Agrumiculture. Entretien avec Kacem Bennani-Smires, le nouveau président de Maroc Citrus

La patron du groupe Delassus, un des acteurs majeurs de la filière agrumicole, a été porté à la tête de l'interprofession. II succède à Moulay M'hamed Loultiti à la présidence de Maroc Citrus. Dans cet entretien, le premier depuis son élection, il nous expose les contraintes du secteur ainsi que les priorités de son mandat.

(Ph: Médias24)

Agrumiculture. Entretien avec Kacem Bennani-Smires, le nouveau président de Maroc Citrus

Le 13 mars 2024 à 13h01

Modifié 13 mars 2024 à 13h32

La patron du groupe Delassus, un des acteurs majeurs de la filière agrumicole, a été porté à la tête de l'interprofession. II succède à Moulay M'hamed Loultiti à la présidence de Maroc Citrus. Dans cet entretien, le premier depuis son élection, il nous expose les contraintes du secteur ainsi que les priorités de son mandat.

Maroc Citrus a un nouveau président. Après quatorze ans, Moulay M'hamed Loultiti cède le fauteuil de l'interprofession à Kacem Bennani-Smires.

L'organisation interprofessionnelle est le porte-parole des acteurs de la filière agrumicole et ses associations, ainsi que l'interlocuteur des pouvoirs publics. Elle comprend l’association des producteurs (ASPAM), des emballeurs (ASCAM), des développeurs de plants (AMAPAC), de l’industrie du jus (AMITAG) et des exportateurs (Citrus export).

"Elle a été créée en 2009 et a été portée par Moulay M'hamed Loultiti que je remercie sincèrement pour son engagement et son abnégation", nous déclare le nouveau président. "Il a su mener à bien plusieurs projets importants pour la filière agrumicole marocaine, qui est non seulement une filière historique, mais elle est aussi importante pour l’économie du pays, pour l’employabilité, pour la consommation locale".

Kacem Bennani-Smires reprend les rênes de l'interprofession dans un contexte pour le moins difficile. Sécheresse chronique, baisse du rendement, concurrence sur le marché de l'export, désorganisation du marché local... pour ne citer que ces problématiques.

Quel est l'état des lieux actuel ? Quelles sont les pistes pour surmonter ces difficultés ? Et quelles sont les priorités de son mandat ? Réponses dans cet entretien avec le nouveau président de Maroc Citrus.

La campagne d'exportation a été une petite campagne en raison des conditions climatiques

Médias24. Comment s'est déroulée la campagne d'exportation ?

Kacem Bennani-Smires. La campagne n'est pas encore terminée. Il reste encore à peu près 20% de la variété "nadorcott" à exporter et la quasi-totalité des exportations des oranges de type "Maroc late".

Mais on peut déjà dire que nous expérimentons une petite saison pour la deuxième année consécutive. Au 15 février 2024, nous étions à 325.000 tonnes contre 350.000 t de volume d’export l'année précédente. À titre de comparaison, nous étions à la même période, durant la saison 2021-2022, à 510.000 t de volume exporté. Ce qui représente une baisse de 36%.

Il faut savoir que la production des agrumes alterne entre une année de production importante, suivie d'une année à faible production. Deux saisons successives avec une production basse s’expliquent par le facteur du réchauffement climatique et la sécheresse. L’extrême chaleur de l’été 2023 a impacté négativement la floraison, et le manque de pluie a eu des conséquences dramatiques. Plusieurs vergers sont perdus.

C'est donc une campagne faible en termes de rendement. Les prix sont bons par rapport aux prix habituels, mais la recette ne compense pas le manque de volume.

- Une certaine hostilité européenne contre les produits marocains se fait ressentir. Les agrumes sont-ils concernés ?

- Les producteurs espagnols et français ont manifesté leurs mécontentement vis-à-vis de leurs gouvernements. Ils ont pris en otage des chargements de produits transitant par leur territoire. Les agriculteurs français ont ciblé aussi bien les produits marocains que les produits espagnols.

Je dirais que l’agressivité de ces manifestants est sélective, et concerne les spéculations qui mettent à mal leur compétitivité. Les agrumes n’ont pas particulièrement été au centre de cette bataille.

- L'actuelle campagne ne rencontre donc pas de problèmes particuliers sur les marchés extérieurs...

- Je n’ai pas dit cela. Le métier a ceci d’extraordinaire, c’est qu’aucune saison n'est semblable à une autre, et les problématiques qui surviennent sont parfois inattendues.

Cette année, les événements géopolitiques entre la guerre de l’Ukraine et celle d’Israël, trois difficultés se sont dressées devant l’origine Maroc : l’inflation des intrants et des moyens logistiques, la fermeture du Canal de Suez et le blocage de l’accès aux marchés du Moyen-Orient et de l’Asie, la compétitivité face à des marchés européens saturés.

- Dans ce contexte, comment se présente la prochaine campagne ?

- Difficile de se prononcer maintenant. Les conditions climatiques sont importantes, tout autant que l'état du verger. Nous avons subi la sécheresse plusieurs saisons d'affilée. En conséquence, nombre de vergers ont manqué d'eau.

Si l’on regarde par la fenêtre des contraintes, on peut lister la faiblesse des rendements induite par la sécheresse, la situation financière des producteurs mise à mal par deux années successives de maigres résultats, le choix variétal des vergers adultes, la jeunesse d’une bonne partie des vergers d’oranges pas encore productifs…

Et si l’on se tourne du côté des opportunités, la filière repose sur trois socles : l’export, le marché local et l’industrie. Le contexte global en en mutation et ces socles gagnent à être renforcés.

Le marché russe a été accaparé par l'Égypte et la Turquie, avec des prix défiant toute concurrence

- Ces évolutions n'imposent-elles pas un changement de modèle économique pour les agrumes ?

- Pour le cas de l'export, nous devons trouver le moyen de prolonger la campagne pour que les stations de conditionnement puissent travailler plus longtemps, pour pérenniser nos marchés, et pour asseoir la présence de l’origine Maroc dans les pays destinataires et contrecarrer la concurrence internationale.

Le Maroc a perdu des parts de marché importantes en Russie, qui absorbait plus de 50% de l’export national. La clémentine turque et l’orange égyptienne, dont les prix défient toute concurrence, ont détrôné les agrumes marocains.

Le Maroc se benchmark avec l’Espagne sur la partie 'service et satisfaction client'. L’Espagne est commercialement mieux organisée. Nous ciblons donc les mêmes marchés que l’Espagne, puisque nous restons compétitifs.

Notre challenge actuel est de nous positionner sur l'export des oranges. Nous espérons que le contrat-programme nous aidera sur ce volet. Nous savons que des superficies importantes ont été plantées en oranges. Elles devraient entrer en production prochainement. C’est une bonne nouvelle pour tous, producteurs et consommateurs.

Des stations de conditionnement ferment

- En quoi est-ce important de se positionner sur le marché des oranges ? Cela permettra-t-il de compenser les pertes sur d'autres marchés comme la Russie ?

- Actuellement, la campagne des clémentines et mandarines s'étale de novembre à mars au mieux. La principale variété d’orange, la Maroc late démarre en mars et se poursuit jusqu’à juin. Actuellement, le disponible en orange est très limité et se positionne principalement sur le marché local. C'est donc difficile pour une station de conditionnement d'amortir tous ses coûts sur cinq mois. D’ailleurs, plusieurs stations de conditionnement ont arrêté définitivement leur activité ces deux dernières années, parce qu'il n'y avait pas assez de production et qu'elles ne travaillaient pas assez longtemps.

Avec l’entrée en production des vergers additionnels d’oranges, on pourra reprendre l’export et dynamiser tout le secteur : prolonger l’activité des stations de conditionnement, alimenter le marché local avec plus de produits, fournir plus d’écarts de triage aux usines à jus et libérer les arbres plus vite. Tout cela favorisera le cercle vertueux de la productivité et de la compétitivité. Les arbres seront reposés et pourront produire plus et mieux la saison suivante.

Le problème des prix sur le marché intérieur réside dans la chaîne de distribution

- Que répondez-vous à ceux qui disent qu'il faut arrêter ou réduire l'export pour faire baisser les prix du marché local ?

- Prenons l’exemple de la tomate. S’il n’y avait pas d’export, le prix de la tomate serait beaucoup plus élevé pour le consommateur marocain. En clair, l’export subventionne le marché local. Pour ce qui est des agrumes, et en ce qui concerne les clémentines et mandarines, le schéma est le même que pour la tomate.

Nous exportons très peu d’oranges et, pourtant, le prix de l’orange pour le consommateur marocain est élevé. Le problème des prix sur le marché local réside essentiellement dans la chaîne de distribution et dans la rareté du produit.

Nous allons cartographier l'ensemble du verger national

- Vous avez évoqué plus haut les pertes de vergers. Nous savons qu'il y a eu beaucoup d'arrachages. Vous avez également parlé de fermetures de stations. Quelle est l'évaluation des pertes subies dans le secteur ?

- Ce que je peux vous dire, c'est que nous avons perdu beaucoup d'hectares. Au pic de la croissance de la filière, nous avions atteint près de 130.000 ha d'agrumes. Cette superficie a baissé à 104.000 ha selon un recensement effectué en 2021.

Il est certain que cette superficie a régressé depuis. Nous savons que des arrachages ou des abandons de plantations, par manque d’eau et de rentabilité, ont eu lieu. Mais le plus important est de connaître l'état de santé de ce verger.

De ce fait, il est nécessaire de faire un état des lieux pour comprendre comment le verger agrumicole marocain a évolué depuis le dernier recensement, lequel nous avait donné deux bonnes nouvelles.  Nous avons désormais un verger équilibré avec 50% d’oranges et 50% de mandarines et clémentines. C'est un nouvel atout dont le pays ne disposait pas auparavant. L'autre bonne nouvelle, c'est que ce verger est plus jeune. Il y a eu un fort rajeunissement après le Plan Maroc vert. Un verger jeune est plus productif.

D’ailleurs, le premier exercice que Maroc Citrus va entamer rapidement est le scanning du verger national pour mettre à jour sa cartographie qualitative et quantitative. Nous avons besoin de connaître le potentiel actuel du Maroc afin d’adapter la stratégie. C'est un travail qui va être lancé dans les semaines qui arrivent.

- Ce qui nous amène à évoquer votre programme à la tête de Maroc Citrus. Quelles sont vos priorités ?

- Le rafraîchissement des données que nous avons sur le verger est une priorité, car cela nous permettra de mieux étudier le support nécessaire à la filière, et de mieux discuter avec les autorités les mesures nécessaires à la pérennité des agrumes marocains. Le Crédit Agricole et l’État ont beaucoup investi dans cette filière. Il est du devoir de tous de se battre pour sa préservation.

L'autre priorité est d’opérationnaliser le contrat-programme déjà signé. Cela dit, le monde a changé. Et ce contrat a été étudié bien avant le Covid, la guerre de l'Ukraine et celle au Moyen-Orient. Il y a eu beaucoup d'évolutions entre-temps. Nous avons besoin de renouvellement et de rafraîchissement pour relancer la filière. Cette relance passe, entre autres, par un soutien à l'export pour que nous puissions nous battre contre nos concurrents.

Nous avons également trois sujets majeurs : améliorer notre organisation commerciale à travers des formations ciblées, professionnaliser la main-d’œuvre en accompagnant les sociétés spécialisées et intégrer la démarche durable dans tout le process de production et d’exportation pour aligner la filière sur la feuille de route nationale sur le climat. Le Maroc est signataire des Accords de Paris. Chacun de nous doit participer à l’atteinte des objectifs globaux.

Les trois piliers de la filière sont l'export, le marché local et l'industrie de transformation

-  Autrement dit, une subvention de l'État ?

- Comme, je l’ai dit précédemment, L’objectif est de développer la filière. Celle-ci a besoin de ses trois piliers que sont l’export, le marché local et l’industrie de transformation.

Notre benchmark actuel est l'Espagne. Face à elle, nous avons à l’avantage la qualité gustative de nos clémentines et de nos mandarines, mais nous avons besoin de moyens afin de mettre à niveau nos stations de conditionnement et améliorer notre compétitivité logistique. Nous devons également accompagner nos producteurs dans la recherche et développement à tous les niveaux.

- Et pour le marché local et l'industrie ?

Sur le marché local, l'enjeu est l'organisation. Et cette organisation ne concerne pas que les agrumes. C’est un problème général pour les fruits et légumes. Nous en parlons depuis des décennies. Un exemple m’a été donné par un de mes collaborateurs : "Nous avons vendu la mandarine des écarts de triage export à 1,50 DH le kg, départ station, et nous la retrouvons sur les charrettes à 8 DH. C’est injuste pour le producteur, et c’est injuste pour le consommateur. Il y a un grand travail à faire là-dessus.

Pour l’industrie du jus – un pilier incontournable pour la profession –, elle permet de retirer du marché local les fruits à défauts externes et de valoriser la totalité de la production. Pour son développement, il est impératif d’exporter, car ce sont les écarts de stations vendus à prix compétitifs qui peuvent leur permettre de fonctionner.

- Le mot de la fin ?

- Malgré toutes les contraintes citées précédemment, je reste confiant que la filière peut se battre pour se développer en se concentrant sur ses fondamentaux. Il est de notre devoir de nous battre pour cette filière historique pour le Maroc.

Notre énergie se portera sur tous les objectifs atteignables, mêmes s’ils sont challengeant. Et comme disait Marc Aurèle : "Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé, et le courage de changer ce qui peut l'être, mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l'autre".

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