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Gestion de l'eau : les limites du modèle marocain (2)

Après avoir exposé l'organisation et décrit les composantes du modèle marocain de gestion de l'eau, Hassan Benabderrazik en évoque ci-dessous les limites.

Fontaines et abreuvoirs sont taris dans la campagne du Sais. ( Photo MEDIAS24 - Février 2022)

Gestion de l'eau : les limites du modèle marocain (2)

Le 13 octobre 2022 à 19h40

Modifié 13 octobre 2022 à 20h02

Après avoir exposé l'organisation et décrit les composantes du modèle marocain de gestion de l'eau, Hassan Benabderrazik en évoque ci-dessous les limites.

>Droits de propriété

L’extension de la domanialité publique aux ressources souterraines est un échec. Elle est en conflit avec le droit musulman, dont l’influence sur les droits de propriété est très conséquente à ce jour.

Faute d’une réelle capacité de mise en œuvre des contrôles des prélèvements par l’État, elle a exclu du domaine de la réglementation l’essentiel des points de prélèvement.

Enfin, compte tenu de la coexistence de normes contradictoires, droit musulman et droit codifié par la loi sur l’eau, la capacité d’imposer une réglementation des prélèvements sur les nappes souterraines est très réduite.

La difficulté à développer un modèle de gestion des nappes souterraines durable, respectueux de limites à l’exploitation, tient certainement à cette volonté de l’État d’affirmer son domaine sur une propriété privée du point de vue des usagers.

>Mobilisation

La limite principale tient au caractère public du financement des infrastructures de mobilisation et à l’absence de rémunération des services rendus. L’État assure la réalisation des barrages et fournit les services associés à ces infrastructures, gratuitement, aux offices publics utilisateurs.

La justification de ce choix tient au souci d’avoir des tarifs aux usagers faibles, en omettant la composante de mobilisation dans la formation des coûts.

Cette politique n’a pas été étendue aux autres sources que sont le dessalement, la réutilisation des eaux usées traitées et les champs captants. Ceci se traduit naturellement par un recours privilégié aux barrages comme solution aux problèmes du secteur. Il est moins coûteux pour l’ONEE, les régies ou pour les ORMVA de demander une mobilisation additionnelle que de réduire les pertes sur les réseaux ou de gérer la demande.

Pour la même raison, le recours au dessalement ou à la réutilisation des eaux usées ne se développe pas, même lorsqu’il est plus économique. Il sera toujours plus cher que l’eau fournie par les barrages gratuitement.

La seconde limite tient aux difficultés rencontrées pour modifier les allocations initiales des dotations sur les barrages. Ces dotations procèdent d’une décision administrative, justifiée par la domanialité publique de la ressource. Elles sont mobilisées à travers des investissements coûteux. Une réallocation sans compensation est difficile à envisager, surtout qu’elle se traduira par une dévalorisation des investissements effectués en vue de son utilisation initiale.

Bien entendu, ceci ne permet pas de donner une place au dessalement dans l’approvisionnement des villes du littoral. Idéalement, pour réduire le coût du refoulement, l’eau des barrages devrait être affectée en priorité aux zones intérieures, et le dessalement au littoral.

>Production et transport

La limite principale tient au caractère lacunaire du monopole sur la production conférée à l’ONEE. Le maintien de ressources propres pour les régies et les concessions réduit considérablement la capacité de procéder aux péréquations requises pour tenir compte des différences de coût dans la provision du service et de revenus chez les usagers.

De plus, le financement des infrastructures de transport par l’ONEE (un monopole qui lui est conféré par sa loi de création), alors même que la mobilisation est prise en charge par le budget général, favorise mécaniquement le développement de nouveaux barrages au détriment du maillage du réseau de transport.

>Distribution

La limite principale tient au caractère incomplet de la dévolution aux communes de la responsabilité de la provision des services publics locaux. Un modèle communal impose que les tarifs et le financement des services publics locaux procèdent d’une décision de la commune. Elle doit être responsable de la qualité des services et de leur prix. Ce n’est pas le cas.

Cette situation se traduit par la desserte systématique par l’ONEE dans les communes pauvres (au sens de la péréquation tarifaire entre tranches de consommation). Elle se traduit également par des traitements très différenciés en termes de régulation entre les concessions, les régies et le service de l’ONEE.

La seconde limite tient au modèle de tarification par tranche. Il ne fonctionne plus comme initialement conçu. Il devait permettre de subventionner la première tranche par les prélèvements effectués sur les tranches de forte consommation. Aujourd’hui, l’élasticité des volumes consommés au prix pour les tranches supérieures est telle que les augmentations tarifaires ne permettent plus d’assurer des revenus supplémentaires.

Enfin, la régulation est très incomplète (elle ne porte pas sur l’ensemble des revenus), éclatée entre plusieurs institutions, et ne prend pas en compte les performances dans la gestion des réseaux pour la fixation des tarifs.

Depuis 2004, des projets de régionalisation sont envisagés pour créer des entreprises de distribution de grande taille, incorporant les zones urbaines et rurales. Depuis 2004, l’idée d’une agence de régulation nationale a été proposée. Sans suite.

>Assainissement liquide

Aux problèmes de gouvernance identiques à ceux de la distribution de l’eau potable, l’assainissement liquide et le traitement des eaux usées souffrent de l’absence d'un modèle économique propre à réduire le gap des investissements requis et à assurer la couverture des coûts d’exploitation et entretien, en particulier dans le monde rural.

De même, la réutilisation des eaux usées traitées reste un vœu pieux en l’absence d’un modèle économique et réglementaire adéquat.

 >Irrigation

La principale limite pour l’irrigation dans les périmètres publics tient à la déconnexion entre les tarifs pratiqués et les coûts du service. Le plan national d’économie de l’eau d’irrigation convertit les périmètres gravitaires et développe le recours à l’irrigation localisée. Ce plan n’est en rien financé par les tarifs.

En réalité, les tarifs très bas actuels sont devenus des actifs pour les agriculteurs, des droits acquis. À ce titre, les projets d’accroissement des tarifs ont été abandonnés du fait de la résistance des agriculteurs. Cette situation est préjudiciable aux établissements publics chargés de la distribution et de l’entretien des réseaux. Faute de ressources financières fondées sur les services qu’ils assurent, ils sont contraints de recourir au budget général pour obtenir des subventions d’équilibre.

L’autre point clé tient à l’absence d’une gestion conjonctive des ressources mobilisées par les barrages des réseaux, et celle provenant de l’exploitation des nappes souterraines. Initialement, les offices régionaux interdisaient le recours au pompage sur la nappe pour promouvoir l’irrigation par les réseaux publics. Ceci n’est plus en vigueur. Un modèle alternatif de gestion conjonctive est nécessaire.

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L'auteur

Hassan Benabderrazik est consultant, expert en agriculture et économiste.

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