Réforme de la TVA : le grand et douloureux chantier du PLF 2024

Comme promis par le gouvernement, la très attendue réforme de la TVA sera enclenchée dès 2024. Les discussions autour des axes de la réforme ont déjà commencé et devront être incluses dans le projet de loi de finances en préparation. Zoom sur l’une des réformes fiscales les plus difficiles à mener.

Réforme de la TVA : le grand et douloureux chantier du PLF 2024

Le 8 juin 2023 à 19h24

Modifié 8 juin 2023 à 19h24

Comme promis par le gouvernement, la très attendue réforme de la TVA sera enclenchée dès 2024. Les discussions autour des axes de la réforme ont déjà commencé et devront être incluses dans le projet de loi de finances en préparation. Zoom sur l’une des réformes fiscales les plus difficiles à mener.

En janvier 2023, la ministre des Finances, Nadia Fettah Alaoui, s’est engagée devant le patronat, à l’occasion du Conseil national de l’entreprise, à engager la réforme de la TVA dès le PLF 2024. Cette réforme n’est pas un luxe, mais elle est obligatoire puisqu’elle est inscrite dans l’agenda de cinq ans fixé par la loi-cadre n°69-19 portant réforme de la fiscalité, entrée en vigueur en juillet 2021. Une loi qui consacre, parmi les fondamentaux de la réforme fiscale, "la consécration du principe de la neutralité fiscale en matière de taxe sur la valeur ajoutée".

Ce principe est simple : la TVA est un impôt sur la consommation qui doit être payée par les consommateurs. L’entreprise ne fait que collecter cet impôt pour le compte de l’Etat et ne doit pas en subir le coût. Mais sa mise en application est plus compliquée qu’on ne le pense.

Le passage de 5 taux à 3 taux, avec une TVA spéciale sur les produits de luxe

Il y a le volet technique bien sûr qui est clair, et qui consiste à réduire les différents taux pour clarifier cette taxe et éviter au maximum les situations qui peuvent créer des butoirs pour les entreprises. Comme recommandé par les dernières Assises de la fiscalité et revendiqué par le patronat, l’idée est de passer de 5 taux actuellement (0%, 7%, 10%, 14% et 20%) à 3 taux (0%, 10% et 20%), avec en plus un taux de 30% pour les produits de luxe. Le taux à 0% s’applique bien sûr aux produits de première nécessité ou de base pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages.

Cette nouvelle configuration qui sera mise en place permettra de placer sur la même ligne la taxation des produits achetés par les entreprises en amont et la taxe appliquée à la vente pour arriver justement à une neutralité de la TVA, ou du moins simplifier le calcul de compensation quand il y a une différence entre le taux à l’achat et celui à la vente. Et quand un crédit de TVA naît d’une transaction commerciale, le mécanisme de remboursement par l’Etat doit être le plus fluide possible pour ne pas générer des difficultés pour la trésorerie des entreprises qui subit de plein fouet cette problématique de la TVA.

Comme le dit si bien le CESE dans son rapport intitulé "La réforme de la fiscalité, pilier du nouveau modèle de développement", quelle que soit la politique de taxation et de taux que l’Etat retient, l’entreprise productrice ne devrait supporter une TVA autre que sur la valeur ajoutée qu’elle crée. Aussi, toute entreprise qui a un crédit TVA devrait être remboursée sans délai, de façon à ne pas la pénaliser par des frais financiers indus et à ne pas obérer sa capacité d’investissement.

Le sujet sur l’investissement est aussi crucial. Et la TVA y joue un rôle important, surtout dans un contexte où l’Etat tente de faire monter la part des investissements privés aux deux tiers de l’investissement total du pays. Quand une entreprise investit, elle achète du matériel, des matières, des équipements en payant la TVA (intérieure ou à l’importation), mais elle ne la récupère que sur plusieurs années en la déduisant des produits ou services vendus. Ce qui est une situation aberrante du point de vue économique et financier. Et cela ne touche pas que l’investissement privé, mais également l’investissement public. L’exemple le plus cité est celui de la LGV, où la TVA dépensée dans l’investissement réalisé nécessite un siècle d’exploitation pour être récupérée par l’ONCF !

Donc la réduction des taux et la fluidité dans le remboursement des crédits de TVA sont techniquement les deux axes majeurs de cette réforme.

Sans élargissement de l’assiette fiscale, pas de réforme possible

Et le gouvernement semble prêt à mettre en route cette réforme dès le PLF 2024 où seront explicitées les premières mesures, comme le déclarait toujours Nadia Fettah au patronat en début d’année : "La DGI a anticipé les travaux et les simulations sur cette réforme. Le calendrier dépend des moyens à mobiliser pour appliquer cette loi, parce qu’il faut d’abord élargir l’assiette de la TVA pour pouvoir aller à une systématisation du remboursement du crédit TVA (…). La feuille de route et le calendrier de la révision de la TVA seront explicités en amont de la préparation de la prochaine loi de Finances."

En 2023 déjà, le gouvernement a acté ce principe de neutralité de la TVA pour certaines professions libérales réglementées, en faisant passer le taux de 10% appliqué jusque-là au taux normal de 20% pour les opérations effectuées par les notaires, les avocats, les interprètes, les adel, les huissiers de justice, les vétérinaires… En 2024, le gouvernement devrait donc généraliser ce principe à tout le monde. Ce qui ne sera pas une sinécure.

Car au-delà de l’aspect purement fiscal, la TVA est un impôt très sensible, le plus sensible de tous. Car il touche d’abord le consommateur et son pouvoir d’achat, mais aussi le budget de l’Etat et celui des collectivités locales.

"La réforme de la TVA nécessite une étude très approfondie avant son application. C’est un impôt très sensible, car il conditionne le niveau de recettes de l’Etat et celui des collectivités locales qui sont financées essentiellement par la part qui leur est versée par l’Etat sur la TVA, mais peut créer également des tensions sociales dans le contexte inflationniste que l’on connaît, surtout si on augmente le taux appliqué à certains produits ou prestations de service", nous explique un expert-comptable, qui a participé de manière active aux travaux des Assises de la fiscalité de 2019, qui ont abouti à la conception de la loi-cadre et aux grands principes de la réforme.

On le sait tous, l’une des premières sources du financement du budget public, ce sont les impôts indirects. Et dans ces impôts indirects, la TVA se taille la part du lion avec une part de 80 à 90% selon les années. Si le gouvernement admet les aberrations actuelles du système, comme tous les gouvernements précédents, et se dit conscient de l’urgence de la réforme et de son impact positif sur le tissu productif, l’investissement et la trésorerie des entreprises, il ne fera de grands pas dans la réforme que s’il est sûr que la structure des recettes fiscales ne sera pas chamboulée après la réforme.

Comme le disait Nadia Fettah et plusieurs ministres des Finances avant elle, cette réforme est conditionnée par l’élargissement de l’assiette fiscale de l’Etat. Chose qui n’est pas encore acquise, tant que le manque à gagner de la réforme de la TVA n’est pas encore précis. Le département des Finances doit certainement avoir des simulations sur cet impact, mais ne communique pas dessus pour l’instant.

"L’impact sur les finances publiques sera important quel que soit le scénario de la réforme. La corrélation entre la TVA et le montant des impôts indirects collectés est très grande. Donc tout mouvement sur les taux va se voir directement sur les recettes collectées par l’Etat. Il faut être très prudent sur ce point. Cela étant dit, le contexte actuel se prête à l’exercice, puisque l’on remarque depuis 2021 une augmentation sensible des recettes fiscales, surtout celles de l’IS et de l’IR. Il faudra aussi traiter de manière sérieuse le problème de l’informel et de l'évasion fiscale avant de se lancer dans cette réforme. Car l’Etat doit assurer de nouvelles recettes pour compenser le manque à gagner sur la TVA", explique notre expert, qui nous précise que de toutes les façons, cette réforme ne peut pas être appliquée en un seul exercice fiscal, mais doit être étalée sur plusieurs années, quitte à déborder sur le calendrier fixé par la loi cadre (2025).

TVA et pouvoir d’achat : un sujet brûlant politiquement

Autres sujets d’une grande sensibilité : le pouvoir d’achat des ménages, les agents qui paient cette taxe. La suppression des taux intermédiaires de 7% et de 14% et l’unification de la TVA autour du taux ordinaire de 20%, avec une petite part de services et produits à 10%, va à coup sûr provoquer une hausse mécanique des prix de plusieurs produits et services.

Avant même la déflagration inflationniste de 2022, le sujet était brûlant et aucun gouvernement n’osait y toucher. Dans le contexte actuel, il faudrait une grande dose de courage politique, ne serait-ce que pour évoquer le sujet.

"Les gens attendent du gouvernement des baisses de taux. C’est ce qui est revendiqué depuis le début des tensions inflationnistes. Or, la réforme aboutira aussi à des hausses de taux, c’est inéluctable. Ce qui sera difficile à faire passer ou à justifier politiquement et socialement", commente notre source.

Pour lui, comme pour beaucoup de personnalités publiques qui ont participé à la réflexion autour de la TVA, cette réforme doit être menée en parallèle avec la réforme de la Caisse de compensation et son remplacement par un mécanisme d’aides directes aux citoyens. Sans cela, il sera impossible d’envisager des mesures correctives sur la TVA. Comprenez : sans réforme de la compensation et de la mise en place du RSU et des aides directes, il serait difficile de réformer la TVA.

Le CESE en a parlé dans ses deux rapports sur la fiscalité, celui de 2012 et le dernier, produit en 2019, pour participer à l’effort de réflexion sur le Nouveau Modèle de développement. Pour cette institution, les deux réformes doivent être menées de manière simultanée.

"La mise en place d’un système d’aide ciblée pour les populations démunies doit bien évidemment s’accompagner de l’arrêt du système de subvention des produits. Il est nécessaire que cela s’accompagne également de la réforme des taux de TVA évoquée, afin que les conséquences en matière d’ajustement de prix soient absorbées par les aides directes octroyées", peut-on lire dans les rapports du CESE, dont les rapporteurs expliquent également que cette réforme simultanée dégagera à l’Etat des ressources importantes qui permettront de financer le système d’aide directe à destination des plus démunis, et de mettre en place des mesures nécessaires pour le maintien du pouvoir d’achat des classes moyennes.

Dans le même registre, le CESE plaide également pour que la TVA soit partie intégrante du financement du système de la couverture sociale.

De par son caractère transverse, lié à la consommation et touchant la plus grande frange de la population, la TVA constitue l’impôt qui se prête, en effet, le plus à cette logique de contribution à l’effort national de solidarité, pour atténuer son effet sur le pouvoir d’achat et pour assurer les financements nécessaires au soutien de la population qui en a le plus besoin.

Le CESE considère qu’il y’a lieu de réserver à terme, 2 à 4 points de TVA, à verser dans un fonds de solidarité sociale qui servirait notamment à contribuer au financement de la couverture et des aides sociales. Les modalités de programmation de cette affectation devant prendre en considération l’évolution de l’assiette et de la progression de la stabilisation du système de neutralité totale de la TVA.

L’instauration d’un taux de 30% sur les produits de luxe participe également à la même logique. Le surplus généré devant être affecté à l’effort de solidarité nationale.

Il ne s’agit donc pas d’une simple réforme fiscale, technique, mais d’une grande réforme qui interagit avec d’autres grandes réformes urgentes que le gouvernement doit mener. Dans la prochaine loi de finances, le gouvernement doit ainsi présenter sa vision d’ensemble sur le sujet. En proposant un nouveau schéma de taxation qui vise l’objectif fondamental de la neutralité de la TVA, mais aussi en inscrivant ce schéma dans son cadre plus global : booster le tissu productif tout en maintenant les marges budgétaires de l’Etat et veiller aux équilibres sociaux avec l’instauration d’un système d’aides directes aux populations qui peuvent être affectées par cette réforme. Une réforme qui doit s’inscrire également dans la grande réforme du système de la compensation, mais aussi la généralisation de la protection sociale, la TVA pouvant être, en effet, un des contributeurs durables au financement du système. Vaste chantier.

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

Morocco Real Estate Management : « IMMO SECURE FUND - SPI » Rapport Annuel 2023 Société de Gestion

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.