Dossier Cet article est issu du dossier «Climat et Agriculture : Pour des systèmes de production durables et résilients» Voir le dossier

AGRICULTURE Agriculture et climat: l'impact est visible, la résilience est possible (Mostafa Errahj)

ouezzane agriculture fellah terre

Le 19 avril 2024 à 12h46

Modifié 19 avril 2024 à 17h03

Quels sont les effets du réchauffement climatique sur l’agriculture marocaine et le monde rural ? Quels remèdes envisager ? Devrait-on modifier la stratégie "Génération Green" face aux extrêmes climatiques ? Voici les réponses de Mostafa Errahj, enseignant-chercheur à l’École nationale d’agriculture de Meknès.

Sécheresse, vagues de chaleur et records de température maximale : le Maroc subit de plein fouet le dérèglement climatique, problématique mondiale.

Son agriculture n’y échappe pas. Le monde rural encore moins. Mostafa Errahj, enseignant-chercheur à l’École nationale d’agriculture de Meknès, figure renommée des recherches sur le monde rural, partage avec Médias24 son analyse de la situation.

Mostafa Errahj, enseignant-chercheur à l’École nationale d’agriculture de Meknès

Une situation agricole tendue 

"L’évidence est là. Le Maroc connaît depuis les cinq dernières campagnes agricoles une situation pluviométrique assez inquiétante. La situation agricole est tendue. On le ressent dans le monde de la production agricole mais aussi dans le quotidien des Marocains, en termes de disponibilité et de prix des denrées alimentaires, d’autant qu’il y a une récurrence de sécheresses et que la politique adoptée très tôt par les pouvoirs publics depuis l’indépendance, notamment la politique des barrages initiée par feu Hassan II envisageant d’avoir des réserves stratégiques pour pouvoir justement pallier ces aléas, semble ne pas pouvoir contenir, ou plutôt amortir, ce grand choc", regrette Mostafa Errahj.

Le réchauffement climatique, quoique phénomène naturel, révèle d’importants déséquilibres en termes de choix de politique de développement agricole.

Les zones de parcours et d’élevage très impactées

"L’impact est perceptible surtout au niveau des zones de parcours et des zones d’élevage ; des pratiques qui ont été progressivement abandonnées dans les exploitations agricoles suite à l’orientation vers une agriculture spécialisée, ce qui nous a fait perdre notre capacité à gérer la diversité. Les effets se sont également fait ressentir dans les grandes zones céréalières. Malgré les dernières pluies qui ont rallumé une lueur d’espoir chez tout le monde, les estimations dressées à ce jour de l’impact sur le couvert végétal et sur la production végétale de l’année, annoncent une compagne agricole moyenne à faible", explique-t-il.

Les impacts négatifs dans le monde rural: emploi, revenus des ménages, la décapitalisation, les parcours, les céréales...

"L’agriculture n’est pas uniquement une activité de production de denrées alimentaires ; elle est également génératrice d’emplois. Quand l’agriculture est à l’arrêt, tous ces mécanismes de distribution de richesses s’arrêtent automatiquement. Et lorsqu’il y a moins d’emplois liés à l’activité agricole, il y a également moins de revenus journaliers dans les ménages ruraux. L’impact social en termes d’emploi, en termes de revenus, en termes de revenus des ménages, est tout de même assez fort", ajoute l’enseignant-chercheur.

Cependant, la situation est très contrastée en fonction des régions du Maroc. "Au Nord, ce n’est pas comme dans le Centre, le Sud ou les zones montagneuses. L’impact dans les zones irriguées diffère également de celui observé dans les zones non irriguées", explique-t-il.

"Le troisième grand risque est la décapitalisation. Je ne dresse pas un tableau noir de la situation agricole, mais c’est une réalité inquiétante. Je m’inquiète particulièrement de notre capacité à rebondir, parce que dans l’agriculture marocaine, les agriculteurs ont pris l’habitude depuis des générations de traverser des situations de sécheresse, mais qui étaient moins sévères et moins récurrentes. Car les stratégies de production étaient à l’époque des stratégies de diversification. Or nous savons bien que la spécialisation, pas uniquement en agriculture mais dans l’ensemble des secteurs économiques, est porteuse de risques. C’est comme si on jouait au Gambling et qu’on plaçait tous nos dés dans une seule option. Tant mieux si ça marche. Dans le cas contraire, les dégâts sont inévitables."

Il faut rendre à toute l’agriculture sa résilience d’avant

Quels sont donc les remèdes face à cette situation ? Est-ce possible d’avoir des systèmes de production qui s’adaptent aux changements climatiques ? Et si oui, comment ?

"Je préfère parler de coexistence plutôt que de remèdes. Il faut d’abord considérer le réchauffement climatique ou les aléas climatiques comme des données structurelles et non conjoncturelles", indique Mostafa Errahj.

"Nous devons militer en faveur d’un choix, disons d’une orientation vers des systèmes de production plus résilients. Ces systèmes de production sont là et l’ont toujours été. Autrement dit, il s’agit de rendre à l’agriculture sa place multifonctionnelle, notamment de production de denrées alimentaires, de développement des territoires ruraux et d’ancrage dans ces territoires qui doivent être durables", suggère l’enseignant-chercheur.

"D’abord sur le plan technique. La recherche scientifique est là et œuvre à trouver des variétés, à travailler sur l’aspect génétique, à voir un peu les matériaux végétaux et animaux qui seraient plus adaptés. Les efforts sont fournis aussi bien par la recherche scientifique nationale qu’internationale", indique encore Mostafa Errahj.

Freiner l’orientation vers la spécialisation et le gain facile, préserver les modèles marocains résilients...

"Il subsiste néanmoins un gap entre la recherche et la pratique. Or il n’est pas seulement question d’introduire de nouvelles pratiques ou de nouvelles technologies, mais surtout de préserver le savoir-faire et les modèles résilients que nous avons déjà sur notre territoire marocain où il y a toujours une agriculture dynamique et pluriactive − et heureusement d’ailleurs", souligne Mostapha Errahj.

"Les systèmes de production ont toujours été, en agronomie, des systèmes de production basés sur la diversification, sur des rotations et des choix d’espèces complémentaires, soit dans le temps soit dans l’espace, pour des raisons techniques − faire reposer la terre, capter les éléments nutritifs qu’offre une espèce par rapport à une autre et jongler avec les caprices du ciel", ajoute Mostafa Errahj.

"Il ne faut pas non plus mettre tous ses œufs dans le même panier. Il faut ainsi freiner, dans la mesure du possible, cette orientation vers la spécialisation et le gain facile. Je ne suis pas contre les arboriculteurs, ni contre les productions arboricoles, mais il faut prendre en considération les risques de spécialisation qui se répercutent sur la commercialisation et sur les ressources en eau, surtout celles souterraines. Toutes ces exploitations agricoles qui sont en train de se développer sur des systèmes spécialisés se font en effet sur des nappes souterraines. La situation dans plusieurs plaines est assez inquiétante. Sur certaines plaines, des arbres fruitiers ont carrément été arrachés."

"Nos modes de consommation sont devenus assez inquiétants ces dernières années, intensifiant l’impact et l’intensité du choc climatique. Nous constatons, sans toutefois dénigrer les grandes surfaces ou le système de commercialisation qui est en place, une transformation des habitudes alimentaires d’une grande partie des ménages marocains. A mon avis, il faut réinterroger en urgence la résilience de l’agriculture avec une entrée production-consommation."

Faut-il modifier la stratégie "Génération Green" ?

Lancée en février 2020, la nouvelle stratégie 2020-2030 "Génération green" a pris le relais du Plan Maroc Vert afin d’en rectifier certains points négatifs. Est-elle à revoir dans le contexte actuel ?

"Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il faut la modifier. Je considère que disposer d’une stratégie, qu’il s’agisse du Plan Maroc Vert ou de Génération Green, est un acquis d’une manière ou d’une autre pour l’agriculture, parce que les stratégies nous obligent à définir un horizon et des étapes et à mobiliser surtout des moyens. Génération Green annonce des objectifs assez ambitieux (une agriculture qui respecte l’environnement, une agroécologie, un équilibre territorial...). Nous ne pouvons que l’applaudir. Il y a un changement de cap qui est assez positif en termes d’annonce et d’objectifs généraux", estime Mostafa Errahj.

"Toutefois, lorsque l’on va sur le quotidien, sur les programmes d’action et les projets qui meublent la stratégie Génération Green, on se rend compte que l’on n’a pas encore franchi le cap de se dégager de cette vision centrée sur les filières agricoles. C’est ce point qu’il faut, à mon sens, affiner ou reformuler", note-t-il.

"Je pense que ce qu’il faut réviser, et de manière très sérieuse, c’est tout l’accompagnement de l’agriculture, notamment l’accompagnement par le conseil agricole et par une politique de développement agricole, où la notion de territoire doit être présente. Nous ne pouvons pas déconnecter l’agriculture des localités", précise l’enseignant-chercheur à l’École nationale d’agriculture de Meknès.

"Il faut une vraie régionalisation de Génération Green. Nous avons effectivement les directions régionales, mais il faut que cette régionalisation soit encore plus opérationnelle, de sorte à ce que l’on ait des programmes de développement qui émanent des localités. Et là, je pense à la grande fragilité du ministère de l’Agriculture, à qui revient le mérite d’orchestrer cette stratégie, qui a été malheureusement affaiblie depuis une quinzaine d’années au niveau local et qui est pourtant l’interface avec les producteurs", souligne-t-il.

"L’aspect opérationnel est important dans n’importe quelle stratégie. Il faut avoir les instruments nécessaires. Et l’un des instruments dans le cas de Génération Green, ce sont des structures de développement locales qui soient fortes", conclut notre interlocuteur.

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