Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Les diplomates en temps de crises, l’exemple de la diplomatie française

Le 25 octobre 2022 à 13h22

Modifié 25 octobre 2022 à 13h22

Dès l’avènement d’un nouveau gouvernement dans un pays, les premières déclarations concernent la politique intérieure où on promet des changements et l’amélioration du niveau de vie et de la sécurité des citoyens. Au niveau de la politique étrangère, en revanche, on cherche souvent à rassurer amis et alliés que les mêmes objectifs seront poursuivis et qu’une certaine permanence sera maintenue.

Pourtant à l’échelle internationale tout change. Les crises se multiplient en Afrique, au Moyen-Orient, et en Europe. Les règles établies après le second conflit mondial sont remises en cause par la montée de nouvelles puissances. La menace d’une guerre nucléaire, hier tabou, est aujourd’hui une probabilité. La montée des extrémismes, du terrorisme, des crises économiques, le dérèglement climatique et les pandémies ont bouleversé le quotidien des humains. Comment devant tant de transformations peut-on prétendre que le diplomate puisse rester à l’écart de ces mouvements de fond ?

La diplomatie c’est la vision qu’a un État sur sa place dans le monde. Elle est déclinée en actions qui visent à renforcer sa présence, instaurer des alliances et défendre ses intérêts. C’est un métier de vocation et de passion qui intrigue certes, mais suscite aussi l’admiration, l’envie et les railleries. Les diplomates chargés de sa mise en œuvre doivent en permanence s’adapter aux nouveaux enjeux géopolitiques.

“On ne nait pas diplomate mais on le devient”

Le récent livre du diplomate Jérôme Bonnafont, Diplomate pourquoi faire ? revient sur l’évolution et l’état de la diplomatie française face aux défis stratégiques et aux exigences de ce métier qui souffre de beaucoup d’aprioris. L’auteur, qui a cumulé une grande expérience dans le domaine, a exercé ce métier aussi bien à la centrale et à la présidence qu’à l’étranger, multipliant les postes de responsabilité au niveau bilatéral comme multilatéral.

Dans son livre paru récemment, il a su formuler les exigences de ce métier dans un monde en transformation où le diplomate lui-même vit dans une instabilité permanente. Les déménagements se font en fonction des nécessités et des impératifs de son pays et du moment. Au début de sa carrière il est seul, puis après se déplace en famille avec des enfants, dont il faut assurer l’éducation loin de chez eux.

On ne nait pas diplomate mais on le devient, écrit-il. La diplomatie est un métier qui s’acquière patiemment avec le temps et qui permet à l’État de disposer d’une capacité d’action immédiate pour la défense de ses intérêts. L’auteur compare le diplomate à l’ange Gabriel, messager et vecteur du Seigneur, dont la fonction est la transmission et non la création, précise-t-il. Le diplomate donne forme et porte fidèlement le message qu’on lui confie.

Mais le diplomate est loin d’être l’agent passif de son gouvernement. Il donne les impulsions nécessaires à la politique de son pays. Il informe, rend compte de ses démarches, propose et oriente les décisions dans un contexte souvent difficile qu’il doit appréhender à sa juste valeur. Il est en quelques sortes le thermomètre par lequel on mesure le degré de l’évolution des relations sur le terrain.

Instabilité et imprévus

La mobilité des agents diplomatiques est l’autre trait qui donne au diplomate un certain caractère teint par l’instabilité et les imprévus. Quand ce métier est mené par vocation et passion, il sculpte la vie de la personne qui l’embrasse et la rend ainsi meilleure. Quand il est subi, c’est le calvaire et un sentiment d’inutilité qui s’installe.

L’auteur pense que la meilleure posture du diplomate c’est de se résigner à cette vie éphémère, l’accepter en espérant renaître ailleurs. La multiplication des expériences cumulées lui donne le recul nécessaire pour mieux appréhender un monde en perpétuel changement. Ce n’est qu’avec la retraite que le diplomate revient à la vie sédentaire dont certains jouissent avec délice, quand d’autres reviennent à l’anonymat et aux joies de la vie familiale.

L’auteur s’est déployé à différencier les catégories des diplomates comme il les a connus. Les sédentaires qui ne vivent que pour leurs dossiers, les voyageurs qui ne jurent que par telle ou telle civilisation. Ceux qui ont voué leurs vies à des causes comme les droits de l’Homme ou l’environnement, et d’autres qui ne croient qu’aux stratégies de puissance. Ces descriptions reflètent l’état des lieux de la diplomatie française. En réalité, chaque pays développe la diplomatie qui convient à son histoire et à ses ambitions.

La diplomatie moderne a évolué également avec le développement des moyens de communication. Autrefois, le diplomate arrivait après un long voyage qui pourrait durer des semaines. Il avait le temps de se séparer de son monde, et de se préparer psychologiquement à sa nouvelle mission. Comme les contacts avec son pays étaient difficiles, il défendait les intérêts de son pays suivant les instructions qu’on lui avait données avant son départ. Aujourd’hui, le diplomate entre en fonction dès son arrivée dans le pays d’accréditation. Les distances se sont raccourcies et le métier est devenu plus exigeant.

Multiplier les contacts et les échanges

Le diplomate est donc celui qui décrypte les peuples et leurs cultures, l’explorateur qui découvre des contrées lointaines, le journaliste et le reporter qui traque le réel. Tout ceci pour un seul objectif : comprendre pour pouvoir agir au service de son pays. Il doit par conséquent, conseille l’auteur, savoir se séparer des humeurs passagères et s’intéresser aux tendances de fond.

C’est vers cet objectif que l’auteur concentre sa réflexion. Un diplomate pour lui doit porter un regard lucide sur les atouts et les failles du pays où il exerce. Au-delà de la politique, de l’économie et de la culture, il doit connaître les cercles du pouvoir, repérer les lieux d’excellence et de création pour multiplier les contacts et les échanges avec son pays d’origine.

Il doit également se rappeler que s’il occupe ce poste, c’est en raison de la confiance mise en lui. Sa compétence professionnelle, qui peut être un atout pour la carrière, n’est pas déterminante, car il la partage avec beaucoup d’autres de ses collègues. C’est pour cette raison que l’exercice de la diplomatie à l’étranger n’est pas un art solitaire, mais bien un travail d’équipe dont l’ambassadeur est le chef d’orchestre.

Du diplomate on attend aussi des descriptions lucides de ce qu’il constate. Ce n’est qu’à travers ses analyses et ses propositions objectives qu’il pourrait être écouté chez lui. Ceci signifie qu’il ne doit jamais projeter sur l’autre sa propre vision du monde. Quand il agit suivant sa propre morale, il prend le risque de s’opposer aux intérêts de son propre pays. C’est son pays qu’il représente en définitive et non sa propre personne.

Dans les tempêtes qui secouent notre monde actuel, le diplomate est également censé renforcer le dialogue avec les régimes politiques en place, démocratiques soient-ils ou totalitaires. Il doit maintenir le dialogue avec tous, y compris les tyrans et les machiavéliques. A l’intérieur même d’un pays, toutes les fractions de la société et les partis politiques ne seront jamais totalement acquis à sa cause.

Tâtonnements de la diplomatie française

Le livre de Jérôme Bonnefont Diplomate pourquoi faire ? vient tracer les grands traits de la diplomatie française telle que vécue par l’auteur. Il reprend la qualité d’un certains nombres de ministres et ambassadeurs français qui ont laissé des empreintes indélébiles au service de leur pays ainsi qu’une littérature abondante sur leurs expériences. Ils les donnent en exemple à la jeune génération des diplomates français à la recherche de repères.

En retraçant la grandeur d’une époque évanescente et presque révolue, on devine l’amertume de l’auteur face à l’incapacité des gouvernants français actuels à gérer l’action extérieure du pays comme fut jadis. Le président français Macron, plus technocrate que politique, est peu porté sur la diplomatie qu’il a confiée, durant son premier mandat, à Jean-Yves Le Drian principalement pour dynamiser les ventes de l’industrie d’armement.

Le récent décret d’avril dernier supprimant le corps historique des diplomates et sa refonte totale a été mal accueilli par une majorité de diplomates français. Ce service patiemment bâti durant des siècles constitue l’un des réseaux les plus denses du monde. Une telle réforme ne pouvait que démobiliser ce corps de métier et déstabiliser son action extérieure. Michel Barnier, ancien ministre des Affaires étrangères, a critiqué cette réforme en déclarant qu’une diplomatie efficace et influente exige des diplomates professionnels.

On comprend aisément les tâtonnements actuels de la diplomatie française sur plusieurs dossiers. Sa voix est de moins en moins audible en Europe, face aux Russes, et au Moyen-Orient. En Afrique, et principalement au Sahel où des populations réclament le départ des troupes françaises, sa voix porte de moins en moins. Dans ce monde en transformation, l’adaptation aux nouveaux enjeux géopolitiques paraît inévitable.

En diplomatie, chaque pays a sa propre signature, son style et sa marque pour se rendre plus attrayant et créer chez l’autre un sentiment de confort, de curiosité et d’attrait. Ce sont ces avantages là que la diplomatie française commence à dilapider, à notre grand regret.

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