Larabi Jaidi (II) : « Le gouvernement doit rassurer les citoyens sur ses choix »

ENTRETIEN (II). Pandémie, inflation, guerre, récession… Chercheur au sein du think tank Policy Center for the New South, l’économiste Larabi Jaidi nous livre son analyse de la conjoncture économique et son appréciation de la gestion gouvernementale de cette série de chocs rapprochés. Deuxième partie.

Larabi Jaidi (II) : « Le gouvernement doit rassurer les citoyens sur ses choix »

Le 13 juillet 2022 à 19h25

Modifié 14 juillet 2022 à 14h11

ENTRETIEN (II). Pandémie, inflation, guerre, récession… Chercheur au sein du think tank Policy Center for the New South, l’économiste Larabi Jaidi nous livre son analyse de la conjoncture économique et son appréciation de la gestion gouvernementale de cette série de chocs rapprochés. Deuxième partie.

Après avoir analysé la conjoncture actuelle dans la première partie de cette interview, Larabi Jaidi nous livre ici son appréciation de la gestion gouvernementale de ce moment de crise.

Médias24. On sent que les Marocains, en tous cas ceux qui suivent la chose économique, sont rassurés par la politique monétaire adoptée par Bank Al-Maghrib qui, en conservant son taux directeur inchangé, ne s’est pas inscrite dans ce que vous appelez un mimétisme aveugle. Peut-on dire la même chose de la conduite de la politique budgétaire ? La sentez-vous rassurante ?

Larabi Jaidi. Sincèrement, il y a une première appréciation que l’on peut porter sur la gestion gouvernementale de cette crise : le chef du gouvernement et le ministère des Finances ont clairement assuré le fait qu’ils prêtaient une attention aux équilibres fondamentaux des finances publiques. Avec l’objectif de réduire le déficit budgétaire et le taux d’endettement mais sans trop verser dans l’orthodoxie financière.

C’est un signal rassurant. Car il faut bien desserrer les contraintes actuelles tout en étant soucieux de la soutenabilité de nos ressources pour l’avenir, et surtout relancer l’investissement public, qui reste la principale dynamo de l’économie. Sur ce sujet, le cap est clair, les orientations stratégiques aussi.

Le gouvernement fait attention aux équilibres fondamentaux mais la politique budgétaire manque de lisibilité.

Maintenant, il faut bien reconnaître que notre politique budgétaire, dans sa mise en œuvre, manque de lisibilité lorsque l’on compare ce qui est fait aujourd’hui avec ce qui a été voté dans la loi de finances 2022.

Elle manque aussi bien de lisibilité que de visibilité. Car au-delà du cap stratégique qui est annoncé, pour que celle-ci soit visible, des mesures claires doivent êtres prises pour atteindre les objectifs annoncés, comme la maîtrise de l’endettement, la réduction du déficit budgétaire… Et sur ce sujet, la problématique de la sincérité de l’information budgétaire revient au-devant de la scène.

- Donc là, vous pointez du doigt le décalage entre la loi de finances et la conduite de la politique budgétaire en cette année 2022 ?

- Et le décalage entre les annonces faites et le mode de gestion, qui n’est pas aussi visible et lisible que ce qui est annoncé. Je ne parle pas de manipulation des finances publiques ou de l’information, loin de là, mais simplement du respect du principe de la sincérité budgétaire.

- Vous êtes donc de ceux qui appellent à élaborer une loi de finances rectificative ?

- Pas forcément. Cette question a été posée il y a quelques mois déjà et le ministre délégué au Budget a répondu qu’il n’y avait pas besoin d’une loi de finances rectificative, car il y a des marges que le gouvernement compte utiliser. Et que les nouveaux engagements qui n’étaient pas prévus dans la loi de finances (dialogue social, caisse de compensation, aide aux transporteurs…) seront financés par un supplément de ressources issus des transferts d’OCP et de la hausse des recettes fiscales.

Le ministre considère donc que la situation est gérable. Je vais suivre le raisonnement du ministre et considérer ainsi que l’on est dans une période transitoire, et que c’est la prochaine loi de finances qui donnera véritablement le ton des mesures que le gouvernement compte déployer.

- A part la compensation, les aides sectorielles ou directes, que peut apporter concrètement la prochaine loi de finances quand on connaît toutes les contraintes budgétaires du pays ?

- Si nous considérons que la politique budgétaire doit jouer un rôle extrêmement actif, dans la contrainte de la ressource que l’on connaît, il y a nécessité de réfléchir et de prendre des mesures importantes en matière de rationalisation de la dépense publique.

Nous avons besoin d’une lecture nouvelle de nos dépenses. Quand je dis lecture, je parle de l’analyse de l’impact de la dépense publique, de son affectation et du rendement de l’investissement public.

A présent, il est nécessaire de revisiter toute la dépense publique : comment améliorer son impact, comment l’optimiser, comment assurer son suivi, son impact sur la croissance, sur l’emploi…

Cette lecture ne doit pas être faite seulement sur une année, mais sur un cadre soutenable sur le moyen terme.

Grâce à la nouvelle loi organique des finances, les budgets ont connu un changement très important dans leur mode d’élaboration et dans leur mise en œuvre. J’ai l’impression cependant que cette nouvelle loi organique des finances n’a pas abouti aux objectifs escomptés.

On a donc besoin, aujourd’hui, de faire le point sur la réforme de la politique budgétaire.

Autre chose : jusqu’à présent, on a beaucoup plus réfléchi aux ressources à travers la réforme fiscale, mais pas suffisamment à la dépense et au train de vie de l’Etat, qu’il faudrait revoir à la lumière des nouvelles donnes économiques nationales et mondiales.

Bien sûr, des mesures ont déjà été prises dans la gestion du parc automobile de l’Etat, du parc informatique… Mais à présent, il est nécessaire de revisiter toute la dépense publique : comment améliorer son impact, comment l’optimiser, comment assurer son suivi, son impact sur la croissance, sur l’emploi…

Il y a actuellement des rapports de performance qui mesurent l’impact de l’investissement public dans tel ou tel secteur, mais cette réflexion doit porter sur l’ensemble du budget, sachant qu’il y a les budgets annexes, les comptes spéciaux du Trésor et les SEGMA (services de l’Etat gérés de manière autonome, ndlr), qui composent une bonne partie de la dépense publique et sur lesquels nous n’avons pas de lisibilité.

Quand vous posez aujourd’hui la question de savoir combien dépense en ressources le ministère de l’Education, rien ne garantit que vous aurez une réponse claire de la part du ministère. Même chose pour le secteur de l’eau et d’autres... On est dans une sorte de dépolitisation de la dépense publique… On a besoin d’un toilettage et d’une harmonisation des comptes.

Ce volet-là me paraît très important car on a passé beaucoup de temps à réfléchir sur la politique fiscale, ce qui est important aussi, mais sans se soucier véritablement des marges que l’on peut dégager en rationalisant la dépense.

- Au-delà de ces aspects techniques dans la gestion budgétaire, quand vous parlez du manque de lisibilité et de visibilité des mesures budgétaires, faites-vous référence également au volet communication gouvernementale ? D’autant que beaucoup d’acteurs politiques et économiques pointent du doigt le silence de l’exécutif en cette période sensible...

- Je m’interroge aussi sur ce silence. Il est vrai que le nouveau gouvernement est en place depuis neuf mois à peine et a déjà déclaré sa feuille de route, à travers la déclaration gouvernementale, mais aussi les priorités dessinées par le discours royal d’ouverture du Parlement. D’une certaine manière, on connaît un peu les grandes orientations de ce nouveau gouvernement, ses priorités... Mais là où le bât blesse, c’est dans le "comment". C’est là où il y a, à mon sens, un déficit de communication.

C’est bien de réformer, mais pour qu’une réforme réussisse, il faut qu’elle soit acceptée par les citoyens. Or, je pense qu’on a tendance aujourd’hui à croire qu’il suffit qu’on aie un bon gouvernement pour que les choses coulent de source. On oublie que la perception joue aussi un grand rôle. C’est extrêmement important pour fonder la confiance.

J’ai été sidéré de voir que la majorité gouvernementale avait formulé une demande pour réduire le nombre de passages du chef du gouvernement devant le Parlement, d’une fois par mois comme le veut la Constitution à une fois par trimestre.

On a vu aussi comment le dialogue social s’est passé. Je ne crois pas que ce soit véritablement la façon la plus efficace de fonder une nouvelle approche du dialogue social avec les partenaires syndicaux. J’en doute, car encore une fois, les annonces ont été faites la veille du 1er mai. On a certes parlé d’une modernisation de la méthodologie du dialogue social, mais on ne voit rien de concret pour l’instant, alors que le dialogue social a un rôle extrêmement important à jouer dans cette conjoncture. Un Etat social ne doit pas se contenter de dialoguer avec les syndicats et le patronat ; il doit aussi élargir le dialogue à toute la société, au-delà des acteurs sociaux, économiques ou politiques.

Le passage mensuel du chef du gouvernement au Parlement, que cet exécutif veut rendre trimestriel, n’est pas bien compris. Je vois qu’il prend de plus en plus la forme d’une déclaration au lieu d’être un débat qui, à travers l’enceinte des parlementaires, cible toute la société.

Sa structure et son contenu sont également à revoir à mon avis, car chaque passage est réservé à une thématique précise : éducation, santé, eau, culture… Or, lorsqu’il y a des urgences qui préoccupent les gens, c’est tout le débat qui doit se focaliser dessus.

Il ne faudrait pas que ce mode de dialogue, qu’il soit parlementaire ou social, soit réduit à de la figuration. Il doit être mené dans une logique d’implication. Parce que c’est dans l’implication que réside réellement la confiance, et non dans le discours ou les annonces.

- Quels sont selon vous les sujets sur lesquels le gouvernement a besoin de clarifier son action ?

- Il y en a plusieurs. Si vous voulez des exemples, je peux vous citer de grandes orientations comme l’opérationnalisation du Nouveau Modèle de développement, la création du Fonds Mohammed VI, la nouvelle agence du secteur public qui va porter la réforme des entreprises et des établissements publics…. On n’entend plus rien sur ces projets structurants. Pourquoi ce silence ? S’il y a du retard, il faut au moins le dire.

Je peux vous citer aussi l’exemple de la généralisation de l’assurance maladie. A quoi cela sert-il de dire que nous avons publié 22 décrets d’application si les gens ne sont pas au courant ? Sans parler des autres aspects névralgiques pour la réussite de ce projet, comme la question du financement. Le gouvernement a annoncé la mise en œuvre de ce projet dès cette année, mais ne donne pas d’informations sur la pérennité financière de ce système. Les taxes de solidarité, ce n’est pas quelque chose de durable.

Le gouvernement dit qu’il travaille, mais il ne parle pas. Peut-être qu’il est en train de travailler sur des choses que l’on ignore. Je veux bien le croire. Mais il travaille sur des projets sociétaux qui ont été lancés justement afin de créer de la confiance. Et la confiance, on en a bien besoin en ces temps difficiles…

- Vous pensez que l’action gouvernementale n’inspire pas la confiance nécessaire en cette période difficile ?

- Je crois que la confiance est déjà rompue avec les citoyens. Lorsque je vois des millions d’entre eux se soucier des prix du gasoil, sans que le gouvernement ne parvienne à expliquer exactement ce qu’il envisage de faire, je pense qu’il y a réellement un problème.

Il y a un besoin de pédagogie, de rassurer sur les choix. Et rassurer sur les choix, ce n’est pas simplement les annoncer ou travailler dessus en interne. C’est, au contraire, impliquer les parties prenantes de manière visible pour que le citoyen sache qu’il y a une dynamique collective qui dépasse celle du gouvernement en tant que tel, et définit une nouvelle façon de travailler des pouvoirs publics, avec la société ou les représentants de la société.

C’est l’un des critères extrêmement importants de l’efficacité de l’action publique, qui n’est pas tout simplement une question de gouvernement.

Une réforme n’est pas une opération uniquement technique. Il faut y faire adhérer les populations, il faut qu’il y ait de la concertation. Or la concertation est à différencier de l’information.

Larabi Jaidi : « La question fondamentale, c’est la confiance des acteurs économiques »

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