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L’alimentaire constitue notre plus grand défi climatique

Le 7 mai 2021 à 15h06

Modifié 7 mai 2021 à 15h15

Les discussions sur la politique climatique consistent souvent à déterminer qui paiera la transition vers une économie zéro carbone, l’accent étant particulièrement placé sur des secteurs industriels tels que l’acier et le ciment. Or, ces coûts sont globalement très faibles, et notre plus grand défi réside dans le système alimentaire, pas dans les produits industriels.

LONDRES – Le dernier rapport du Comité britannique sur le changement climatique, par exemple, révèle que le passage à zéro émission nette de gaz à effet de serre au Royaume-Uni d’ici 2050 impacterait de seulement 0,5% le PIB britannique. Le rapport «Making Mission Possible» de la Commission sur les transitions énergétiques estime également à 0,5% du PIB mondial le coût total d’une réduction à zéro, d’ici le milieu du siècle, des émissions issues des systèmes d’énergie, de construction, d’industrie et de transport maritime de la planète.

Ces estimations sont bien inférieures à celles issues d’études plus anciennes. Le précurseur rapport Stern sur l’économie du changement climatique, publié en 2006, évoquait en effet un coût de 1 à 1,5% du PIB pour atteindre une réduction des émissions de seulement 80%.

Cette évolution positive s’explique par une diminution importante et imprévue du coût des technologies clés, avec pour l’éolien terrestre une baisse de 60% des coûts de l’électricité en seulement dix ans, ainsi qu’une diminution de plus de 80% pour les cellules photovoltaïques solaires, et de 85% pour les batteries. Ces coûts sont aujourd’hui si faibles que l’utilisation de produits et services zéro carbone dans de nombreux secteurs sera financièrement plus favorable pour les consommateurs.

Le coup de décarbonation

Les futurs coûts totaux nécessaires au fonctionnement des systèmes électriques zéro carbone, par exemple, notamment liés au stockage et à la flexibilité qui devront accompagner des sources imprévisibles telles que l’éolien et le solaire,  se révéleront bien souvent inférieurs à ceux qui caractérisent aujourd’hui les systèmes basés sur les combustibles fossiles. De même, dans une dizaine d’années, les consommateurs du monde entier auront financièrement davantage intérêt à acheter un véhicule électrique, puisqu’ils paieront ce véhicule un peu moins cher, et l’électricité motrice beaucoup moins cher que le diesel et l’essence qu’ils achètent aujourd’hui.

Dans certains secteurs plus difficilement transformables, tels que l’acier, le ciment et le transport maritime, la décarbonation est en revanche vouée à représenter un coût important. Bien avant 2050, un acier zéro carbone pourrait être produit en utilisant l’hydrogène comme agent de réduction, plutôt que le charbon à coke, ou en ajoutant un procédé de capture et stockage du carbone aux hauts fourneaux traditionnels. Cette démarche pourrait entraîner une augmentation de 25 % des coûts, soit environ 100 dollars par tonne d’acier. Quant aux navires longue distance, ils pourraient être alimentés par ammoniac ou méthanol, ce qui signifierait une possible augmentation de plus de 100% des coûts du carburant, et de 50% des frais de transport de fret. Comme l’explique Bill Gates dans son dernier livre Climat: comment éviter un désastre, dans certains secteurs, nous sommes confrontés à une «prime verte» représentant une différence de coûts par rapport aux actuelles technologies émettrices de carbone.

La recherche et le développement

Il est par conséquent crucial d’axer la recherche et développement ainsi que les investissements de capital-risque sur les technologies de ruptures susceptibles de réduire cette prime. Mais il est également important de comprendre que même si cette «prime verte» demeure, le coût de la décarbonation de ces secteurs sera si limité que les consommateurs les remarqueront à peine.

Quelle quantité d’acier avez-vous acheté l’an passé? A moins que vous soyez directeur des achats, probablement aucune de manière directe. Les consommateurs achètent davantage indirectement un acier intégré aux produits et services qu’ils consomment, l’acier de leur véhicule, de leur lave-linge, ou des services de santé prodigués dans un hôpital bâti en acier. Les chiffres de la World Steel Association indiquent que la «véritable consommation d’acier par habitant» s’élève à 300-400 kg chaque année en Europe et aux Etats-Unis. Ainsi, en cas d’augmentation de 100 dollars sur le prix de la tonne d’acier, cela ne représenterait pour les consommateurs une dépense supplémentaire que de 30 à 40 dollars.

Ce coût insignifiant illustre la différence cruciale entre la prime verte sur les biens intermédiaires, et la «prime verte consommateurs» sur les produits finis. Une hausse de même 25% du prix de l’acier entraînera une augmentation de moins d’1% des prix automobiles. Les coûts du transport de fret pourraient également grimper de 50%, mais cela signifierait une hausse tout aussi insignifiante du prix des vêtements ou produits alimentaires importés.

La difficulté politique

Une difficulté politique majeure demeure néanmoins en raison de cette augmentation du coût des biens intermédiaires. Une société d’acier engagée vers un objectif zéro carbone subira un désavantage écrasant par rapport à ses concurrents non engagés sur cette voie. L’imposition d’un prix du carbone sur les secteurs industriels lourds pourrait permettre de surmonter ce problème, mais seulement si ce prix était appliqué au niveau mondial, ou combiné à des droits de douanes carbone pour les pays qui ne l’imposeraient pas.

Dans le domaine du transport maritime, les réglementations de l’Organisation maritime internationale pourraient veiller à ce que toutes les sociétés avancent dans la même direction, pour un impact encore une fois insignifiant sur les prix à la consommation.

Le poids des préférences alimentaires

Par opposition, les prix alimentaires et préférences alimentaires des consommateurs constituent des problématiques tout sauf négligeables. Si très peu d’entre nous achètent directement de l’acier, nous consommons tous de l’alimentaire, qui même dans les pays riches représente 6 à 13% des dépenses totales des ménages, et bien plus pour les catégories à revenus inférieurs. Pour les consommateurs, une prime verte de 10% sur l’alimentaire revêtirait beaucoup plus d’importance qu’une prime même de 100% sur l’acier.

Par ailleurs, dans le secteur alimentaire, la production de viande est extrêmement émettrice de carbone. Les émissions de méthane issues du bétail et du fumier engendrent un impact climatique supérieur aux trois gigatonnes de dioxyde de carbone émises par la production d’acier, auquel s’ajoute cinq gigatonnes de CO2 issues de la modification de l’usage des terres, lorsque par exemple une forêt est transformée en zone de production de soja pour l’alimentation du bétail.

Ici encore, des solutions technologiques seront peut-être possibles, mais plusieurs défis majeurs demeurent. Car si les consommateurs se fichent des caractéristiques de l’acier qu’ils consomment indirectement, les amateurs de bœuf ont un avis bien tranché sur la texture et la saveur de leur steak, qu’une production de viande synthétique ne permet pas encore de remplacer. Et bien que la prime verte des viandes synthétique par rapport aux viandes animales diminue peu à peu, elle devra approcher zéro pour éviter aux consommateurs un impact significatif sur leur budget.

Cela pourrait toutefois changer si les consommateurs décidaient de se contenter de moins de viande, et d’un régime plus riche en légumes, moins coûteux. Dans ce cas, l’alimentaire pourrait se rapprocher des transports routiers, domaine dans lequel les consommateurs auront tout à gagner à passer au zéro carbone, plutôt qu’à s’exposer au poids des coûts.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2021

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