Étude. Comment les défaillances des politiques entretiennent l’économie cachée au Maroc

Deux chercheurs de l’Université Ibn Tofail présentent une nouvelle lecture des déterminants de l’économie non observée au Maroc, qui inclut outre l’informel et le travail domestique, l’économie de la drogue, l’industrie du sexe, la contrefaçon et autres activités illégales. Selon eux, en plus de facteurs sociaux, ce sont les faiblesses institutionnelles du pays qui sont la dynamo de cette sphère qui produit plus de 40% du PIB et participe à 67% de l’emploi total dans le pays.

Étude. Comment les défaillances des politiques entretiennent l’économie cachée au Maroc

Le 29 novembre 2023 à 19h18

Modifié 29 novembre 2023 à 19h25

Deux chercheurs de l’Université Ibn Tofail présentent une nouvelle lecture des déterminants de l’économie non observée au Maroc, qui inclut outre l’informel et le travail domestique, l’économie de la drogue, l’industrie du sexe, la contrefaçon et autres activités illégales. Selon eux, en plus de facteurs sociaux, ce sont les faiblesses institutionnelles du pays qui sont la dynamo de cette sphère qui produit plus de 40% du PIB et participe à 67% de l’emploi total dans le pays.

Les auteurs de l’étude sont Charif Dahabi Akachkach et Aziz Bensahbou. Le premier est doctorant en économie à l’Université Ibn Tofail, le second est professeur au sein de la même université. Leur étude a fait l’objet d’un papier de recherche publié dans la dernière édition (octobre 2023) de l’African Scientific Journal, sous le titre : "L’Économie Non Observée au Maroc : caractéristiques et déterminants politico-économiques".

Leur postulat est clair : la croissance de l’économie non observée (ENO) au Maroc, qui contribue à plus de 40% du PIB et à 67% de l’emploi total, est le résultat légitime des conditions politico-institutionnelles qui encadrent le mode de gouvernance du pays.

"L’examen asymptotique des caractéristiques et déterminants de l’ENO marocaine, mené dans le cadre de cet essai, nous offre plus de crédibilité à affirmer que le non-formel marocain est le résultat naturel d’un sentier de mal-développement entretenu politiquement par une kleptocratie, qui s’est montrée incapable de créer les conditions propices pour assurer la transition d’une économie de rente vers une vraie économie de marché", affirment-ils.

L’économie non observée, c’est quoi au juste ?

Les auteurs ne sont pas les premiers à vouloir mesurer et analyser l’économie non observée au Maroc, appelée aussi "l’économie cachée".

Après la conceptualisation de l’univers de l’ENO en 2003 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Bank Al-Maghrib a été la première institution officielle du pays à s’attaquer à cette problématique. Publiée en 2017, son étude, basée sur la méthode monétaire qui s’appuie sur les circuits du cash, a conclu que l’ENO représentait une taille de 31,3% du PIB pour la période 2007-2016.

Le haut-commissariat au Plan (HCP) et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont également traité le sujet avec des résultats plus ou moins différents. L’étude officielle la plus récente, menée par le CESE en 2021, estime par exemple la taille de l’ENO au Maroc à 30% du PIB, avec une participation à 80% des emplois dans le pays.

Lire aussi : Bank Al-Maghrib : le poids de la production de l’économie non observée ressort à 31,3% du PIB pour la période 2007-2016 - Médias24 (medias24.com)

Plusieurs autres recherches académiques ont également été publiées sur ce concept de l’ENO. La nouveauté de ce papier de recherche produit par les deux chercheurs de l’Université Ibn Tofail, c’est le focus fait sur les déterminants institutionnels et politiques de ce phénomène que l’on retrouve dans le monde entier, sans aucune exception.

Les auteurs ne proposent d’ailleurs pas une nouvelle définition du concept de l’ENO, puisqu’ils s'appuient sur la démarche de l’OCDE qui définit cette économie comme la somme de quatre types de production :

- La production informelle : activités marchandes légales exercées par des entreprises non constituées en sociétés, appartenant au secteur des ménages.

- La production souterraine : activités productives légales intentionnellement soustraites au contrôle de l’autorité administrative et fiscale.

- La production illégale : activités de production des biens et services interdites par la loi, ou exercées sans autorisation administrative (drogue, sexe, traite des personnes, migration illégale, contrebande, contrefaçon, blanchiment d’argent, mendicité, médecine non autorisée, criminalité…).

- La production des ménages pour leur propre usage final.

S’ils reconnaissent que plusieurs facteurs expliquent la prolifération de cette économie cachée, comme la fiscalité, les défaillances du marché du travail, les lourdeurs administratives, la pauvreté, les inégalités sociales, les structures économiques, institutionnelles et politiques, les auteurs de ce papier estiment que le dernier déterminant est le plus important pour comprendre ce phénomène et sa dynamique de croissance.

Capitalisme de connivence, corruption, rente, non-application des lois…

En 2022, dans un "Bref du Plan" (n° 16), les experts du HCP avaient souligné justement que les déterminants institutionnels de la sphère informelle de l’économie constituent 26% de l’ensemble des variables explicatives de sa croissance. Et il ne s’agit ici que de l’informel. Donc pas de toute l’économie non observée. C’est ce constat que les deux auteurs sont venus appuyer en se basant aussi sur les diagnostics effectués par la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) et d’autres études institutionnelles et académiques.

En prenant en compte plusieurs autres niveaux de la sphère de l’ENO, les auteurs estiment ainsi que les problèmes de gouvernance expliquent 37% de l'output de l’ENO. Et ce chiffre est théoriquement encore plus important, puisque cette estimation ne prend pas en compte la taille de l’économie criminelle et la production domestique.

En pointant du doigt la mauvaise gouvernance, les auteurs ciblent le capitalisme de connivence et de copinage, l’économie de rente, la corruption…

Selon ces derniers, la faible effectivité de l’application des lois, la corruption dans une partie de la justice, la faible qualité des services publics et l’absence de cohérence des politiques publiques "sont les nœuds systémiques qui  favorisent le mal-développement du pays, parallèlement au développement de la sphère non formelle de l’économie", comme l’a d’ailleurs formulé le CSMD dans son rapport sur le Nouveau Modèle de développement.

"Dans ce sens, on peut avancer que la sclérose qui accompagne le capitalisme de connivence marocain a favorisé le développement de l’ENO comme option majoritaire pour intégrer la force du travail et les TPME dans la vie socio-économique du pays", soulignent les auteurs du papier.

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