Souveraineté sanitaire : les ambitions de l’industrie pharmaceutique marocaine

La FMIIP recommande de promouvoir la préférence nationale au niveau des marchés publics et des autorisations de mise sur le marché, la substitution aux importations, notamment pour les génériques, la création d'une agence nationale du médicament et celle d'un centre de bio-équivalence d'envergure internationale.

Souveraineté sanitaire : les ambitions de l’industrie pharmaceutique marocaine

Le 30 janvier 2022 à 15h45

Modifié 30 janvier 2022 à 15h45

La FMIIP recommande de promouvoir la préférence nationale au niveau des marchés publics et des autorisations de mise sur le marché, la substitution aux importations, notamment pour les génériques, la création d'une agence nationale du médicament et celle d'un centre de bio-équivalence d'envergure internationale.

"Plus de valeur ajoutée pour une souveraineté sanitaire nationale et continentale": c'était le thème d’une conférence organisée mercredi 26 janvier 2022 par la CGEM, en partenariat avec la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutique (FMIIP), dans le cadre des "Rencontres du Livre blanc".

L’industrie pharmaceutique marocaine constitue 1,5% du PIB et 5% du PIB industriel. Elle est évaluée à 16 MMDH de chiffre d’affaires, dont 10% à 15% de ce chiffres d'affaires se font à l'exportation, notamment vers d'autres pays africains. Elle emploie plus de 50.000 salariés. 

Depuis la fin des années 1990, la part des produits fabriqués au Maroc pour la consommation nationale n’a cessé de baisser, passant de 75% à 50% aujourd’hui. La FMIIP ambitionne d’inverser la tendance pour atteindre 80%

Elle se donne également pour objectif de doubler le chiffre d'affaires du secteur à l’horizon 2026, d’autant plus que 50% des capacités de production sont actuellement inexploitées. Elle évalue, par ailleurs, à 3 MMDH le potentiel du Maroc en matière de substitution aux importations des médicaments.

De tels objectifs profiteront à la souveraineté sanitaire nationale, que beaucoup appellent de leurs vœux. La FMIIP espère y arriver notamment en misant sur les médicaments génériques, qui aujourd’hui ne représentent que 35% du marché marocain, contre plus de 80% aux États-Unis. 

Un alignement des astres en faveur de la construction de la souveraineté sanitaire

Lamia Tazi, vice-présidente de la FMIIP et directrice générale de Sothema, considère la situation actuelle comme particulièrement opportune pour la promotion de l’industrie pharmaceutique nationale.

Après la pandémie et les pénuries qu’elle a causées, en raison de la dépendance mondiale vis-à-vis de quelques pays asiatiques, la plupart des États dans le monde, y compris les plus développés, ont pris conscience de l’importance de la souveraineté dans ce secteur vital. Le Maroc également en fait désormais un objectif national.

D’autre part, le chantier national de la couverture sociale universelle incite à disposer d’un médicament à "un prix convenable et facturé en dirhams", afin d’éviter qu’il ne se transforme en un "gouffre financier" pour l’État.

Enfin, le Nouveau Modèle de développement, qui recommande de passer de 50% actuellement de couverture du marché par la production nationale à 80%, émet des recommandations audacieuses partagées par le secteur. Selon Lamia Tazi, ces trois facteurs font que le moment est propice pour lancer des réformes en vue de contribuer à la souveraineté sanitaire nationale.

La FMIIP s’aligne sur les recommandations du NMD

Les recommandations émises par le président de la FMIIP et PDG de Zenith Pharma, Mohamed Bouhmadi, vont dans le sens de celles faites par le rapport sur le Nouveau Modèle de développement. Hakima Himmich, membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD), en a présenté les principaux points.

Le diagnostic fait par la CSMD a conclu que l’industrie pharmaceutique marocaine n’était pas assez protégée en comparaison avec les pays voisins. Une forte augmentation des importations de médicaments a été enregistrée ces dernières années, notamment entre 2009 et 2018 où l’augmentation a atteint 55%. "L'importation de génériques plus chers que ceux fabriqués localement est devenu monnaie courante", accuse Mme Himmich.

"Le Maroc doit impérativement mettre l’industrie pharmaceutique marocaine au cœur de ses préoccupations et la protéger", déclare Hakima Himmich. La CSMD a recommandé dans ce sens de donner la priorité aux génériques fabriqués au Maroc dans les appels d'offres publics. 

"En outre, lorsqu'il y a sur le marché marocain deux génériques d’un même médicament, il faut en arrêter l’importation. C’est le cas dans de nombreux pays comparables au Maroc", selon Hakima Himmich. Elle recommande aussi que les remboursements de l’AMO, à l’heure de sa généralisation, soient faits sur la base du prix du générique le moins cher.

Le rapport de la CSMD reprend la recommandation du Conseil de la concurrence qui date de 2018, à savoir la création d'une agence nationale du médicament. "Il ne faut pas que le ministère de la Santé soit le seul décideur dans ce domaine", lance Hakima Himmich. 

Une régulation plus transparente de l’octroi des autorisations de mise sur le marché (AMM) est nécessaire, afin de favoriser une concurrence loyale entre opérateurs et inciter au développement d’une industrie pharmaceutique marocaine compétitive. 

Au-delà de la préférence nationale au niveau des appels d'offres, la FMIIP recommande d’instaurer une préférence nationale au niveau du traitement des AMM. "Aujourd’hui, une AMM traitée à la fabrication locale prend beaucoup plus de temps qu’une AMM traitée à la relocalisation, parce qu’à l’importation, la Direction des médicament de la pharmacie (DMP) se réfère à un produit qui est déjà commercialisé", regrette Mia Lahlou Filali, directrice générale de Pharma 5.

"On a besoin de ressources 100% dédiées à la fabrication locale. Il faut renforcer le capital humain de la DMP, dont au moins les deux tiers doivent se consacrer à la fabrication locale", poursuit-elle. 

L'impérieuse nécessité de créer un centre de bioéquivalence d’envergure internationale et de certification internationale a également été relevée. "Aujourd’hui, on a un tout petit centre au Maroc qui peut traiter dix dossiers par an. Le besoin national est de cent dossiers au moins par an. On est obligés de sous-traiter à l’étranger. Cela porte atteinte à notre souveraineté, nous sommes soumis à des délais que nous imposent ces prestataires, peut-être parfois pour prioriser des produits de leurs compatriotes", explique Mia Lahlou Filali.

Les brevets, principal frein au développement de la fabrication des génériques au Maroc

Hakima Himmich a repris sa casquette d’acteur de la société civile pour déplorer le fait que nombre de médicaments ne peuvent être produits au Maroc à cause des brevets.

En 2015, le Royaume a signé un accord de validation des brevets européens. Une "explosion" de brevets déposés au Maroc a été enregistrée par la suite, selon elle. "On est passé de 42 en 2016 à 193 en 2019, alors que 48% de ces brevets ont un lien direct ou indirect avec l’industrie pharmaceutique."

"Il faut réformer le cadre légal qui régit le régime de propriété intellectuelle. C’est un cadre trop restrictif qui est en défaveur de l’industrie pharmaceutique marocaine", avertit-elle.

"La pandémie du Covid-19 a été l’occasion pour plusieurs pays de faire des réformes pour restreindre l’impact de la propriété intellectuelle, aussi bien des pays riches comme le Canada, les Pays-Bas et Israël, ou émergents comme le Brésil et la Russie."

Les licences obligatoires sont délivrées par les pouvoirs publics à des tiers, les autorisant à fabriquer le produit breveté sans le consentement du titulaire du brevet. Hakima Himmich propose de simplifier le recours à ces licences obligatoires pour favoriser l’industrie pharmaceutique nationale.

"Si les Pays-Bas ou le Canada, pays très "pro-pharma", ont réussi à simplifier les procédures des licences obligatoires, on peut le faire en prenant le Covid comme point d’entrée. Le Brésil a décidé que, en cas de pandémie ou d’épidémie, tous les nouveaux médicaments et vaccins feraient l’objet systématiquement d'une licence obligatoire. La Russie l’a simplifiée au maximum."

Les atouts du Maroc pour devenir un hub de fabrication de médicaments

"Le Maroc a tous les atouts pour devenir un hub de l’industrie pharmaceutique", déclare Mia Lahlou Filali. Les exportations marocaines, qui sont estimées entre 10% et 15% de la production nationale, peuvent être multipliées par dix, d'après elle.

Comme pour les écosystèmes industriels, l’industrie pharmaceutique peut tabler sur les infrastructures logistiques, la stabilité politique, le leadership dans la transition énergétique, et la position géographique du pays entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne.

L’industrie pharmaceutique nationale classée deuxième en termes de production à l’échelle du continent, et qui jouit d’une reconnaissance internationale, peut viser plus haut grâce à sa compétitivité, sa diversification et son équipement en hautes technologies. 

En effet, selon Mia Lahlou Filali, les Marocains arrivent à remporter des appels d'offres face aux Indiens et aux Chinois, qui opèrent sur de larges marchés leur offrant des économies d’échelle dont ne bénéficie pas l’industrie nationale.

Ce déploiement international doit se faire dans deux directions. La première concerne l’Afrique où le Maroc bénéficie déjà d’une bonne pénétration. "On a un acteur dans le top 10 et trois acteurs dans le top 50, sur 700 acteurs", se félicite Mia Lahlou Filali.

La deuxième, c’est l’Europe où la relocalisation de la production des médicaments est devenu un enjeu pris très au sérieux. "C’est un rendez-vous que nous ne devons manquer sous aucun prétexte. Nous avons tous les atouts pour relever ce défi", estime-t-elle.

 

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