L'Europe après l'Ukraine

Le 23 avril 2014 à 10h58

Modifié 10 avril 2021 à 4h17

PARIS – Lorsque des crises inattendues éclatent, les gens ont tendance à penser que plus rien ne sera jamais comme avant : c'est exactement la conclusion tirée par de nombreux Européens suite à l'annexion de la Crimée par la Russie. Ont-ils raison ?  

Même si les dirigeants européens ont condamné quasi unanimement les actions de la Russie en Ukraine, les diagnostics sur la menace de sécurité causée par la Russie sont très variables. La Pologne et pays baltes sont parmi les pays les plus préoccupés par le comportement de la Russie. En revanche la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Bulgarie restent circonspectes quant à l'adoption d'une approche conflictuelle : une position que partagent des pays comme l'Espagne et le Portugal, qui ne dépendent pas de la Russie pour leur approvisionnement en énergie.

Ces attitudes divergentes peuvent s'expliquer par de grandes différences entre les histoires nationales et les perspectives stratégiques des pays européens. La Pologne et la Russie ont envahi et occupé à tour de rôle le territoire de leur voisin pendant des siècles. L'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont toutes été des républiques soviétiques et à ce titre, leur opposition à la Russie a constitué un élément essentiel de leur processus de reconstruction. Comme d'importantes minorités russophones sont implantées en Estonie et en Lettonie, la justification du président russe Vladimir Poutine pour son annexion de la Crimée (la nécessité de défendre une ethnie soi-disant menacée) ravive immédiatement les angoisses les plus profondément ancrées de ces nations.

Bien sûr, les Tchèques, les Slovaques et les Hongrois, tous des habitants d'anciens satellites soviétiques, gardent aussi un souvenir douloureux de la Russie. Mais en réaction à leur histoire mouvementée, ces pays ont préféré faire profil bas et éviter de prendre position sur les grandes questions internationales. Marqués par leur proximité (pour ne pas dire par leur vulnérabilité) vis-à-vis de leurs voisins plus puissants, ils ont intériorisé leur marginalisation politique et stratégique.

Dans une certaine mesure, la position de ces pays reflète une perception juste de la politique européenne. En fin de compte, la position de l'Europe envers la Russie sera finalement décidée par quatre grandes puissances : l'Allemagne, principal partenaire industriel et énergétique de la Russie ; le Royaume-Uni, le banquier de la Russie ; la France, le partenaire militaire de la Russie et la Pologne, le défenseur de l'Ukraine.

La Russie, un État rentier

Parmi ces quatre puissances, l'Allemagne a de loin le plus d'influence. Si elle mettait un terme à toutes ses relations avec l'Allemagne, la Russie devrait effectivement rompre tous ses liens avec l'Occident et accélérer ainsi son propre déclin. Pire encore, le déclin national serait susceptible d'intensifier plutôt que d'affaiblir les tendances chauvines et prédatrices du régime de Poutine.

Le fait est que la Russie n'est pas une puissance émergente. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la Russie est un État rentier qui vit au-dessus de ses moyens limités en ressources naturelles, avec une population en baisse. L'ancien président russe Dmitri Medvedev l'a apparemment bien compris : dans le but de moderniser et de diversifier l'économie de la Russie, il a cherché à renforcer les relations bilatérales avec l'Allemagne. Cependant depuis le retour à la présidence de Poutine, cette initiative a été mise de côté.

Cela ne veut ne pas dire que Poutine soit totalement inconscient de la valeur de l'Allemagne. Il reconnaît que la menace d'un gel des exportations énergétiques à la puissante Allemagne, très dépendante du gaz russe, risque de causer des dommages permanents à la crédibilité commerciale de la Russie, en affaiblissant l'industrie qui constitue l'épine dorsale de son économie.

En outre, une telle démarche pourrait favoriser les intérêts de l'Iran sur le marché énergétique européen, ce qui pourrait créer une concurrence inopportune pour la Russie. Même sans ajouter les exportations d'énergie à son arsenal diplomatique, la Russie peut prendre des mesures pour atténuer ce risque, en encourageant l'Iran à retarder la conclusion de son accord nucléaire final avec la communauté internationale.

Réduire la dépendance énergétique de l'Europe

La position du Royaume-Uni vis-à-vis de la Russie est plus ambiguë. Bien que le gouvernement du Premier ministre David Cameron se soit fermement opposé aux actions de la Russie en Ukraine, la City de Londres est déterminée à conserver les oligarques russes comme clients. Si les tensions en Ukraine continuaient de s'intensifier, David Cameron, dont le mandat a été jusqu'ici marqué par la faiblesse et l'hésitation, serait obligé de s'affirmer.

Pour sa part, la France a connu un net renversement de sa relation avec la Russie. Historiquement la France envisage la Russie comme un contrepoids utile aux États-Unis. Mais depuis quelques années, la France et la Russie se sont rangées à plusieurs reprises sous des bannières opposées pour de grands enjeux internationaux, comme la Libye, la Syrie et l'Iran, à une période où les intérêts de la France convergent de plus en plus avec ceux des États-Unis. Bien que la France cherche à éviter tout conflit inutile avec la Russie, la crise ukrainienne a mis en évidence la disparition de l'alliance franco-russe.

Le rôle de la Pologne dans la crise actuelle est légèrement différent. La Pologne se charge de défendre les intérêts de l'Ukraine, tout en contribuant à modérer les ardeurs des nationalistes purs et durs.

Dirigée par ces quatre puissances, l'Europe devra passer par deux épreuves stratégiques. La première épreuve sera celle de l'énergie. Les efforts pour réduire la dépendance de l'Europe vis-à-vis des approvisionnements russes ont jusqu'ici échoué à produire des résultats probants, même si l'Europe a légèrement amélioré sa situation depuis quelques années. La seule façon de continuer dans ce sens consiste à adopter des ressources alternatives et à construire un marché unifié de l'énergie. Bien que la menace russe ne suffise pas à elle seule à harmoniser entièrement les intérêts nationaux sur l'énergie, les dirigeants européens devraient saisir cette occasion pour se rapprocher de cet objectif.

Une relation transatlantique renforcée

La seconde épreuve concerne la sécurité. L'Europe a besoin d'une doctrine cohérente qui dépasse celle de l'actuelle Stratégie européenne de sécurité. Rédigée en 2003 après le déclenchement de la guerre en Irak, ce texte ne contient qu'un faible contenu opérationnel et ne prend pas au sérieux le risque énergétique russe. Là encore, la crise crée une occasion.

Mais le résultat stratégique le plus probable de la crise ukrainienne ne marque pas la fin de l'inertie de l'Europe. C'est plutôt la revitalisation des liens transatlantiques avec les États-Unis qui, après avoir sous-estimé l'importance de l'Europe, renouvellent leur engagement vis-à-vis de l'Otan. Alors que l'Europe devrait être mieux servie en renforçant ses capacités de défense, une relation transatlantique renforcée pourrait offrir d'autres avantages. Par exemple, elle pourrait contribuer à accélérer les négociations sur la Zone de libre-échange transatlantique.

Il se pourrait bien s'avérer que l'ordre international ne soit plus jamais comme avant, après la crise en Ukraine. La question est maintenant de savoir si les dirigeants européens pourront s'assurer que son résultat, quel qu'il soit, serve à améliorer la sécurité de l'Europe. Dans cette perspective, la première étape doit consister en une approche unifiée.

© Project Syndicate 1995–2014


 

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