Hassan Hami

Ancien diplomate, docteur en sciences politiques.

The Cheesegate ou la parodie de la démocratie

Le 3 septembre 2024 à 11h49

Modifié 3 septembre 2024 à 11h49

Les friands des affaires politiques à rebondissements se rappellent des feuilletons Julian Assange et Edward Snowden qui ont défrayé la chronique ces dernières années. Assange, fondateur de WikiLeaks, a trouvé refuge à l’ambassade d’Équateur à Londres de 2012 à 2019. Après de longues diatribes juridiques (2019-2024), il accepte de plaider coupable pour acte d’espionnage. Il est libéré d’une prison britannique et autorisé à rentrer en Australie, dans l’attente de son procès. Pour sa part, Snowden a fait des révélations jugées nuisibles à la sécurité nationale américaine. Il s’est enfui en 2013 à Moscou où il a obtenu la nationalité russe.

Des épisodes qui ont tenu en haleine des journalistes, diplomates, politiciens et amateurs du sensationnel. Si on remonte plus loin, on peut lire des informations contradictoires sur d’autres feuilletons liés à la libération d’otages ou aux transactions diplomatiques et sécuritaires impliquant des entités étatiques et non-étatiques. On peut aussi tomber sur des récits associés à la politique intérieure des États.

Le terme le plus choisi pour qualifier ces péripéties, dont le caractère rocambolesque est indéniable, est Gate. Gate, mot anglais qui signifie porte (ou portail). À cet égard, on peut citer Watergate (1972-1974) se rapportant à une affaire d’espionnage dans les locaux du Parti démocrate qui a conduit à la démission du président républicain, Richard Nixon. L’affaire Iran-Contra durant les années 1980 pendant le second mandat du président Ronald Reagan mérite aussi d’être citée. Elle concernait un trafic d’armes vers l’Iran en vue de financer les Contras au Nicaragua, en dépit de l’embargo décrété contre ce pays.

Ces portes ouvertes pour aussitôt se refermer

Cependant, Gate, cette porte ouverte au grand public, vise en réalité la fermeture de tous les accès aux recoins les plus reculés susceptibles de faire éclater des scandales incontrôlables par la suite. Si bien qu’il est de coutume de dire que pour tuer dans l’œuf une affaire qui sent mauvais, il suffit de créer une commission d’enquête, suivie de sous-commissions qui n’en finissent jamais pour aniser l’atmosphère et hypnotiser la vigilance des apprentis sorciers. Le poisson est noyé. Le public est rattrapé par l’ennui. L’affaire est close.

Les amateurs du septième art et les cinéphiles accrochés se souviennent de l’excellent long métrage de Michel Cimino ‘’Heaven’s Gate’’ sorti en 1980. Il a été artistiquement, esthétiquement et thématiquement un must, mais commercialement un fiasco. La raison en a été la manière osée dont Cimino a dépeint ce qui est communément appelé "esquisse de la démocratie américaine" sur la base de faits réels qui se sont déroulés entre 1889 et 1893. Toutes les portes ouvertes ne conduisent pas au Paradis.

Eh bien, en matière de "Gate", il me plait de partager une histoire rocambolesque appelée dans des cercles diplomatiques restreints "The Cheesegate" ou "L’affaire du fromage".

Nous sommes en 2013-2014-2015. Les médias internationaux sont accaparés par la couverture des conflits classiques qui rapportent gros, en laissant, toutefois, une petite marge aux faits divers qui n’attirent pas l’attention des grands décideurs étatiques et non-étatiques.

Cependant, au fil des semaines, ces médias décident de réserver une large place à l’impact du "printemps arabe" sur les régions limitrophes. En effet, depuis 2012, année du déclenchement de ce printemps, les choses commencent à prendre une tournure inattendue par les planificateurs politiques et stratégiques en Occident.

Dans la périphérie arabe, Zine El Abidine Ben Ali de Tunisie, Hosni Moubarak d’Egypte, Ali Saleh du Yémen, Mouammar Kadhafi de Libye sont évincés du pouvoir ou liquidés. D’autres dirigeants l’échappent belle. Dans l’euphorie de la mise en œuvre du paradigme de changement de régime, comme condition sine qua non à l’installation de la démocratie dans la périphérie arabe, des planificateurs occidentaux, américains et européens, cultivent l’idée de provoquer un "printemps caucasien".

Évidemment, la manœuvre n’est pas innocente. Les planificateurs politiques et les stratèges militaires visent la réalisation de quatre objectifs au moins. Premièrement, creuser davantage dans le tunnel de la mésentente entre la Russie et ses anciennes Républiques du Caucase du Sud. Deuxièmement, broder sur le précédent géorgien (indépendance unilatérale de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, reconnue par la Russie en 2008) pour faire avancer le projet laborieux du Partenariat oriental. Troisièmement, lancer un signal en direction de la Turquie que les Européens peuvent opérer à l’aise dans ce qu’Ankara croit être sa base arrière culturelle et civilisationnelle. Quatrièmement, semer le trouble dans tout l’espace caucasien et d’Asie centrale pour fléchir la position de l’Iran au moment où les négociations sur le dossier nucléaire évoluent en zigzag.

Les manœuvres, somme toute compréhensibles parce qu’entrant dans le cadre des marchandages diplomatiques et sécuritaires, traduisaient, en réalité, des inquiétudes de voir la Russie reprendre du poil de la bête dans son ancien espace vital. L’objectif était de ne pas permettre à l’Union économique eurasiatique lancée par la Russie en 2014 et comprenant l’Arménie, la Biélorussie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, de supplanter le Partenariat oriental, déjà traversant des moments difficiles.

La mise en œuvre du Partenariat oriental (2009) subissait le même sort que l’Union pour la Méditerranée (2008). Les deux initiatives cherchaient à transcender les litiges endémiques des partenaires caucasiens et ceux de la rive sud de la Méditerranée par l’ascendant économique, mais sans aller jusqu’à instaurer un partenariat viable.

La démocratie mercantile

Il s’est agi d’un calcul politique et diplomatique erroné dans la mesure où il rappelait celui fait deux décennies auparavant par certains pays arabes (1991-1994) au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique. En effet, ces pays ont proposé leur soutien à des pays du Caucase et d’Asie centrale en plaçant leur assistance dans la rubrique de la renaissance de la religion islamique, traînée (croirait-on) dans la boue durant la présence soviétique dans ces deux régions.

Or, dans le cas de notre Cheesegate, l’idée du partage est associée à celle de l’adage "Le vainqueur ramasse toute la mise". Le théâtre de cette histoire est l’Azerbaïdjan. En pleine pression exercée par des pays européens sur Bakou, sous prétexte de l’amener à réformer son système politique, des citoyens azerbaïdjanais, sans doute de bonne foi, ont été soutenus ouvertement pour accompagner l’élan d’ouverture souhaitée.

En soi, l’aspiration à plus d’ouverture dans n’importe quel système politique est souhaitable. Sauf que dans le cas azerbaidjanais, turkmène, ouzbèk, kazakh, kirghiz et tadjik, l’objectif était foncièrement mercantile.

Concernant l’Azerbaïdjan et le Turkménistan, l’objectif était la géopolitique des hydrocarbures, avec le gaz naturel clou du spectacle. Dans le cas des autres pays d’Asie centrale, l’objectif était de stopper la progression turque et chinoise. La Turquie aspirait à faire ressusciter son âge d’or hypothétique dans la région. La Chine était en train de peaufiner sa stratégie de la Route de la Soie.

Or, le Hidden Script, pour ainsi dire, a été de se mettre d’accord sur la manière de bénéficier des projets gaziers que l’Azerbaidjan et le Turkménistan étaient en train de réaliser avec l’objectif déclaré d’approvisionner l’Europe et de réduire la dépendance européenne du gaz russe.

C’est dans cette atmosphère qu’un militant des droits de l’Homme azerbaidjanais a trouvé refuge dans une ambassade européenne. Obligation d’hospitalité obligeant, il recevait le traitement idoine dans de pareilles situations. Tout se passait bien jusqu’au jour où il n’était plus possible de le nourrir sans l’aide des autres chancelleries européennes.

La personne réfugiée était friande des fromages. Elle en mangeait à satiété au point de gagner des kilos supplémentaires et que le stock du fromage était épuisé. C’est alors que naquit l’histoire de Cheesegate caucasienne. Les Chancelleries européennes faisaient alors face à deux problèmes.

Premièrement, comment résoudre le problème de la nourriture de l’hôte azerbaidjanais. Deuxièmement, comment faire que cela n’empiète pas sur l’autre question d’approvisionnement liée à la géopolitique de l’énergie. En effet, la bataille faisait rage entre les diplomates européens pour orienter ou influencer les décideurs azerbaidjanais et turkmènes et les convaincre de choisir entre les projets de gazoduc objets de négociations serrées : Nabucco et TAP (projet de gazoduc transcaucasien).

Plus tard, Nabucco sera mis en veilleuse, en raison d’une part, de son coût faramineux et de l’autre, du casse-tête des projets du corridor nord (lancé en 1997 qui a subi des dommages collatéraux liés à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, en septembre 2022) et du corridor sud (qui devait être lancé en 2015).

Les pays membres de l’Union européenne, qui se targuaient d’avoir une position identique au sujet du Caucase du Sud et de la Russie, adoptaient séparément des positions dichotomiques au sujet des projets de gazoducs.

Cela rappelait des divergences aussi importantes que celles enregistrées au lendemain de l’indépendance des anciennes républiques du Caucase, notamment au sujet de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC, 1993-1999) et de l’oléoduc Bakou-Soupas (1994-1999).

La question en suspens à l’époque était de savoir si l’Arménie devait ou non être impliquée dans le tracé et le transit du pétrole et dans quelle proportion la Géorgie et la Turquie devaient être un pari gagnant. L’idée sous-jacente a été de trouver une issue au conflit de Nagorno-Karabakh grâce à l’ascendant économique selon un scénario difficile à accepter par les parties étatiques en conflit.

Le Cheesegate a mis en évidence le jeu diplomatique dans les coulisses des intérêts européens divergents. Le militant des droits de l’Homme azerbaïdjanais, envié de trop apprécier le fromage, n’a été en fait qu’un prétexte. Il a été comme l’avaient été Watergate, le feuilleton des Contras, la sage de Snowdon et le drame d’Assange. La politique dans sa double dynamique de Hidden Script et de Public Transcript.

Pour leur part, les militants des droits de l’Homme se trouvaient entre le marteau de leur aspiration légitime et l’enclume des promesses non tenues par leurs soutiens étatiques étrangers. Nombreux ont été d’une naïveté telle qu’ils se sont emmêlés les pinceaux en tentant de dessiner des croquis d’espoir et d’optimisme.

L’histoire relatée dans ces lignes pose indirectement la question des organisations non gouvernementales (ONG) qui reçoivent une assistance financière étrangère. Elles sont soupçonnées d’être de connivence avec l’étranger pour déstabiliser leurs pays. Les pays qui les soutiennent leur demandent d’être plus engagées dans la contestation et la dénonciation. Les pays ciblés exigent que l’assistance financière accordée à ces ONG soit transparente. Une équation difficile à résoudre qui, comble d’ironie, donne lieu à ces histoires rocambolesques du genre Cheesegate.

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