Delattre, Stroc, Buzzichelli, le Maroc laisse-t-il couler ses fleurons industriels ?

Delattre et Stroc sont en redressement judiciaire et risquent de faire l’objet d’une liquidation, à l’image de Buzzichelli. Alors que le Maroc fait de la souveraineté industrielle une orientation stratégique, ces entreprises se heurtent à l’indifférence des pouvoirs publics.

Delattre, Stroc, Buzzichelli, le Maroc laisse-t-il couler ses fleurons industriels ?

Le 28 février 2022 à 12h15

Modifié 28 février 2022 à 13h20

Delattre et Stroc sont en redressement judiciaire et risquent de faire l’objet d’une liquidation, à l’image de Buzzichelli. Alors que le Maroc fait de la souveraineté industrielle une orientation stratégique, ces entreprises se heurtent à l’indifférence des pouvoirs publics.

Delattre Levivier Maroc (DLM) et Stroc Industrie, deux leaders de l’industrie de la construction métallique marocaine, sont placés en redressement judiciaire. Ils risquent de subir le même sort que Buzzichelli Maroc, cet autre fleuron du même secteur qui, lui, a été placé en liquidation judiciaire en 2018.

A l’heure où le Maroc a fait de la souveraineté économique et industrielle une cause nationale, le cas de ces deux entreprises et de ce secteur en général interpelle. Le Maroc va-t-il laisser perdre à nouveau des entreprises qui ont fait la fierté de son industrie et sont synonymes du savoir-faire national en la matière ?

En effet, après DLM, c’est Stroc Industrie qui bascule en redressement judiciaire, après avoir été jusqu’à présent en sauvegarde judiciaire. L’entreprise a quatre mois pour présenter une solution au tribunal. DLM s’est vu, quant à elle, valider son plan de continuation qui va s’étaler sur dix ans.

DLM, un redressement judiciaire qui va durer longtemps

Contacté par Médias24, Eric Cecconello, directeur général de DLM, se veut rassurant. "On est toujours là. On est sur un redressement qui va durer longtemps, mais on reprend nos forces", déclare-t-il.

"Pendant la période d’observation des 8 derniers mois, on a beaucoup travaillé pour restructurer l’entreprise et alléger ses charges. On a notamment diminué la masse salariale et réalisé toutes les économies possibles de nature : frais généraux, charges fixes, etc. C’est un travail que l’on continuera à faire au cours des années 2022 et 2023, qui nous permettra de faire preuve d’agilité et d’être plus rentables pour les exercices futurs", explique-t-il.

Pour ces premières années, où la priorité est donnée à la prudence et à l’économie, l’entreprise a intégré dans ses prévisions une activité plus faible, pour passer ensuite à la vitesse supérieure, mais tout en restant dans des objectifs raisonnables. Le plan prévoit de revenir dans les 6 à 7 ans aux volumes qu’elle réalisait il y a trois ans.

Le Covid a compliqué une situation déjà fragile

A l’origine du problème selon l’entreprise, deux "très mauvais contrats" qu’elle avait avec des contractants généraux étrangers qui ont remporté des marchés au Maroc et pour lesquels DLM a été sous-traitante. Suite à des conflits, "DLM n’a pas pu rivaliser avec les moyens juridiques mis en œuvre par ces entreprises internationales". 

Elle a donc accusé des pertes considérables, ce qui l’a amenée, en 2019, à présenter un dossier de sauvegarde judiciaire. Ainsi, des chantiers au Maroc, qui sont des investissements marocains, deviennent des gouffres financiers pour les sous-traitants marocains, simplement parce qu’ils ne sont pas suffisamment armés juridiquement face à des contractants généraux étrangers plus puissants.

Avec la sauvegarde, l’entreprise prévoyait de commencer à rembourser ses créances. Mais entre-temps, la crise du Covid-19 est passée par là et a compliqué la situation, ce qui a amené le tribunal à transformer la sauvegarde en redressement judiciaire. "L’évolution du dossier de la sauvegarde au redressement, c’est clairement à cause du Covid", estime le directeur général de DLM.

"Nous étions déjà affaiblis et la crise sanitaire est venue nous porter un sacré coup puisque que la plupart des projets étaient interrompus. On s’est retrouvé avec un personnel sans activité dont on devait tout de même assurer le salaire, alors que nous n’avions plus de rentrées d’argent. La situation a été particulièrement difficile", explique-t-il.

A en croire quelques intervenants lors de la dernière plénière de la FIMME (Fédération des industries métallurgiques, mécaniques et électromécaniques), c’est la situation que vit actuellement une grande partie du secteur. Car après les arrêts de chantiers pendant le confinement, c’est la hausse continue des prix de la matière première, notamment de l’acier, qui est venue déstabiliser fortement les entreprises.

Ce n’est pas facile d’avoir à répercuter la hausse des prix. Désormais, les entreprises tiennent à inclure des clauses qui leur permettent de réviser les prix, mais ce n’est pas le cas de la plupart des contrats conclus avant la crise du Covid-19.

Malgré cela, il n’est techniquement pas facile d’avoir des contrats qui prennent en compte la fluctuation des prix de l’acier. Car le cours de l’acier n’est pas résumé à un indicateur phare auquel on peut indexer le prix dans un contrat, comme c’est le cas pour le pétrole par exemple, poursuit Eric Cecconello.

La prédominance du clé en main a changé la donne

Contacté par Médias24, un expert de ce secteur nous explique, sous couvert d’anonymat, que les donneurs d’ordre y sont pour beaucoup dans la crise que traversent actuellement ces entreprises. En effet, en optant pour des projets clé en main et en adoptant la règle du moins-disant, ils ont favorisé une concurrence féroce et une grande prise de risque.

Ainsi, ces grandes entreprises marocaines se sont vu concurrencer sur le prix par des entreprises plus petites en taille et plus agiles, car elles ont un personnel permanent moins important. D’autre part, elles sont concurrencées par des entreprises internationales qui maîtrisent mieux la partie engineering mais qui sous-traitent la réalisation et la construction à d’autres entreprises marocaines.

Les grandes entreprises marocaines, quant à elles, ont sous-traité la partie engineering à des bureaux d’études qui n’étaient pas suffisamment qualifiés sur l’engineering de process, et qui ont réalisé des estimations pas assez précises. 

Résultat : les écarts ont été supportés par ces entreprises elles-mêmes, comme elles ont soumissionné à prix ferme, toujours selon cet expert. Pour lui, c’est auprès des donneurs d’ordre qu’il faut trouver la solution : "Il faut qu’ils acceptent de payer le prix de la qualité."

En revanche, Eric Cecconello relativise le poids de la concurrence étrangère qui se concentre plutôt sur la charpente et  les équipements chaudronnés. Des pays asiatique comme la Chine, la Malaisie, la Thaïlande, l’Inde, ainsi que ceux du Golfe, pratiquent des prix presque hors de portée pour les industriels marocains. DLM n’est pas très impactée car la charpente n’est pas sa spécialité. En revanche, cette concurrence se ressent fortement sur le reste du secteur.

Eric Cecconello recommande d’ailleurs que la préférence nationale soit étendue aux sous-traitants, car un contractant général peut très bien remporter le marché grâce à la préférence nationale, puis sous-traiter la construction métallique à l’étranger.

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