La guerre en Syrie durera-t-elle encore dix ans ?

Le Centre Moshe Dayan de Tel Aviv, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique, livre une analyse prospective édifiante sur le conflit en Syrie. Les experts prédisent un prolongement de la crise, alimentée par les intérêts stratégiques et économiques des pays alliés.  

La guerre en Syrie durera-t-elle encore dix ans ?

Le 13 mai 2014 à 16h34

Modifié le 11 avril 2021 à 2h35

Le Centre Moshe Dayan de Tel Aviv, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique, livre une analyse prospective édifiante sur le conflit en Syrie. Les experts prédisent un prolongement de la crise, alimentée par les intérêts stratégiques et économiques des pays alliés.  

En Syrie, le Printemps arabe a depuis longtemps cessé de fleurir, pour sombrer dans un long et interminable hiver… Le soulèvement populaire contre le régime répressif de Bachar Al Assad s’est mué en guerre ouverte d’une incroyable violence, causant depuis plus de trois ans des dommages quasiment irréversibles pour le pays et provoquant le décès de plus de 150.000 Syriens. Malgré l’ampleur des destructions, la ruine de la nation, l’absence d’espoir et de perspectives pour la population, le conflit ne semble pas avoir d’issue et de nombreux analystes estiment qu’il va davantage s’ancrer dans la durée.

Les professeurs Paul Rivlin et Yzthak Gal, du Centre Moshe Dayan de l’université de Tel Aviv, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique, examinent dans leur publication Iqtisadi, l’ampleur des dégâts subis par la population et les différents secteurs d’activité en mettant parallèlement en exergue le rôle des pouvoirs extérieurs dans le prolongement du conflit. Leurs constats sont accablants.

Trente ans de retard

L’économie est moribonde, détruite. Les Nations Unies avancent le chiffre spectaculaire de 84 milliards de dollars : un montant colossal correspondant au total des dommages infligés à l’économie syrienne au cours des deux premières années du conflit. Les spécialistes précisent que « si le conflit prenait fin immédiatement, avec un PIB enregistrant une croissance annuelle moyenne de 5%, la Syrie aurait tout de même besoin d’une trentaine d’années pour revenir à son niveau de 2010 », avant la révolution.

Le niveau du PIB en 2014 enregistre un déclin avoisinant les 30 milliards de dollars, autrement dit moins de la moitié du taux noté en 2011. En découle une baisse drastique du PIB par habitant qui passe de 2.870 à 1.430 dollars. Quant au taux de chômage, il touche près de 50% de la population. Les Syriens, frappés de plein fouet par cette crise qui s’enlise, sont désormais plus de la moitié à vivre sous le seuil de pauvreté, quand 4,4 millions d’entre eux franchissent le cap fatidique de l’extrême pauvreté.

Assistance et subventions, gages de survie

Dans ce scénario catastrophe, l’agriculture, principal pilier de l’économie, joue également son triste rôle. Alors que le pays à longtemps été le seul de la région à s’assurer une autosuffisance alimentaire, ce secteur ne permet plus de nourrir la population. Les dommages de la guerre tels que la destruction des systèmes d’irrigation, des usines d’engrais etc. combinés à la plus sévère sécheresse relevée depuis 2008 ont entraîné des récoltes négligeables : 1,7 million de tonnes (ou 2 millions pour les plus optimistes) contre un taux annuel moyen de 4 millions de tonnes, indique le Programme alimentaire mondial (PAM). Avant la crise, la Syrie disposait d’une réserve de blé équivalente à 3,5 millions de tonnes et couvrant la consommation annuelle de la population. En 2013, le pays a dû importer près de 2,5 millions de tonnes de blé.

Les Syriens dépendent désormais majoritairement des subventions gouvernementales qui s’élèvent à 44% du budget global du pays ou des aides extérieures et humanitaires pour assurer leur survie et garantir l’accès aux produits de consommations de base. Le PAM estime qu’en 2014, le nombre d’individus nécessitant l’assistance alimentaire de l’organisme de l’ONU varie entre 4,2 millions à 6,4 millions. Une demande croissante qui conduit l’organisme à réduire la capacité des colis humanitaires de 20%. La mesure semble sévère, pourtant elle seule permet de composer avec l’absence de financement et apporter une réponse aux nombreux besoins de la Syrie.   

8 millions de déplacés, 4,1 millions de réfugiés

Si certains pays étrangers participent à l’aide humanitaire, d’autres infligent d’importantes sanctions économiques et secouent le régime. Conséquences : aggravation de la pauvreté, absence d’emploi, hausse de la vulnérabilité induite par la destruction massive des logements, des infrastructures, des installations d’eau et d’électricité mais également pénurie de carburants. Un marasme socio-économique qui génère l’émergence d’une économie souterraine. L’insécurité des grands axes entrave le commerce et le transit ; or s’il est bien une loi qui demeure lorsque tout s’écroule, c’est bien celle de l’offre et de la demande. Les prix flambent entraînant une inflation galopante.

Dans ce contexte de chaos, des milliers de Syriens ont choisi ou ont été contraint au départ. Selon les dernières données officielles de l’Onu 7,3 millions de Syriens ont été déplacés, officieusement, ils seraient plus de 8 millions, dont une partie seraient originaires du plus « grand foyer de déplacements » : la ville d’Alep, désertée par plus de 650.000 Syriens. D’autres ont opté pour d’autres horizons, fuyant leur Syrie natale, en proie à la violence. Le nombre de réfugiés est en passe de franchir le seuil des 4,1 millions d’individus à la fin 2014. Ils seraient 1,4 million au Liban, 1 million en Turquie, 800.000 en Jordanie, 400.000 en Irak et 250.000 en Egypte.

Tuer la poule aux œufs d’or ?

Des chiffres criants et un désastre palpable qui n’empêchent pourtant pas le leader contesté Bachar Al Assad de nier la poursuite de la crise. Le régime et l’armée contrôlent près de 40% du territoire, les combats les opposants aux rebelles perdurent charriant leurs lots de morts, mais pour le dictateur syrien, « la guerre est finie ». Si ce conflit se poursuit bel et bien, c’est essentiellement parce qu’il bénéficie à certains groupes et aux alliés du régime syrien.

Le gouvernement maintient les dépenses des forces armées et de la fonction publique, alors que les nouvelles élites militaires sont devenues des acteurs économiques majeurs après une mainmise sur les points de passage aux frontières, le contrôle des greniers du pays, ainsi que des antennes de la Banque centrale du pays. Cependant, si le régime de Bachar Al Assad est parvenu à se maintenir malgré les pressions et les sanctions internationales, c’est en grande partie grâce à la main tendue par ses principaux alliés : l’Iran, la Russie et la Chine.

En mai 2013, le voisin iranien signe un accord avec le dirigeant syrien lui garantissant l’approvisionnement de 3,6 milliards de pétrodollars, à rembourser sous forme d’investissements syriens (les détails n’ont pas été précisés). Ce pacte s’inscrit dans un accord global permettant à l’Iran d’étendre son soutien à Bachar Al Assad et faisant suite à un précédent dépôt de 500 millions de dollars dans les coffres de la Banque centrale syrienne. Ce soutien stratégique iranien offre une alternative aux sanctions internationales. Et les contourne même… En fournissant du pétrole, carburant, financement, soutien militaires, l’Iran renforce le régime d’Assad que la communauté internationale s’efforce d’affaiblir.

Et au jeu de la contradiction et de la défense des intérêts propres, la Russie n’est également pas en reste. Sur les côtes contrôlées par l’armée régulières, de nombreux navires battant pavillon russe accostent pour livrer du pétrole, de l’armement et mettent à disposition des conseillers militaires. Pour ce pays, abritant d’importantes industries d’armements, la guerre est génératrice de profits. Bien qu’elle brandisse son désaccord avec les logiques « d’ingérence » défendues et appliquées selon la Russie par les Nations Unies, il est indéniable que les intérêts économiques motivent en partie son soutien au régime syrien, client de choix. En 2011, la Russie a exporté pas moins d’un milliard de dollars d’armes à destination de la Syrie et près de 4 milliards de dollars de contrats lient les deux pays. Selon des sources russes, les échanges commerciaux ont quant à eux bondi de 58 % pour atteindre 1,97 milliard de dollars, en 2011.

Selon les analystes, la Russie vise d’une part l’exploitation totale du port de Tartous au nord-ouest de Damas, lui conférant un accès stratégique à la Méditerranée, mais mise également d’autre part sur l’exploration hydrocarbures et gazières dans les eaux syriennes, renfermant des réserves indéterminées. Cette exploration pétrolière est régit par un accord signé entre la Syrie et la Russie, conférant à cette dernière une licence de 25 ans. Si le pays de l’Est finance la totalité des frais, il juge être amplement récompensé par la découverte de réservoirs exploitables.

Le soutien économique et diplomatique de ces trois puissances semble assurer au régime de Bachar Al-Assad un maintien à la tête de ce pays dévasté. Le dirigeant amorce par ailleurs sa campagne présidentielle et se présente à sa propre réélection le 3 juin prochain, ravivant ainsi les tensions des factions rebelles.  

Pour certains experts, il ne fait aucun doute que le conflit syrien suivra les traces des huit années de guerre opposant l’Iran et l’Irak, puis les affrontements initiés par les Etats-Unis (en 1991 puis 2003) les opposant à l’Irak. Ces conflits se sont inscrits dans la durée, ont provoqué des millions de morts et autant de déplacés. Des années après le retrait des belligérants, l’Irak reste agité par des tensions internes. Le sillon est tracé et la Syrie s’y glisse inexorablement.

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