Transformation de CFG Bank, ambitions, IPO, avenir de la banque, inflation... Le regard de Adil Douiri
CFG Bank deviendra la 7e banque cotée du pays. La première date de cotation de la valeur est prévue au 18 décembre 2023. L’opération était dans le pipe depuis plusieurs années et, désormais, la banque a atteint la taille critique et des résultats positifs rassurants pour effectuer son entrée en bourse et lever 600 MDH.
Fondée il y a maintenant trois décennies par deux financiers spécialisés dans l’asset management et les contrats à terme obligataires, comment la petite banque d’affaires est devenue l’une des banques de la place parmi les plus dynamiques en croissance et les plus avancées technologiquement ?
Médias24 est allé à la rencontre de Adil Douiri, président du conseil d’administration et cofondateur de CFG Bank, pour décrypter l’histoire de CFG, les influences de son business model, les ambitions de la banque, et également revenir sur l’appétit de son dirigeant, hyperactif dans le capitalisme national. Entretien.
Médias24 : Pour revenir brièvement sur l’IPO, nous avons vu que vous avez décidé de diviser la valeur nominale par 5, de 100 dirhams à 20 dirhams. Pour quelle raison avez-vous fait cela ?
Adil Douiri : C’est simplement pour avoir un cours de bourse à 110 dirhams plutôt qu’à 550 dirhams. Cela permet de rendre le cours plus accessible, on peut dire que c’est pour la liquidité. La majorité des actions à la Bourse de Casablanca traitent autour de 200. Il y a un gros nuage de points autour de ces niveaux-là, et ensuite quelques valeurs vers 400 ou 500 dirhams et quelques-unes assez illiquides au-delà de 2.000 dirhams. Nous avons préféré mettre le plus petit cours possible.
- Revenons sur la genèse de CFG. En 1992, qu’est-ce qui vous a motivés à lancer une banque d’affaires ?
- Il s’agissait des métiers que l’on pratiquait nous-mêmes. Pour ma part, j’étais à la banque Paribas dans l’asset management américain, et Amyn Alami était sur le marché à terme des instruments financiers de la Bourse de Paris, donc le marché à terme obligataire.
Nous avons dupliqué un business model anglo-saxon typique
J’ai beaucoup observé Paribas de l’intérieur et j’observais tous les métiers, surtout ceux que je ne faisais pas, à savoir la corporate finance, les ventes croisées entre les différents départements, et je trouvais que c’était un modèle fantastique. Vous avez la capacité de faire beaucoup de ventes croisées dans une banque d’affaires, à travers plusieurs départements, pour le même client.
Le modèle américain m’intéressait car je travaillais sur ce secteur, en observant Goldman Sachs, Morgan Stanley, Merrill Lynch, etc. Puis quand il a fallu franchir le pas, nous avons dupliqué un business model anglo-saxon typique, comme les banques précitées.
Ensuite, à partir des années 2000, nous avons ajouté le retail avec les épargnants petits porteurs, à travers la marque Dar Tawfir. Nous avons donc complété le modèle de Morgan et Goldman, en rajoutant le retail.
La troisième décennie, donc de 2010 à 2015, nous avons conceptualisé le business model pour lancer une banque universelle. Il a fallu acheter l’informatique, paramétrer, construire les agences avant de les ouvrir au public.
Dans les activités de banque d’affaires au Maroc, il y a un plafond quand on n’a pas la capacité à lier le service rendu avec un octroi de crédit
- Pourquoi cette volonté de s’orienter vers une banque universelle ? Était-ce pour toucher plus de monde ?
- Non. En réalité, dans les activités de banque d’affaires au Maroc, il y a un plafond quand on n’a pas la capacité à lier le service rendu avec un octroi de crédit. Une banque qui peut à la fois faire du crédit et des opérations de marché (IPO, émissions obligataires…) dispose d’un avantage très fort vis-à-vis du client, par rapport à une banque qui ne peut faire que des opérations de marché.
Nous commencions à buter face à des banques qui, elles-mêmes, étaient constituées des équipes de banque d’affaires et qui venaient chez le client en proposant un bundle (groupage, ndlr) banque commerciale et banque d’affaires. Stratégiquement, il était important pour nous de pouvoir donner du crédit.
- Structurellement, CFG demeure une petite banque par rapport aux autres. Quelle est la part de marché actuelle de CFG sur les crédits bancaires et quel est son objectif post IPO ?
- C’est tout petit. Nous sommes à 11 MMDH sur 1.300 MMDH environ… Disons 1%. Le fait est que nous grandissons très vite. Nous ne pouvons pas accélérer car nous avons un encours crédit qui progresse annuellement de 25% ou 30%. Nous n’avons pas d’objectif de part de marché en tant que tel. Nous sommes plafonnés dans notre relation commerciale par le coefficient de division des risques, qui ne nous autorise pas à donner à chaque groupe d’intérêt ou à chaque client plus de 200 MDH au total.
En augmentant le capital, pour les clients avec lesquels vous travaillez de façon extrêmement efficace, vous pouvez augmenter la distribution. Donc, il y aura un impact direct sur le coefficient de division des risques. Comme notre clientèle est essentiellement de la grande entreprise et du particulier (immobilier résidence principale, ndlr), car c’est notre positionnement, la grande entreprise a toujours de l’appétit. Si vous êtes dans la capacité de la financer à hauteur de 100 MDH de plus, elle les prendra. Il s’agit d’une logique assez mécanique.
Nous grandissons avec la taille de notre bilan et de nos fonds propres pour pouvoir donner plus à nos clients. Nous avons un service très sur mesure car nous avons un ADN de banque d’affaires. C’est l’équipe banque d’affaires historique qui donne des crédits aujourd’hui. Elle a une approche cousue main et devient à la limite une sorte de directeur financier du client, avec un accompagnement opérant plus comme une banque d’affaires que comme une banque commerciale.
- La direction générale a évoqué, lors de la conférence de presse, le fait que la banque resterait sur la même cible de clientèle. Pourquoi ?
- Nous n’avons pas épuisé nos segments. Nous avons une focalisation et nous nous concentrons sur les grandes entreprises avec du leasing et du crédit d’investissement. Nous ne faisons pas de crédit court terme pour les grandes entreprises.
La grande entreprise, c’est le continuum de la banque d’affaires
De l’autre côté, nous avons les particuliers avec les gens qui achètent leur résidence principale, donc c’est un niveau de risque très bas. Il y a une garantie réelle qui est l’hypothèque de l’appartement et, en général, le particulier fait tout pour honorer sa traite, car il s’agit de sa résidence principale.
Nous avons fait ce choix pour deux raisons. La grande entreprise, car c’est le continuum de la banque d’affaires, c’est naturel pour nous et nous sommes très bons dans ce domaine. Le particulier qui fait du crédit hypothécaire, c’était important pour nous, car ce dernier fournit les dépôts à vue. De l’autre côté, nous ne pouvions pas prendre de risque de perte de crédit quand le bilan était encore tout petit. Nous avons donc choisi les deux aspects les moins risqués, le temps de grandir et de nous consolider.
- Le positionnement de CFG repose également sur la technologie et l’innovation. Toutes les banques de la place tentent de se mettre à la page. La banque CFG de demain, à quoi ressemblera-t-elle, et qu’est-ce qu’elle implique pour le client ?
- La direction sur laquelle nous travaillons est claire. Les produits que l’on va lancer, je ne peux pas en parler aujourd’hui. Nous souhaitons minimiser la taille du réseau. Pour ce faire, il faut réduire la fréquentation. Il ne faut pas saturer les agences. Tout ce que l’on développe et que l’on développera sera fait pour dire aux gens : ‘Mais pourquoi venez-vous ?’.
Si l’on arrive à trouver des machines de nouvelle génération permettant à la personne de gérer elle-même son dépôt de cash, nous aurons fait un saut technologique important
Nous sommes en train d’améliorer la télébanque, pour ceux qui ne sont pas à l’aise sur l’application téléphonique. Ils n’auront qu’à décliner leur identité et auront un banquier au bout du fil, et non un call center, pour régler leurs problèmes ou avoir des conseils. Le banquier pourra voir les dernières opérations du client et se saisir du dossier comme si c’était son banquier habituel.
La télébanque va prendre une place plus importante, se sophistiquer et faire baisser le trafic dans les agences. Le travail sera également fait sur le traitement du cash qui est un des plus grands obstacles technologiques. C’est beaucoup de mouvements à traiter. Si l’on arrive à trouver des machines de nouvelle génération permettant à la personne de gérer elle-même son dépôt de cash, nous aurons fait un saut technologique important en limitant la pression sur les équipes humaines, car c’est le cash qui nous consomme le plus de temps.
Il restera, à terme, le déplacement pour les crédits un peu compliqués, où le client désire un crédit mais ne sait pas sous quelle forme, etc. Tout ce qui est conseil se fera en agence, jusqu’au jour où cela se fera en visioconférence ou autre. Cela nous permettra de grandir avec un réseau qui grandit moins.
- Quel est le poids de la partie banque d’affaires dans vos revenus ?
- Elle est encore significative car elle compte pour un tiers du PNB. Sur 600 MDH de PNB, la banque d’affaires compte pour 200 MDH et 400 MDH pour la partie banque universelle.
Nous avons donc une structure de PNB qui est très différente des grandes banques commerciales. 45% de nos revenus sont composés de marges d’intérêts, les commissions également et les parties volatiles que sont les opérations de marché représentent 10% du PNB.
Cela vient notamment de notre fort développement en asset management (immobilier locatif et OPCVM), ainsi que le change.
Nous sommes plutôt dans une structure de PNB et de bilan qui nécessite moins de fonds propres que les autres pour faire le PNB.
Quand vous nouez une relation avec un chef d’entreprise, ce n’est pas un acte anodin. C’est une relation très dense et forte
- Revenons également sur l’image de fabrique à IPO dont jouit CFG Bank. Est-ce que cette activité sera toujours couverte et que vous apporte-t-elle ?
- C’est une activité très importante pour nous. Nous parlions de ventes croisées tout à l’heure. Cette activité engendre un énorme niveau de ventes croisées. Quand vous nouez une relation avec un chef d’entreprise, ce n’est pas un acte anodin. Vous devenez son conseiller, son gestionnaire d’épargne et domiciliataire d’actions, centralisateur de l’émetteur, vous faites des opérations sur titres, vous faites des augmentations de capital à la bourse, etc. C’est une relation très dense et forte.
Malheureusement, nous ne parvenons à en faire qu'une seule par an ces dernières années. Nous aimerions en faire cinq ou six par an, avec la participation des autres banques, mais bon… ce n’est pas suffisant, et le Maroc mérite mieux qu’une IPO par an.
- Il y a avec vous une recherche d’infini dans les créations d’entreprises, vous souhaitez qu’elles vous survivent. Pourquoi cette fascination et ce besoin de faire cela ?
- Parce que j’ai une fibre ou une sensibilité d’économiste pour mon pays, et que je ne souhaite pas que des gens créent des entreprises puis qu’elles meurent. C’est triste pour l’emploi, le PIB, la croissance, etc. Chaque fois qu’une entreprise est pérennisée, c’est quelque chose de gagné pour le pays. Il y a moins de menace. C’est un patriotisme économique, et il faut se l’appliquer à soi-même si on dit aux autres de le faire.
- Depuis plus de dix ans, vous développez un appétit fort d’entreprendre et avez une remarquable présence dans le capitalisme national. CFG Bank, Immorente, Mutandis, une prise de participation dans Risma récemment… Qu’est-ce qui vous fait courir aujourd’hui ?
- Alors pour éclaircir, Risma c’est différent. C’est un fonds d’investissement créé à l’occasion par les équipes de CFG Bank et géré par moi-même. Cela a permis de racheter la part d’Accor qui s’en va. C’est, en somme, un fonds ad hoc qui a été créé rapidement pour racheter quelqu’un qui partait.
J’aime bien me fixer des challenges et construire des équipes. La mentalité, c’est la croissance. C’est notre état d’esprit
CFG est une vieille entreprise de 31 ans, et c’est une aventure superbe dont je suis très fier. Le nouveau tournant que l’on a pris est très excitant et nous donne des années de croissance devant nous. C’est très technologique, et en même temps très léger. Il y a 400-450 personnes, ce n’est pas énorme.
Mutandis, c’est un bateau plus lourd mais très régulier, prévisible et récurrent. Il grandit. Pas à la vitesse de CFG, mais il grandit tout le temps et augmentera ses dividendes chaque année.
C’est une belle aventure, car créer un petit Procter & Gamble est pour moi un challenge formidable pour développer une douzaine de marques présentes en Afrique, au Maroc et aux USA. J’aime bien me fixer des challenges et construire des équipes. La mentalité, c’est la croissance. C’est notre état d’esprit.
- Quel est le prochain challenge ? Un nouveau secteur en vue ?
- Franchement, il n’y en aura pas d’autres. Je suis ravi de participer à CFG. Mutandis, de son côté, va grandir à la fois de façon organique et par acquisitions…
Mieux vaut ne pas être boulimique
- Il y a en a dans le pipe actuellement ?
-Non. Nous venons d’acheter Aïn Ifrane, donc nous digérons son intégration dans les équipes et l’impact financier de la dette acquise pour l’acheter. Mieux vaut ne pas être boulimique. Mais nous nous lançons des challenges géniaux.
Lancer la sardine sans peau et sans arêtes, et la lancer au Maroc, seuls, sans concurrents, dans une catégorie qui n’existe pas… Vous ne savez pas si ça plaira aux gens. C’est intellectuellement stimulant de créer une catégorie dans un pays.
- Terminons avec votre double casquette d’économiste et d’industriel. L’inflation a affiché un recul notable au mois d’octobre à 4,3%. Sur 12 mois, ce taux a été principalement tiré par la composante alimentaire. Premièrement, comment voyez-vous la situation évoluer et impacter Mutandis ? Deuxièmement, pensez-vous que les industriels jouent un rôle dans le maintien des prix élevés ?
- Le cycle est facile à comprendre. Premièrement, il y a le choc sur les intrants que l’industriel utilise. Les boîtes, les produits chimiques et autres. D’un coup, cela passe de 100 à 150. S’il ne répercute pas sur son prix de vente, il perd beaucoup d’argent.
J’ai dit, il y a plusieurs mois d’ailleurs, que l’inflation est un sujet clos, c’est fini
Comme il ne connaît pas l’avenir, il ne peut savoir si le prix de ces commodités va baisser ou rester élevé. Donc il est obligé de faire en sorte de maintenir la stabilité de son entreprise et de répercuter doucement sur son prix de vente pour tenter de rétablir les marges. C’est ce que nous avons fait en 2022, de septembre 2021 à octobre 2022. Le but étant de répercuter par petites touches les hausses des intrants sur les prix, pour essayer de retrouver les marges d’avant-Covid.
Cela s’est terminé depuis le T4-22. Il n’y a plus de hausses de prix depuis. J’ai dit, il y a plusieurs mois d’ailleurs, que l’inflation est un sujet clos, c’est fini. De fait, je le dis car nous voyions les commodités qui commençaient à baisser à partir d’octobre 2022. Nous voyons tous les industriels autour de nous qui ont arrêté d’augmenter leurs prix de vente. Donc si vous regarder 12 mois devant vous, vous savez que le prix sera le même.
Aujourd’hui, nous avons des commodités stables. D’ailleurs, nous tablons dans notre budget 2024 sur un baril de pétrole entre 80 et 85 dollars
Le prix des commodités a baissé durant le S1-23, donc les marges se sont rétablies et nous sommes revenus aux marges de 2019. Les intrants pour les industriels n’ont pas baissé pour revenir aux niveaux de 2019. Ces intrants ont arrêté de grimper, ils ont reculé un peu, mais demeurent bien supérieurs aux niveaux de 2019. Donc les prix de vente des produits finis ne montent plus, mais ne sont pas aussi bas que ce qu’ils étaient en 2019.
Si jamais les matières premières baissent et reviennent au niveau d'avant-Covid, vous pouvez être certain qu’avec la concurrence tellement intense, quelqu’un va baisser le prix et les autres vont être obligés de le suivre, etc. Aujourd’hui, nous avons des commodités stables. D’ailleurs, nous tablons dans notre budget 2024 sur un baril de pétrole entre 80 et 85 dollars.
Ce que nous voyons actuellement, c’est une très forte hausse de l’huile d’olive qui se vend au triple de son cours normal. C’est devenu le premier constituant d’une conserve de sardine, surtout pour Season et le marché américain. Au Maroc, c’est plutôt de l’huile de tournesol. Si l’on prend la marge cumulée de l’usine marocaine et de la marque Season américaine, on arrive plus ou moins à la passer au consommateur. Nous ne sommes pas loin de 30 dirhams la boîte de conserve de sardines Season. Au Maroc, c’est 7 dirhams la boîte de conserve pour la marque Marine.
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