Rivalité UE-Chine: les cartes du Maroc

Après la récente visite au Maroc de la présidente de la Commission européenne qui va lui allouer 1,6 milliard d’euros dans le cadre de la stratégie Global Gateway, l'ex-diplomate Ahmed Faouzi et le président de l'Institut prospective et sécurité en Europe, Emmanuel Dupuy, analysent pour Médias24 les enjeux de ce jeu d’influence censé contrer les nouvelles routes chinoises de la soie.

Rivalité UE-Chine: les cartes du Maroc

Le 14 février 2022 à 20h04

Modifié le 14 février 2022 à 20h21

Après la récente visite au Maroc de la présidente de la Commission européenne qui va lui allouer 1,6 milliard d’euros dans le cadre de la stratégie Global Gateway, l'ex-diplomate Ahmed Faouzi et le président de l'Institut prospective et sécurité en Europe, Emmanuel Dupuy, analysent pour Médias24 les enjeux de ce jeu d’influence censé contrer les nouvelles routes chinoises de la soie.

En visite au  Maroc le mercredi 9 février, Ursula von der Leyen a annoncé, via un tweet, que l’Union européenne (UE) allait allouer au Maroc un investissement de 1,6 milliard d’euros, sans autres précisions.

Selon des explications de la représentation de la Commission Européenne à Rabat à Médias24, "ces fonds correspondent à l’enveloppe bilatérale (sous forme de dons) de l’UE pour le Maroc pour la période 2021-2027". Quant aux secteurs cibles, "ils seront en phase avec la stratégie global gateway", nous explique-t-on.

Global Gateway est un programme qui vise à mobiliser jusqu'à 300 milliards d'euros pour la stratégie de l'Union européenne "visant à développer des liens intelligents, propres et sûrs dans les domaines du numérique, de l'énergie et des transports et à renforcer les systèmes de santé, d'éducation et de recherche dans le monde entier". Voilà ce qui est de l'objectif affiché.

Mais, pour certains observateurs, la stratégie Global Gateway vise implicitement à faire pièce aux "nouvelles routes de la soie" qui ont promis de favoriser, d’ici 2049, l'accès aux financements chinois pour de grands projets au Maroc et de développer les échanges avec l’Afrique.

Contacté par nos soins, l’ancien ambassadeur du Royaume en Côte d’Ivoire, Ahmed Faouzi, estime que la qualité des liens Maroc-Union européenne dépend plus d'une vision stratégique et politique que d'une enveloppe financière.

"En effet, l'offre de l'Union européenne au Maroc ne pourra pas fonctionner correctement sans une vision politique globale commune, prenant en compte les propres intérêts stratégiques du Maroc au niveau de son intégrité territoriale comme au niveau de ses intérêts en Afrique."

Interrogé par Médias24, le président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), Emmanuel Dupuy, nous confirme que si l’UE et la Chine ne sont pas sur les mêmes volumes financiers, l’ambition reste identique, car l’Afrique fait partie des éléments structurants des deux projets, Global Gateway et les nouvelles routes de la soie.

Ainsi, sachant que le Maroc a une coopération déterminante avec l’UE qui est son premier partenaire économique, tout comme l'Afrique en termes de volume d’échanges sur le continent, il était logique que la présidente Ursula von der Leyen se rende à Rabat après Dakar, où elle a rencontré le nouveau président de l’Union africaine, le Sénégalais Macky Sall.

"En fait, si l’Europe regarde avec beaucoup d’intérêt le Maroc, c’est parce que c’est le premier pays africain à avoir signé en 2003 le statut avancé avec l’UE, qui a ensuite été dupliqué aux cas tunisien et algérien. La relation est particulière, voire unique dans le sens où le Maroc est spécifique avec un statut très avancé", rappelle Emmanuel Dupuy.

« L’UE en quête de partenaires sérieux pour établir une nouvelle route européenne de la soie »

"De plus, la visite au Maroc de la présidente européenne a eu lieu juste avant le sommet UE-UA, à savoir dans un contexte particulier où l’Europe a besoin de trouver des partenaires crédibles au sein de l’UA.

"Depuis son retour, le Maroc s’est beaucoup impliqué dans la commission Paix et sécurité et a montré sa volonté de s’arrimer plus fermement dans sa région, via sa demande de rejoindre la Cedeao. Sans oublier sa coopération efficace en termes de lutte anti-terroriste et contre l’immigration clandestine", souligne Emmanuel Dupuy.

"Si le projet Global Gateway ressemble à une nouvelle route de la soie européenne, son objectif est de ne pas répéter les erreurs des Chinois en s’appuyant plus sur la dimension numérique et environnementale. De ce point de vue, l’exemple marocain est déterminant avec un objectif d’atteindre, en 2025, 52% de son mix énergétique provenant des énergies renouvelables pour réduire de moitié son empreinte carbone", poursuit le président de l’Institut prospective et sécurité en Europe.

A la question de savoir si le Maroc, courtisé de part et d'autre, pouvait profiter à la fois des prêts chinois et des dons européens pour se développer, Dupuy pense que rien ne s’y oppose car il ne s’agit pas d’une union politique ou juridique, mais de projections géo-économiques. "Le Maroc a tout intérêt à multiplier sa participation à ces projets, il n’a jamais été question pour les Chinois ou les Européens d’interdire à leurs partenaires de s’associer à d’autres projets de développement".

"Sans quoi cela voudrait dire qu’il est devenu un allié de la Chine contre l’Europe. L’un n’invalide pas l’autre, mais ils se complètent, car l’intelligence pragmatique d’un pays comme le Maroc consiste justement à s’appuyer sur tous les projets possibles et imaginables pour renforcer son attractivité économique", indique le président de l'Institut prospective et sécurité en Europe.

Et d'ajouter, "c’est en effet une réalité que le Maroc attire aussi bien les IDE chinois qu’européens, comme l’Espagne par exemple qui est devenue son premier partenaire économique avec 12 milliards d’euros/an devant la France. Ainsi, ce n’est pas parce que la France n’a pas signé le plan chinois que le Maroc devrait s’empêcher de commercer avec elle. Cela n’entraîne pas de signature exclusive entre la Chine et les 77 pays qui ont signé ce projet des nouvelles routes de la soie."

« L’UE veut profiter de l’image négative véhiculée par les nouvelles routes de la soie »

Sur la différence entre l’offre de prêts chinois et de dons européens, le géopoliticien nous explique que la Chine devra faire attention à qui elle prête, pour ne plus se retrouver avec des clients qui sont dans l’incapacité de rembourser leurs prêts (Sri Lanka, Monténégro, Djibouti…).  "La Chine se veut vigilante sur l’image actuelle véhiculée par les nouvelles routes de la soie qui est plutôt négative, sachant que de nombreux pays signataires sont devenus endettés, voire étouffés".

"C’est d’ailleurs la principale différence avec le projet Global Gateway de l’Europe qui porte plus sur des dons ou des coopérations d’égal à égal, et n'est surtout pas conditionné par un endettement insupportable", résume Dupuy en confiant que l’UE mise sur cette image plus vertueuse.

Sur les bénéfices que pourrait tirer le Maroc de la double offensive sino-européenne, notre interlocuteur évoque une concurrence saine entre les deux bailleurs de fonds, mais aussi avec d’autres prêteurs.

"En effet, il ne faut pas se limiter à la Chine et à l’Union européenne, car les Etats-Unis s’inscrivent aussi dans une nouvelle forme de grands projets d’investissement sur le continent africain. Partant de là, le Maroc a tout intérêt à jouer la concurrence et à multiplier les partenariats économiques de cette nature avec la Chine, l’UE, la Russie, les États-Unis ou d’autres qui souhaitent investir à l’international."

Sur un éventuel apport du Maroc aux Chinois en Afrique, Dupuy précise que 50% des investissements chinois sont concentrés dans dix pays africains de la rive orientale (Tanzanie, Ethiopie, Djibouti...), mais que l’Afrique de l’Ouest est une nouvelle terre de conquête.

« Sachant que le Maroc qui joue la transition Nord-Sud a une légitimité continentale et une proximité avec l’Europe, il peut constituer un point d’ancrage pour des pays comme la Chine qui veut s’y installer. Mais en réalité, le rôle africain du Maroc est bien plus indispensable à l’Europe qu’à la Chine, qui a commencé son offensive économique sur le continent depuis plusieurs décennies".

"En effet, la situation de crise qui caractérise la Tunisie, avec le récent coup de force du président Kaïs Saïed, et la situation tendue de l'Algérie, qui connaît une instabilité politique et des tensions migratoires avec la France, rendent le Maroc comme étant le seul point d’ancrage stable pour un dialogue entre l’UE et l’UA", avance Dupuy.

« Le Maroc devra choisir entre délocalisations européennes et investissements chinois »

Sur d’éventuels investissements massifs chinois au Maroc pour en faire une base arrière de « l’usine du monde », à même d'éviter au Vieux Continent de subir les récentes ruptures de stocks (semi-conducteurs…), le géopoliticien écarte ce scénario. D'après lui, l’Europe, échaudée par la crise, vise justement à délocaliser ses industries stratégiques au Maroc pour ne plus être aussi dépendante de la Chine.

« Le Maroc devra choisir entre accueillir sur son sol des usines stratégiques (médicaments, textile, automobile, aéronautique…) pour le compte de l’Europe ou de la Chine ; mais au regard des enjeux commerciaux, je penche plus pour une délocalisation européenne au Maroc », conclut Dupuy.

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