Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Un roman vrai ou la narration d’une nation

Le 5 mai 2023 à 11h44

Modifié 5 mai 2023 à 11h44

Avons-nous assez rêvé en commun ? La question peut paraitre saugrenue car le rêve est un état singulier, intime et qui ne se commande pas, ni ne se met au pluriel. C’est pourtant ce phénomène onirique survenant pendant le sommeil, mais qui est entendu ici plutôt comme une construction de l’imagination en état de veille qui donnerait un sens à ce que nous somme en tant que peuple, communauté ou nation.

Le rêve ne se commande pas car le verbe rêver ne se conjugue pas à l’impératif. Pas plus que le verbe aimer. Voilà pourquoi on ne peut sommer quelqu’un de rêver d’une chose ou d’un être ni de l’aimer. Et voilà pourquoi probablement un grand rêveur, romancier et homme politique comme André Malraux écrivait ceci : "L’esprit donne l’idée d’une nation ; mais ce qui fait sa force sentimentale c’est la communauté de rêves."

Bien sûr, on soutiendra, et à juste titre, que ce que nous avons vécu récemment ici avec l’équipe nationale de football durant la Coupe du monde au Qatar a constitué en quelque sorte une "force sentimentale" due à cette "communauté de rêve". Ce momentum qui a été vécu à l’unisson par tout un peuple en liesse, peut être considéré en effet comme l’impulsion d’un temps marocain à nul autre pareil. Moment rare, il a indubitablement révélé cet esprit qui donne une idée d’une nation, comme disait Malraux, auteur entre autres d’un roman intitulé "L’espoir". Porté par un discours optimiste dicté par une conjoncture favorable et privilégiée, on a donné libre cours, et c’est de circonstance, à des slogans et des mots d’ordre amplifiés par les réseaux sociaux et les médias du monde entier. En Afrique comme dans les pays arabes sans exception (fait unique dans ces derniers), en plus de la liesse partagée par les Marocains, des mots simples, jadis ringards, comme "Nya" et des cris d’encouragement de footeux foutraques comme "Siiiir !" se sont répandus à travers la planète. Le monde parlait darija. La langue absente est devenue une langue de joie et d’espoir.

Bien sûr, quelques malins et margoulins de la politique et certaines entreprises et ses "fils de pub" ont tôt fait de récupérer ces mots et slogans, conçus et émis dans les stades par des gens simples et impécunieux, pour en faire des arguments de vente, de propagande et de marketing. C’est dans la logique des choses, diront les blasés qui pourfendent cette ère du vite et du vide où les descendants des chasseurs-cueilleurs se sont transformés en consommateur-zappeurs. Le culte de l’immédiateté, grand marqueur de notre époque, ne peut produire qu’oubli, travestissement ou effacement. Signalons, cependant au passage et en contre-exemple, la parution d’un bel ouvrage intitulé pertinemment "Le moment marocain" consacré à l’exploit du Onze nationale à la Coupe du monde. Richement illustré, ce beau-livre édité par La Croisée des Chemins et préfacé par Driss El Yazami laisse parler les images, fort belles et expressives, afin de graver dans les mémoires à la fois les prestations des joueurs et le bonheur de ceux qui les ont supportés ici comme ailleurs. Concluant sa présentation, le préfacier souligne à juste titre : "En nous faisant rêver et en rendant à tout un peuple joie, fierté et goût du travail bien fait, le Lions ont, pour utiliser un langage commun, "fait leur job". Aux autres dirigeants et responsables marocain dans tous les domaines et aux simples citoyens de faire leur part."     

Maintenant, après que les journalistes, les hommes et femmes de médias et de l’immédiat ont fait leur travail d’historiens du présent, il reste aux autres d’accomplir le leur et de raconter pour le futur et pour compléter notre récit national. Nourrir un imaginaire historique partagé par l’ensemble des citoyens telle est la fonction du récit national. Un roman vrai qui donne aux rêves la puissance et la précision de la réalité. La narration d’une nation, l’écriture d’une histoire. Mais qu’est-ce que l’Histoire et comment l’écrit-on, se demande Paul Veyne dans son ouvrage intitulé justement "Comment on écrit l’histoire ?" (Seuil. Point) "La réponse à la question n’a pas changé depuis deux mille deux cents ans que les successeurs d’Aristote l’ont trouvée : les historiens racontent des évènements vrais qui ont l’homme pour acteur ; l’histoire est un roman vrai…"

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