Interpellation de 'dé-jeûneurs' dans un café de Casablanca : ce que l’on sait
A Casablanca, cinquante personnes ont été arrêtées pour avoir rompu le jeûne durant le mois de ramadan. Selon l’AMDH et le CNDH, toutes les personnes interpellées ont été entendues, puis relâchées.

Interpellation de 'dé-jeûneurs' dans un café de Casablanca : ce que l’on sait
A Casablanca, cinquante personnes ont été arrêtées pour avoir rompu le jeûne durant le mois de ramadan. Selon l’AMDH et le CNDH, toutes les personnes interpellées ont été entendues, puis relâchées.
Le mercredi 28 avril 2022, 25e jour du mois de ramadan, a été marqué par une descente de police dans un café à Casablanca. Il s’agit du café La Cadence, sis au boulevard d’Anfa. Une cinquantaine de personnes qui 'dé-jeûnaient' à l’intérieur de l'établissement ont été arrêtées.
La scène a été filmée par ChoufTv, qui a également donné la parole à une personne se présentant comme une habitante du quartier. Elle déclare que le voisinage a déposé “plusieurs plaintes” contre ce café qui accueille “chaque jour des Marocains qui viennent dé-jeûner durant le mois de Ramadan”.
Joint par Médias24, Aziz Rhali, président de l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH), "les raisons de cette descente ne sont pas claires. Nous ne savons pas encore s'il y a eu plainte, ni de qui elle émanerait". Il indique que “les cinquante personnes arrêtées ont été entendues puis libérées”. Idem pour la gérante et les salariés de l’établissement. Autrement dit, aucune poursuite n’a été lancée à l’heure où nous écrivons ces lignes.
“Désormais, c’est au ministère public de qualifier les faits”, indique la même source qui insiste, par ailleurs, sur l’incompréhension autour “des agissements de l’Etat”. “On ne sait pas ce qu’il veut”, souligne Aziz Rhali.
“Le Maroc a adhéré au protocole facultatif des droits civils et politiques le 22 avril dernier. Ce qui constitue une avancée mais, sur le terrain, on constate que l’on régresse. Comment se fait-il que quelques jours après cette adhésion, nous assistions à ce qui s’est déroulé à Casablanca ?”, s'étonne-t-il.
Café fermé, déjeuner public ?
Pour le président de l’AMDH, plusieurs manquements ont été constatés dans le cadre de cette affaire. Selon lui, “un café fermé” ne répond pas à la définition donnée par le législateur marocain, celle de la "rupture publique du jeûne". Ici, Aziz Rhali fait référence à l’article 222 du Code pénal selon lequel “celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de l’emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 200 à 500 dirhams”.
Notre interlocuteur revient ensuite sur “ce qui s’est passé”, et dénonce la présence médiatique filmant les personnes arrêtées à leur sortie du café.
Par ailleurs, depuis l'arrestation de ces personnes, les réactions fusent et, surtout, divergent. Le sujet fait polémique, notamment à la suite de la diffusion de témoignages, dont une note vocale relayée par le Collectif 490 (Moroccan Outlaws), dans laquelle une des jeunes filles arrêtées dans le café indique que "les filles qui ont déclaré être en période de menstruations ont fait l'objet d'un contrôle par la police".
Pour Aziz Rhali, il s'agit d'une "grande catastrophe". "Nous attendons de rencontrer les personnes concernées pour nous diriger vers une plainte pour torture, car le protocole facultatif international évoque non seulement la torture, mais aussi les traitements dégradants”.
Interpellé sur la réalité des faits relatifs à la "vérification des menstruations" des jeunes filles arrêtées, Mustapha Baïtas a indiqué, lors du point de presse suivant le Conseil de gouvernement de ce jeudi 28 avril, que "concernant l'article 222 relatif à la rupture publique du jeûne durant le ramadan, l'exercice d'une liberté donnée ne doit pas être dans la provocation de la liberté d'autrui".
Quant aux conditions d'arrestation, le porte-parole du gouvernement assure qu'elles se sont déroulées "dans des conditions humaines et dans le strict respect de toutes les dispositions légales en la matière".
"Pénaliser le fait de dé-jeûner pendant le mois de ramadan n’a plus lieu d’être"
Également joint par Médias24, Mounir Bensalah, secrétaire général du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), affirme que le conseil régional de Casablanca “suit de près cette affaire, rassemble les données et discute avec les différents protagonistes, sachant que toutes les personnes interpellées ont été relâchées”.
Il assure que la position du CNDH à l’égard de cette question, qui fait souvent polémique, a été partagée à l’occasion du mémorandum concernant le Code pénal marocain, dans lequel “le CNDH avait plaidé pour la dépénalisation des actes similaires qui touchent des droits et libertés telles que universellement reconnues”.
“Nous considérons que le Code pénal devrait suivre l’évolution de la société. Pénaliser le fait de dé-jeûner pendant le mois de ramadan n’a plus lieu d’être. Pour nous, quand cela est fait dans un cadre privé, où les gens n’ont pas cherché à se faire de la publicité ou à le faire dans la provocation et de la préméditation pour atteindre à l’ordre public, il n’y a pas de raison à ce que cette punition soit encore de mise”, conclut-il.