Jack Lang : “La décision de prêter des chefs-d’œuvre de l’IMA au Maroc tombait sous le sens”

Après l’annonce du prêt, par l’IMA, d’une collection d’artistes arabes destinée à une exposition itinérante au Maroc, son président a expliqué à Médias24 les raisons de ce choix inédit. Assumant pleinement son tropisme pour l’art arabe et le Maroc, Jack Lang espère que cette initiative ouvrira la voie à d’autres pays.

Jack Lang : “La décision de prêter des chefs-d’œuvre de l’IMA au Maroc tombait sous le sens”

Le 10 février 2022 à 19h31

Modifié 11 février 2022 à 11h16

Après l’annonce du prêt, par l’IMA, d’une collection d’artistes arabes destinée à une exposition itinérante au Maroc, son président a expliqué à Médias24 les raisons de ce choix inédit. Assumant pleinement son tropisme pour l’art arabe et le Maroc, Jack Lang espère que cette initiative ouvrira la voie à d’autres pays.

Médias24 : Pourquoi l’Institut du monde arabe a-t-il choisi le Maroc pour ce prêt exceptionnel qui constitue une première depuis sa création ?

Jack Lang : Tout simplement parce que le Maroc est un pays d’exception qui a une vie culturelle et artistique intense, et parce que les pouvoirs publics marocains engagent en permanence des actions en faveur de l’art et de la culture, notamment avec le récent discours du chef du gouvernement devant le Parlement, qui a accordé une place importante à la culture et à l’art dans la société marocaine.

Mais aussi parce que Mehdi Qotbi est un formidable patron de la politique des musées du Maroc, à travers la fondation qu’il préside, et que Sa Majesté a créée.

L’IMA a donc la garantie que les œuvres que nous allons prêter au Maroc seront merveilleusement présentées et susciteront auprès du public marocain, qui a déjà été initié et éduqué sur l’art contemporain et moderne, un accueil favorable et enthousiasme.

- Votre choix tombait sous le sens ?

- Oui, mais il a fallu une double volonté du président de la Fondation nationale des musées, très engagé et actif, à qui l’on peut difficilement résister, et bien évidemment la volonté de l’Institut du monde arabe.

- Combien de chefs-d'œuvre d’artistes arabes vont être prêtés au Maroc pour l’exposition itinérante qui aura lieu entre Tanger, Rabat et Marrakech ?

- Le chiffre exact n’a pas encore été fixé car les discussions sont toujours en cours entre la direction de la Fondation nationale des musées et la directrice des expositions de l’IMA.

En réalité, leur nombre importe peu ; il sera plutôt question de qualité, avec des œuvres présentées exceptionnelles et réellement représentatives de l’art contemporain et moderne, afin que l’exposition soit réussie.

- Elles seront issues de l’ensemble du monde arabe ?

- C’est ce qui a été souhaité par nos amis de la Fondation nationale des musées.

- Avec des artistes marocains ?

- Cela va de soi, d’autant que les artistes marocains sont les plus brillants aujourd’hui.

S’il ne sera pas simple d’effectuer un choix, nous faisons confiance aux équipes scientifiques et artistiques pour décider, d’un commun accord entre la fondation et l’institut, du choix des œuvres qui leur paraîtront être les plus représentatives.

- Les artistes exposés sont vivants ou du siècle dernier...

- Absolument, ce seront des artistes vivants, modernes ou contemporains, de la période récente.

- L’IMA possède-t-il la plus importante collection d’œuvres d’artistes arabes au monde ?

- En fait, il y a eu une époque où très peu de personnes s’intéressaient à l’art arabe contemporain. Or, l’IMA a non seulement mené une politique systématique d’acquisition, mais il a également pu bénéficier de plusieurs donations qui représentent environ 1.800 chefs-d’œuvre.

Par conséquent, il possède une collection rare et exceptionnelle qui fait aujourd’hui de lui le plus important musée d’art contemporain du monde arabe en Occident.

- Depuis votre nomination à l’IMA, vous avez mis l’accent sur une politique d’acquisition d’œuvres d’artistes arabes. Pensez-vous avoir réussi à faire partager votre tropisme pour le monde arabe ?

- En réalité, avant mon arrivée, des responsables ont accompli du très bon travail. Cela dit, l’institut a connu comme partout des hauts et des bas.

Au moment où le président François Hollande a proposé, après avoir obtenu l’accord des pays arabes, de me désigner à la tête de l’institut, la situation de cette institution n’était pas brillante. Elle connaissait des difficultés financières et un manque d’ambition et d’imagination.

- Et un manque d’intérêt pour le monde arabe, qui n’était pas vraiment à la mode ?

- C’était en effet une institution qui dormait, mais il y a quand même eu des périodes antérieures plus heureuses et plus brillantes. Il serait donc faux de prétendre que rien n’a été fait avant mon arrivée.

J’en veux pour preuve le fait que cette collection d’art arabe contemporain qui va être prêtée au Maroc provient, en partie, d’acquisitions réalisées antérieurement à mon arrivée à la tête de l’institut.

Il faut cependant préciser que les donations exceptionnelles qui nous ont été accordées s’expliquent peut-être en raison de la confiance et de la passion que l’IMA inspire aujourd’hui.

- Combien d’œuvres possède l’Institut du monde arabe ?

- Je ne connais pas le chiffre exact, mais la fourchette se situe entre 7.000 et 8.000 œuvres. Encore une fois, il y a le nombre et la qualité, car les collections de l’IMA sont d’une qualité véritablement exceptionnelle.

- Des tableaux ou des sculptures ?

- Principalement des peintures.

- L’IMA, qui est financé par le monde arabe, n’a jamais prêté de collection à un de ses contributeurs ?

- A ma connaissance, cela n’a jamais été le cas mais, a contrario, la coopération avec le Maroc n’est pas une première, notamment avec la Fondation nationale des musées qui a organisé plusieurs événements avec l’IMA.

- Que pensez-vous de l’action muséale du président de la Fondation des musées du Maroc ?

- Mehdi Qotbi est un personnage d’exception, à la vitalité débordante, qui a une passion pour son pays, l’art et la culture vraiment hors du commun.

En effet, ce qu’il a entrepris depuis quelques années à la FNM est très impressionnant.

Selon moi, la décision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI de créer cette fondation, puis de le désigner à la tête de cette fondation, a été un choix couronné de succès.

- Pour certains, un personnage de roman ou de théâtre ?

- (Rires). Il est vrai que comme tous les personnages de ce type, Mehdi ne se confond pas avec le mur.

Haut en couleur, vivant, pugnace, curieux de tout, il nourrit des rapports humains très chaleureux avec tout le monde, aussi bien au Maroc que dans les autres pays comme la France dont il est un ami très proche.

Je dois reconnaître que nous sommes toujours aussi impressionnés par son ardeur et son engagement.

- En septembre dernier, l’IMA a signé trois accords avec la FNM, dont un portait sur la création d’une bibliothèque d’art au sein du Musée d’art contemporain Mohammed VI. Est-ce que c’est l’IMA qui va la financer ?

- Absolument. Pour constituer cette bibliothèque, nous allons donner de nombreux ouvrages dont nous sommes en train de déterminer la liste qui sera impressionnante.

- Des ouvrages de quoi ?

- Évidemment liés à l’art et à la culture du monde arabe, mais aussi à la littérature arabe.

C’est un cas unique car nous n’avons jamais établi une telle coopération avec un autre pays, et encore moins alloué une aussi importante dotation en livres, revues et documents, qui sera exceptionnelle.

- Où en est l’organisation prévue par l’IMA et la FNMM d’une biennale arabe de la photographie ?

- Étant toujours en phase de discussion, je préfère ne pas dire de bêtises et en reparler plus tard.

- Votre proximité amicale avec Mehdi Qotbi ne risque pas de faire des jaloux dans le monde arabe ?

- Des envieux peut-être, mais des jaloux certainement pas. Beaucoup d’admirateurs dans le monde arabe reconnaissent que le Maroc est un pays unique en son genre, par son histoire et son système de culture, mais aussi par le grand Roi à la tête de ce magnifique pays.

Tout le monde comprend donc que, chaque fois que c’est le cas, le Maroc puisse être cité en exemple, mais cela n’enlève rien à la qualité des liens que la France ou moi-même avons tissé avec d’autres pays arabes.

Il y a des sympathies plus ou moins grandes liées aux personnes et aux situations, mais à titre personnel je suis, au-delà des dirigeants, en harmonie avec tous les citoyens, artistes, créateurs et intellectuels arabes ou pas, avec le sentiment que nous appartenons tous à une seule et même patrie.

- Pourtant, certains cercles en Algérie avancent que l’IMA est sous la coupe du Maroc ?

- Sachant que nous sommes libres, indépendants et amicaux avec les uns et les autres, c’est un procès politique qui n’a pas lieu d’être et n’a aucun fondement, d’autant que nous avons des liens très directs avec nombre d’intellectuels et d’artistes algériens.

D’ailleurs, pour 2022, qui représente l’année de la célébration du 60e anniversaire de la signature des accords d’Évian et donc de l’indépendance de l’Algérie, nous avons imaginé toute une série d’actions culturelles pour montrer la créativité algérienne à différentes époques.

Ainsi, il y a quelques jours, nous avons inauguré une exposition unique en son genre, « Regards croisés 1961-2019 », qui a associé le grand photographe Raymond Depardon et l’immense écrivain Kamal Daoud.

Cet événement considérable a d’ailleurs été suivi d’une série de manifestations avec la projection de films, l’organisation de concerts musicaux et la lecture d’auteurs, sous l’impulsion de l’Institut du monde arabe.

S’il est vrai que nous l’avons organisé indépendamment des autorités algériennes, cette initiative de l’IMA était en lien direct avec certaines institutions culturelles algériennes, ainsi qu’avec des artistes et créateurs de ce pays, dont notamment les éditions Barzakh qui font un travail formidable à Alger.

- Une question à l’ancien ministre de la Culture de François Mitterrand, qui a réussi à doubler son budget ministériel à une époque où elle était plutôt négligée. Le Maroc doit-il suivre l’exemple français pour se développer ?

- Il est vrai qu’année après année, nous avions réussi à doubler le budget de la culture jusqu’à atteindre 1% du Budget général de l’État, mais je ne peux pas m’immiscer dans les choix du gouvernement marocain.

Cela dit, si j’en crois les déclarations récentes du chef du gouvernement devant le Parlement, je pense que les autorités marocaines vont certainement parvenir à ce cap tôt ou tard.

Selon moi, ce scénario est d’autant plus crédible que Sa Majesté le Roi est un passionné d’art et un amoureux de la culture. Il est à l’origine de très nombreux projets culturels au Maroc.

En ce moment même, l’IMA présente une exposition qui rencontre un grand succès sur l’histoire plurimillénaire des juifs dans les pays arabes.

Là encore, le Maroc occupe une place exceptionnelle grâce aux différents souverains qui ont accordé une protection exceptionnelle à ses populations judaïques, lesquelles ont toujours fait partie de son histoire et de sa culture.

Le Roi Mohammed VI a pris beaucoup d’initiatives remarquables qu’aucun autre pays n’a osé entreprendre, comme la création d’un musée juif à Fès et l’inclusion de l’histoire du judaïsme marocain dans les manuels scolaires.

A ce propos, les Marocains qui viendront visiter à Paris l’exposition intitulée « Juifs d’Orient » seront certainement surpris par l’ampleur et la place exceptionnelle occupée par le judaïsme marocain.

- L’initiative de l’IMA va-t-elle ouvrir la voie à des prêts pour d’autres pays arabes ?

- Je ne sais pas encore, mais il est certain que ce projet avec le Maroc, qui est une première, doit nous permettre de réfléchir pour essayer de dupliquer cette expérience dans d’autres pays du monde arabe.

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