Pr. Mohammed Germouni

Economiste et politologue.

L’inflation est de retour et la spéculation aussi

Le 29 avril 2022 à 13h49

Modifié 29 avril 2022 à 14h58

Le retour de l’inflation constitue un véritable défi, tant pour le monde dit de l’économie et de la finance, que pour les divers gouvernements et Banques centrales devant y faire face, de par les pays à économie de marché.

Les victimes sont nombreuses à commencer par tous les consommateurs aux faibles ressources ainsi que les petits épargnants et retraités, sans parler de ceux sans emploi et sans ressources régulières. Progressivement, l’économie mondiale est passée d’une longue période de prix stables, tendant même à la baisse, à une autre de hausse généralisée et peut-être durable, jusqu’à requérir un intérêt grandissant.

L’indice des prix à la consommation

Dans la pratique, ce sont les services statistiques relevant des États comme au Maroc, qui sont en charge de mesurer en particulier l’évolution des prix à la consommation d’une période déterminée, en produisant un indice synthétique. Les "paniers" de biens et services retenus diffèrent d’un pays à l’autre, selon le niveau de développement. Aux USA par exemple, c’est une attribution du ministère du travail. Parfois cela peut-être une institution ou un organisme indépendant, reconnu par les partenaires sociaux pour son objectivité et outillé pour la tâche dans certaines régions du monde.

Un tel indice servira à Bank Al Maghrib à l’instar d’autres banques centrales dans le monde, par exemple, pour élaborer son propre indicateur d’"inflation sous-jacente" pour cibler désormais des prix au lieu des agrégats monétaires de naguère. Cependant l’exclusion des variations des prix des carburants et des denrées alimentaires de base en limite la pertinence, l’alimentation représentant près de la moitié des revenus modestes outre les charges de transport dans le cas du Maroc. La forte poussée inflationniste en cours à l’échelle de la planète, constituera un test du niveau d’efficacité d’un tel ciblage par l’autorité monétaire.

D’économique le phénomène de la hausse des prix devient éminemment politique et de tout temps, dans le sens où il fait appel à un suivi global et organisé par les pouvoirs publics. Un tel événement ne peut être laissé au simple jeu des marchés des biens et des services et encore moins aux interventions d’opérateurs économiques locaux et internationaux dont le métier est non seulement d’anticiper mais aussi de spéculer sous couvert du simple "business as usual".

Passé inflationniste

Le pays n’est pas à sa première inflation et une génération de décideurs et de banquiers actuels fut témoin des écueils et difficultés éprouvés, naguère, pour parvenir à stabiliser progressivement le fragile équilibre économique général du pays. Par le passé, et dans des circonstances mondiales presque similaires de Guerre d’invasion du Kippour 1973 et de hausse du prix de pétrole, la spirale inflationniste n’avait alors épargné que peu d’activités, induisant parfois d’importantes transformations notamment sur les niveaux des coûts, des salaires et des revenus à travers le monde.

Ce fut le premier grand "choc pétrolier" international avec un triplement du prix du baril de pétrole, à l’initiative d’un cartel de pays exportateurs de pétrole (OPEP), une structure intergouvernementale constituée en 1960. En perturbant l’approvisionnement des grands pays industriels qui avaient fait bloc derrière la partie israélienne lors du conflit armé, il a mis fin aux prix bas imposés par un marché international, jusque-là, dominé par les seules grandes compagnies pétrolières américaines et européennes. Avec une insertion structurelle dans l’échange international peu différente de celle d’hier, on peut rappeler par exemple que le Maroc avait été, à son tour, affecté par le cycle inflationniste jusqu’à être contraint de tripler le prix fob de ses phosphates. Avec une élasticité-prix autrement différente de celle des produits énergétiques et dans un contexte de début de récession internationale, pareille décision aura eu d’importantes répercussions négatives sur les équilibres économique et financier du pays.

L’augmentation rampante actuelle de prix est, à la fois, le résultat d’offres réduites de matières premières et de biens intermédiaires ainsi que des fortes liquidités résultant de nombreux grands programmes publics de sortie de pandémie ici et là, en soutien tant à la consommation et à la production. Au tableau de bord de l’économie mondiale, la production de la grande usine chinoise, en particulier, enregistre une somme d’incertitudes appelées à durer tant sanitaires, économiques que politiques interagissant sur les décisions de production, d’investissement et de consommation du Reste du monde à court et à moyen termes. Un tel climat favorise des hausses de prix bénéficiant à la chaîne des intermédiaires et des nombreux "traders".

Insuffisante anticipation

En dépit de diverses alertes signalant un retour d’instabilité des prix au niveau international depuis l’année dernière, l’option privilégiée par exemple tant par la Réserve américaine (Fed) que par la Banque centrale européenne déjà depuis plusieurs années a été maintenue, consistant en aides aux marchés tant par des crédits massifs que par des achats de dettes des grandes entreprises internationales, en se préoccupant peu du niveau général des prix et de l’économie réelle à proprement parler. L’attitude optimiste de certaines grandes banques de la planète quant à la courte durée de l’actuel processus inflationniste qu’elles voudraient transitoire n’est plus d’actualité, car il y a divers indicateurs de hausse de prix dans les tuyaux des différents marchés mondiaux qui portent à penser qu’une ample et longue détérioration économique est à redouter avant de connaitre quelque retour au calme.

D’ailleurs, à cet égard, au cours des six dernières décennies par exemple, aucune baisse notable des prix n’avait été enregistrée par le simple effet des seuls taux des grandes banques centrales. Ceci est conforté par l’attitude pessimiste des grands fonds d’investissement américains, qui font la pluie que le beau temps, faisant savoir que la récession est au bout du mouvement des taux d’intérêt officiels. En témoigne l’inversion récente des courbes des taux des emprunts américains d’État à court terme et de ceux à dix ans qui n’est pas de bon augure pour l’évolution économique et financière. L’actuelle inflation peut paraitre certes moins structurelle que celle d’avant, en raison de la faible indexation des salaires et de projections inflationnistes à long terme relativement réduites, mais un recul de l’activité ne pourrait être évité et non sans aggravation du chômage.

Difficile éventuel "atterrissage en douceur"

Les dernières analyses des milieux financiers anglais, suite aux conclusions pertinentes, en particulier d’un Charles Goodhart de la London School, paraissent pertinentes pour considérer que l’évolution des contextes économiques internationaux, depuis l’apparition du virus du Covid 19, a été mal approchée par les autorités monétaires américaines. En effet, cette pandémie encore inachevée parait constituer une sorte de ligne de démarcation entre les forces déflationnistes des dernières décennies et la poussée inflationniste en cours depuis et partie vraisemblablement pour quelques longues années. La phase actuelle correspondrait notamment à une réduction du nombre des demandeurs d’emplois combinée à un vieillissement accentué par un recul du taux d’activité des populations en Amérique du nord et en Europe ainsi qu’ en Chine. L’aggravation des tensions internationales ne ferait qu’amplifier les risques d’un large dysfonctionnement des chaînes de production, de fourniture et de transport antérieurs. Toutes choses étant égales, ces risques et incertitudes vont peser à leur tour sur les divers coûts.

Aussi un éventuel "atterrissage en douceur", prôné dans certaines enceintes financières internationales, ne parait ni pertinent ni réaliste et doit inciter les divers décideurs nationaux à ne compter, à court et à moyen termes, que sur leurs propres ressources et sur l’action stabilisatrice de leurs pouvoirs publics aussi limitées soient-elles. La guerre d’Ukraine, par le genre de coalitions formées de puissances pour ou contre, renvoie le monde à l’ancienne confrontation Est-Ouest aussi dangereuse que celle des années 60 du siècle dernier, avec cette particularité de fortement perturber également le commerce international. Outre le grand nombre de victimes et de réfugiés, les destructions et dégâts causés au pays envahi n’augurent, dès lors, ni d’une sortie rapide ni facile d’un pareil conflit, ne pouvant déboucher que sur une division du travail marquée par un haut niveau de méfiance et basée sur la puissance et le commerce des armes.

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