La limitation des exportations de tomates “casse la confiance avec les clients européens” (professionnels)

La décision du gouvernement de limiter les exportations de tomates vers les marchés extérieurs a soulagé les prix sur le marché local à l’approche du Ramadan, mais a créé une vague de tensions entre les fournisseurs marocains et leurs clients internationaux. Une situation inquiétante pour plusieurs professionnels qui craignent de voir le Sénégal et la Mauritanie récupérer leurs marchés.

La limitation des exportations de tomates “casse la confiance avec les clients européens” (professionnels)

Le 28 février 2023 à 18h44

Modifié 1 mars 2023 à 8h04

La décision du gouvernement de limiter les exportations de tomates vers les marchés extérieurs a soulagé les prix sur le marché local à l’approche du Ramadan, mais a créé une vague de tensions entre les fournisseurs marocains et leurs clients internationaux. Une situation inquiétante pour plusieurs professionnels qui craignent de voir le Sénégal et la Mauritanie récupérer leurs marchés.

Pour faire face à la flambée des prix des produits agricoles sur le marché intérieur, le gouvernement a pris plusieurs mesures, dont la limitation des exportations de certains produits comme la tomate, la pomme de terre et l'oignon, vers les marchés internationaux. Les deux derniers produits étant exportés quasi exclusivement vers l’Afrique subsaharienne en faibles volumes, la décision gouvernementale a atteint son objectif de soulager le marché local sans produire d’effets secondaires sur la relation entre le Maroc et les marchés africains.

Mais ce n’est pas le cas de la tomate, surtout en cette période hivernale qui représente la haute saison de l’export marocain de ce produit. Premier exportateur vers l'Union européenne et deuxième fournisseur de l’Angleterre en tomates, le Maroc est une plateforme vitale pour les grandes centrales d’achat européennes et britanniques. Et les restrictions entrées en vigueur au Maroc, depuis le 9 février, ont causé une pénurie de tomates dans les rayons des supermarchés européens et britanniques, d'autant que la production espagnole a également été faible cette année.

Comptant donc sur leur fournisseur traditionnel, les centrales d’achat européennes et britanniques ont été encore une fois mises devant le fait accompli, car ces restrictions ne sont pas nouvelles. En mars 2022, la même décision avait été prise par le gouvernement concernant la tomate. Les tensions apparues alors entre exportateurs étrangers et producteurs marocains avaient été atténuées par le caractère "exceptionnel" de la décision.

 

Le "dirigisme" de l’État rompt les règles du marché

"En 2022, nous avons pu nous entendre avec nos clients en leur expliquant que c’était une situation exceptionnelle. Et elle ne s’appliquait que de manière temporaire pour quelque jours, le temps de réguler le marché intérieur. Mais aujourd’hui, avec la décision prise début février, il est difficile d’avancer cet argument. La confiance est clairement cassée, et nos clients savent que l’Etat marocain peut à tout moment, durant les prochaines saisons, recourir au même mécanisme", explique un grand exportateur de tomates, qui nous confie qu’une délégation d’acteurs anglais est venue au Maroc la semaine derrière. Certains ont clairement exprimé leur mécontentement, ne cachant pas leur intention de trouver dès à présent des alternatives au marché marocain.

"Dans le commerce, la confiance est essentielle. Quand celle-ci est rompue, ce qui est le cas aujourd’hui, les conséquences peuvent être lourdes. Nous avons investi énormément dans des capacités de production qui doivent être amorties sur plusieurs années. Si on perd nos clients à cause de décisions politiques, les pertes seront colossales pour les producteurs, les travailleurs, mais aussi pour l’Etat marocain", ajoute notre source.

Un autre grand exportateur se montre plus virulent à l'encontre du gouvernement et évoque "une inconstitutionnalité" de la décision prise pour rééquilibrer l’offre et la demande sur le marché local.

"La décision de limiter l’exportation est inconstitutionnelle. Le Maroc est un pays libéral, nous investissons car nous savons que nous évoluons dans un marché libre où personne ne peut vous dicter à qui vendre et à quel prix. Avec ces restrictions qui deviennent répétitives, nous sommes entrés dans l’ère du dirigisme étatique. C’est inacceptable. Nous avons mis des dizaines d’années pour construire une relation de confiance avec nos clients. Il a suffi d’une décision politique pour tout casser en un jour…", tonne-t-il.

Mais le gouvernement avait-il un autre choix face à la flambée des prix sur le marché intérieur et le risque de tensions sociales qui pouvaient en découler ?

Pour nos sources du secteur, la réponse est clairement "oui".

"Les solutions existent. Le gouvernement était au courant, il savait que la production était faible, que la vague de froid allait impacter les prix durant l’hiver, il devait anticiper les tensions sur le marché local et faire ce que tout gouvernement est censé faire : anticiper les choses. Gouverner, c’est prévoir. Limiter les exportations est une solution de facilité. Cela a certainement un impact direct et positif sur le marché local, mais les conséquences en termes d’investissements, de pertes de parts de marché à l’export, de création de valeur et d’emplois doivent être aussi prises en compte", souligne une de nos sources.

Les Européens se tournent vers la Mauritanie et le Sénégal

Et la perte de parts de marché à l’export n’est plus une hypothèse ou un risque, comme nous l’expliquent nos sources du secteur. Car les grands acheteurs britanniques et européens se sont déjà tournés vers la Mauritanie et le Sénégal.

Selon nos sources, ces deux pays ont commencé à se positionner en tant que plateformes de production et d’exportation de tomates et autres produits agricoles (pastèque, pomme de terre…).

"Plusieurs investisseurs étrangers, moyen-orientaux et même marocains, ont déjà lancé des fermes de production en Mauritanie et au Sénégal. Ces deux pays ont les mêmes conditions climatiques que Dakhla. Si on produit de la tomate à Dakhla, on peut donc la produire également en Mauritanie et dans les pays voisins. Surtout que la problématique de l’eau dans ces pays ne se pose pas avec autant d’acuité qu’au Maroc. Il reste certes des difficultés dans la logistique, mais cela va être réglé sur le moyen terme. Nous ne disons pas que les Européens vont tous se diriger vers la Mauritanie et le Sénégal dès demain, mais cette alternative se construit sur le moyen terme. Nous devons sérieusement la prendre en compte", indique un grand acteur de l’export au Maroc.

Citant l’exemple de la pastèque, une autre source révèle l’impact des décisions "dirigistes" de l’Etat. "Quand l’Etat a décidé de limiter les surfaces de production de la pastèque de 50% à Zagora, plusieurs producteurs qui opéraient au Maroc, étrangers et nationaux, sont partis en Mauritanie pour faire des plantations. Les premières pastèques produites en Mauritanie vont être expédiées en Europe dès la semaine prochaine."

Selon notre interlocuteur, le même scénario est en train de se produire pour la tomate, dont des plantations sont déjà en cours d’installation au sud du Sahara ; c'est le cas également des fruits rouges et, bientôt, pour d’autres produits agricoles à forte valeur ajoutée à l’export.

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