nord. Ces objectifs ont été déclinés en actions pour venir collectivement à bout des maux qui gangrènent le Sud. Ils concernent divers domaines prioritaires dont la lutte contre la faim, la promotion de la santé, de l’éducation et de l’égalité des sexes, entre autres. L’autre objectif majeur était la mise en place d’un véritable partenariat au niveau international pour le développement.

Mais malgré la mobilisation des organisations internationales, et la volonté affichée des Etats du Sud de rattraper le retard par rapport au Nord, les résultats restent mitigés. Les pays du nord global sont peu impliqués dans le développement du Sud, et ne font que reproduire les mêmes politiques qui perpétuent les mêmes dépendances d’hier. Cependant certains pays du sud, disposant de ressources humaines et matériels conséquentes, ont pu créer les conditions pour une croissance soutenue, comme c’est le cas de la Chine, de l’Inde ou du Brésil, entre autres.

Cet essor économique de certains pays émergeants comme le Maroc a permis de développer ce que l’on appelle communément la coopération sud-sud pour relever les défis de développement, notamment en Afrique. Ce nouveau concept a conduit au partage des expériences et à la mise en place d’une nouvelle solidarité, mutuellement bénéfique, profitant à toutes les parties. Ce nouveau partenariat sud-sud a enregistré des succès certains, et a permis d’enregistrer des résultats tangibles face à un système mondial toujours inégal imposé par le nord global.

Le concept du sud global, qui est sorti des laboratoires de l’Occident, comme les autres concepts du reste, n’est pas totalement neutre. Il n’est pas que géographique mais englobe des dimensions politiques, économiques et culturelles. Le choix même de placer le nord dans les cartes est le fruit de combinaisons de facteurs historiques qui continuent d’influencer notre monde d’aujourd’hui. Depuis Claude Ptolémée, un siècle après Jésus-Christ, ce natif d’Alexandrie d’origine grec plaçait l’Egypte au centre, et la Grèce qu’il aimait au nord.

L’expansion des pays occidentaux et leur conquête du monde au XVe siècle imposa définitivement cette vision de supériorité. Originaires de l’hémisphère nord, il leur était plus facile d’orienter leurs cartes vers les étoiles du nord en ligne de mire que de se référer au sud, considéré comme réserves de richesses et de bras. Cette pratique reposait sur une vision hiérarchique du monde qui perdure à ce jour, selon laquelle ce qui est en haut est supérieur à ce qui est en bas. Le sud n’est là que pour conforter et perpétuer la domination du nord.

Toutes les difficultés des pays du sud global proviennent de cette histoire qui n’est pas si ancienne et qu’il faudrait remettre en question. Le sud global fait face aux mêmes difficultés et défis qui découlent de cette inégalité. Ces handicaps ont trait à la pauvreté, aux inégalités sociales, à la qualité de l’éducation, à la défaillance des systèmes sanitaires, à l’instabilité politique, à la corruption, aux conflits armés, à la dégradation de l’environnement et à bien d’autres défis. Les regroupements régionaux, comme l’ensemble des pays de l’Asean en Asie du Sud-Est, ou les pays des Brics, sont les seules réponses et issues pour créer de nouvelles dynamiques, pour que le sud global fasse le contrepoids au nord global.

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