Entretien. Lino Bacco : le Maroc peut se maintenir dans le football mondial de haut niveau

Le journaliste sportif s’interroge sur l’arbitrage pour les deux derniers matchs de l’équipe nationale. Il nous fait remarquer que plusieurs parties, dont les équipementiers, ont intérêt à avoir l’affiche la plus spectaculaire pour la finale.

Lino Bacco

Entretien. Lino Bacco : le Maroc peut se maintenir dans le football mondial de haut niveau

Le 28 décembre 2022 à 18h44

Modifié 29 décembre 2022 à 8h04

Le journaliste sportif s’interroge sur l’arbitrage pour les deux derniers matchs de l’équipe nationale. Il nous fait remarquer que plusieurs parties, dont les équipementiers, ont intérêt à avoir l’affiche la plus spectaculaire pour la finale.

Passionné de sport et de football en particulier, Lino Bacco est une figure connue du journalisme et du sport au Maroc. A Radio Mars, dont il fait partie des fondateurs, il a une émission quotidienne, "Mars Attack".

Il a bien sûr suivi l’équipe nationale au Qatar, jusqu’à son dernier match. A l’instar de Najib Salmi, il est en quelque sorte, de par son métier de journaliste, une mémoire vivante du sport au Maroc.

Médias24 l’a interrogé sur le parcours du Maroc au Mondial du Qatar. Nous aurons des entretiens similaires avec d’autres sources qui partagent la même passion du football.

Les joueurs marocains ont toujours eu cette grinta. Ils ont un bel effectif et un grand entraîneur.

Médias24 : Vous avez toujours suivi le parcours des Lions de l’Atlas. Est-ce qu’ils auraient pu aller plus loin ? Ou était-ce là la limite de leurs capacités actuelles ?

Lino Bacco : Mes premiers souvenirs de l’équipe du Maroc, ce sont des images en noir et blanc, en 1970, à 11 heures du soir, le fameux Maroc-Allemagne avec le but de Houmane. Après, il y a eu ce retour en 86, avec cet exploit déjà, puisque l’on était dans la poule de la Pologne, de l’Angleterre et du Portugal. On avait passé le premier tour avant d’être éliminés sur coup franc par l’Allemagne.

Ensuite, je cite l’équipe dirigée par Henri Michel en 1998, avec la petite combine entre Brésiliens et Norvégiens qui a privé le Maroc du passage au tour suivant. En 2018, on se retrouve à Moscou ; il y avait un bon effectif, j’étais assez confiant. Et pourtant, un faux pas devant l’Iran et... le reste est connu !

Arrive le Qatar : cette fois-ci, l’effectif est encore plus consistant. L’objectif, c’était les quarts de finale. Un ou deux mois avant le démarrage du Mondial, j’ai eu une discussion avec Fouzi Lekjaa sur les ambitions du Maroc. Je lui avais dit : "Président, cette fois-ci, ce sont les quarts de finale, hein." Et lui de me répondre : "Peut-être plus…"

Après les poules, bien sûr, il y a eu de l’émotion. Ensuite, j’étais serein. Je l’étais contre l’Espagne, le Portugal, la France.

En cent jours, regardez ce que Regragui a fait de cette équipe. Bien sûr, il faut rendre hommage à Vahid, c’est lui qui est allé chercher certains joueurs. Mais Regragui a été le liant entre ces joueurs. C’est l’homme qui a su fédérer ses troupes et amener une manière de jouer différente, inédite.

La place dans le dernier carré est méritée, je ne suis pas surpris. Les joueurs marocains ont toujours eu cette grinta. Ils ont un un bel effectif et un grand entraîneur.

- Une place méritée, certes, mais est-ce qu’on pouvait aller plus loin ?

- Est-ce que le bon élève pourrait mieux faire ? Oui, parce que pour moi, Walid Regragui est le seul coach à avoir amené quelque chose de nouveau dans ce football. Les autres sélections nous ont laissés sur notre faim. Le Brésil a proposé des petits numéros de cirque, avec ses célébrations, samba et tout ça... Ça, tu le fais au Carnaval, pas dans une Coupe du monde de football. Et l’Argentine, championne du monde, qu’est-ce qu’elle a proposé ? Un super joueur, Messi, et avec lui Di Maria qui est un génie, mais autour d’eux, rien qui sorte du lot.

- Il a manqué un super attaquant au Maroc…

- Pas seulement au Maroc. C’est un mal du football mondial ; il n’y a plus d’attaquants. Regardez l’Espagne. Il ne suffit pas de faire Tic Tac, Tic Tac, sans avoir un joueur pour mettre la balle dans les filets. Il y a le crépuscule annoncé de Cristiano Ronaldo. Giroud est un grand attaquant. Et Mbappé, mais c’est un ailier d’abord.

L’absence de l’avant-centre, du joueur qui va ponctuer l’action, envoyer la balle dans la cage, c’est un mal général. En-Nesyri a été généreux, il s’est dépensé. Nos joueurs ont été très généreux, ont ouvert des espaces, mais après, il manquait parfois celui qui va envoyer le dernier ballon au fond des filets.

- Donc, pour en revenir à la question, le Maroc aurait pu aller plus loin...

- Oui, il l’aurait pu. Et j’ajoute que nous avons joué un football un peu contre-nature en demi-finale contre la France.

Les grandes stars du football sont désormais protégées. Mbappé, Modric, Messi, Ronaldo... Au moindre petit courant d’air, on siffle un penalty.

- Parce qu’on a eu la possession ?

- On ne sait pas jouer quand on a la possession. Nous, notre force, c’est quoi ? Des entraîneurs comme Wenger et Mourinho disent waw, bravo le Maroc, il joue sur vingt mètres, en double rideau. Attention, ce n’est pas le but de Mourinho. Ce ne sont pas non plus les joueurs qui jouent méchamment, cassent les tibias et envoient les ballons dans les tribunes. Non. C’est une vraie tactique. Tout en défendant, ils pensent déjà à la manière de repartir en contre. C’est ça la force du Maroc.

Pour en revenir au match contre la France, on a décidé de bloquer les deux couloirs, Mbappé à gauche et Dembélé à droite. Mais on ne l’avait pas fait contre le Portugal ni l’Espagne. C’est comme si on avait craint la puissance offensive des Français.

Est-ce que l’on doit être satisfait ou non ? Est-ce que l’on aurait pu faire mieux ? Disons que ça se discute. On est partagé...

De gauche à droite, Mohamed Timoumi, Aziz El Badraoui (président du Raja) et Aziz Bouderbala.

La FIFA protège les artistes et grandes stars du foot

- On en arrive à la question centrale : l’arbitrage. Lors de la demi-finale contre la France, au moins un penalty, voire deux en faveur du Maroc, n’ont pas été sifflés par l’arbitre, comme s’il n’y avait pas de VAR ...

- Je ne dis pas que Messi a été canalisé vers la finale, car je n’en sais rien. Par contre, je sais que les grandes stars du football sont désormais protégées. Mbappé, Modric, Messi, Ronaldo... Au moindre petit courant d’air, on siffle un penalty. En revanche, quand Modric méritait le carton rouge contre le Maroc au premier match, on s’est contenté d’un jaune.

- Est-ce que c’est un conditionnement psychologique ou bien une consigne aux arbitres ?

- Ce sont les directives de la FIFA qui veulent protéger les artistes. C’est un leitmotiv. En Champions League, on a bien vu que Mo Salah était protégé. Dès qu’un joueur le touche, un penalty est sifflé. C’est un exemple.

On préfère Mbappé contre Messi à une affiche de Ounahi contre Modric. La Croatie et le Maroc ont été en quelque sorte des trouble-fêtes ; les uns ont éliminé les Brésiliens, les autres les Portugais.

- Il s’agit donc de protéger le spectacle, d’avoir la meilleure affiche possible?

- En quelque sorte, oui. Récemment, j’ai revu le match Espagne-Yougoslavie, joué en 1977, dans le cadre des éliminatoires de la Coupe du monde.

C’était un match de chiffonniers. Il y avait de bons joueurs de part et d’autre. Mais il y avait une ribambelle d’agressions, de coups de poings, coups de pieds dans l’arrière-train. Attention, c’était quand même l’époque de Maradona, ce n’est pas rien.

L'ailier de la squadra azzuri a subi deux fractures; Maradona lui a subi une fracture avec le Barça. Aujourd’hui, cela aurait été impossible.

- Est-ce que cela signifie que la FIFA, ou certaines parties influentes du football, préféraient une finale France-Argentine à une finale Maroc-Croatie ?

- Bien sûr. On préfère Mbappé contre Messi à une affiche de Ounahi contre Modric. Revoyez le tableau des quarts de finale : on allait vers Brésil-Argentine (Neymar contre Messi) et France-Portugal (Mbappé contre Ronaldo).

La Croatie et le Maroc ont été en quelque sorte des trouble-fêtes ; les uns ont éliminé les Brésiliens, les autres les Portugais.

On ne peut pas s’empêcher de penser que lorsque le Maroc était mené 1-0 contre la France, s’il avait obtenu et marqué le premier penalty, cela aurait pu changer l’issue du match.

- Comment expliquer que la VAR n’ait pas prévenu l’arbitre ?

- On peut s’interroger. Et d’ailleurs, je m’interroge. Le lendemain du match, je croise un ami tifoso marocain, qui a rencontré à l’hôtel Pierluigi Collina, le président de la Commission des arbitres de la FIFA. Il interpelle Collina : "A propos de cet arbitre que vous nous avez envoyé, quand même Monsieur Collina…"

Collina a haussé les épaules : "Vous êtes allés en demi-finale ? Hein ?" Genre c’est bon...

L’influence du business sur le foot

- Est-il possible qu’il y ait eu, disons, une influence, une pression psychologique sur les arbitres, pour protéger la meilleure affiche possible pour le spectacle de la finale ? Celle qui est la plus bancable pour les partenaires de la FIFA, celle qui va assurer l’audience et les recettes…

- Absolument, les équipementiers en particulier. Une belle affiche leur permet d’avoir de la visibilité. Pour la finale, la planète s’arrête, c’est le plus grand spectacle du monde. De Tokyo à Kuala Lumpur, du pôle nord au pôle sud.

- Pendant le match de classement, le Maroc a-t-il été lésé aussi ?

- Oui, absolument, mais c’est moins important. Pour nous, finir troisièmes, c’est mieux que quatrièmes.

- Donc, le business, l’audience, les sponsors, l’affiche, les équipementiers, le marché, les finances... C’est important pour l’affiche finale, et finalement aussi pour l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde à tel ou tel pays.

- Bien sûr. J’étais dans le dossier de 1998, on était conseillé par une agence italienne. En face, il y avait la France. Deux à trois semaines avant le vote, des personnes de l’agence m’appellent et me disent : "Il faut dire au ministre [Semlali, allah yarhmou] que c’est râpé, que l’on n’aura pas la Coupe du monde."

- Cela signifie que ce sera toujours compliqué pour le Maroc d’organiser une Coupe du monde ?

- Oui et non. Maintenant, le Maroc a un poids spécifique dû à cette sympathie qu’il a suscitée et qui est quasiment mondiale, jusqu’en Europe, en Amérique et en Asie.

- Est-ce que l’on va pouvoir rester à ce niveau de la hiérarchie mondiale ?

- La Croatie y parvient depuis 1998.

- Est-ce que la Coupe d’Afrique est à la portée du Maroc ?

- La Coupe d’Afrique, c’est autre chose, ce ne sont pas les mêmes conditions. Elle est organisée en pleine saison, les joueurs subissent la pression des clubs, car les clubs, c’est leur gagne-pain.

En jouant dans un style de baby-foot, on a accroché la Croatie, on a battu la Belgique, l’Espagne et le Portugal.

Avec Walid Regragui lors son passage à Radio Mars quelques jours avant de s’envoler vers le Qatar.

- Vous dites que dans cette Coupe du monde, Regragui a apporté quelque chose de nouveau…

- Il a eu le mérite de puiser dans les racines du football. Le fait de jouer en resserrant les lignes, très très peu d’équipes le font ou sont capables de le faire.

C’est la question des vingt mètres, tout le bloc bouge en même temps. Personne ne joue comme ça.

Personne n’est capable de jouer comme ça, avec ces deux lignes qui bougent en même temps. On aurait dit que les joueurs étaient attachés les uns aux autres ; ils sont équidistants l’un de l’autre, c’est comme au baby-foot.

En jouant au babyfoot, on a accroché la Croatie, on a battu la Belgique, l’Espagne et le Portugal. Et ça, c’est nouveau ; c’est pour cela que tant de gens se sont émerveillés.

- Peut-on être un grand pays de football avec un coach étranger ?

- Je ne pense pas. Dans un club, c’est possible car il y a plusieurs nationalités dans chaque club.

L’équipe nationale, c’est autre chose. Cette fibre patriotique, seul l’entraîneur du cru peut la donner. Dans les vestiaires, à l’entraînement, il leur parle en darija, il amène avec lui des siècles de culture marocaine.

Je pense que le Maroc peut rester dans le haut niveau si les clubs suivent. Ils doivent faire leur examen de conscience, se restructurer, se professionnaliser dans tous les sens du terme.

- Depuis 1970, quels ont été les meilleurs coachs de l’équipe du Maroc ?

- Cluzeau d’abord, qui cumulait AS FAR et équipe du Maroc. C’était un meneur d’hommes. Il a insufflé à cette équipe des FAR la discipline militaire adaptée au football.

José Mehdi Faria sort du lot avec cette équipe de 1986 et la première qualification en huitièmes de finale après avoir terminé premier de son groupe. Le tandem avec Jorvan Vieira, qui était son préparateur physique, a très bien fonctionné.

Je cite aussi Henri Michel. Il aimait, il adorait le Maroc. Il y vivait et s’était fait beaucoup d’amis à Rabat. Il était très abordable, très sociable. Il a réalisé une belle Coupe du monde 1998. Il a amené le côté professionnel que l’on n’avait pas en 1994.

Hervé Renard est un grand entraîneur. Pendant la dernière décennie, avec Regragui, c’est le meilleur ; il faut lui rendre acte. Il a amené cette organisation qu’il n’y avait pas auparavant, cette sérénité, cette façon aussi de parler aux joueurs, d’en tirer le maximum, ça jouait bien. Il avait redonné du caractère, de la rigueur à l’équipe.

- Si vous deviez en choisir trois depuis 1970…

- C’est difficile. Je dirais Henri Michel, Hervé Renard et Walid Regragui.

Je mettrais Faria en quatrième.

- Pensez-vous que le Maroc va pouvoir rester dans le haut niveau maintenant ?

- Oui, je le pense, parce qu’il y a un homme. Ce succès, bien sûr Regragui et les joueurs. Mais il y a un homme d’abord, le président fédéral.

Lekjaa, c’est la locomotive, il a mis les bases. L’Académie Mohammed VI, qui est une structure essentielle, est antérieure à son arrivée. Lui, il a créé le Centre de Maâmora, tous ces centres régionaux de formation. Il a été ambitieux et volontariste.

Je pense que c’est faisable si les clubs suivent. Les clubs doivent faire leur examen de conscience, ils doivent se restructurer, se professionnaliser dans tous les sens du terme.

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