Samir Bennis

Conseiller politique à Washington D.C., rédacteur en chef de Morocco World News.

La France au Maroc : Une histoire de manipulations et de fake news

Le 27 avril 2023 à 13h29

Modifié 27 avril 2023 à 14h31

Les visées françaises sur le Maroc ont commencé à se préciser vers le dernier quart du 19e siècle, surtout avec la décision de la France d’accorder sa protection au Chérif de Ouazzane et d’étendre sa protection à de plus en plus de Marocains. En plus de la protection des sujets Marocains, qui de ce fait échappaient au contrôle judiciaire et fiscal de l’Etat, la France a cherché à utiliser d’autres moyens en vue de préparer le terrain à l’occupation progressive du territoire marocain, puis à la subjugation de tout le pays.

La propagande et la diabolisation du Maroc sont les deux armes principales qu’a utilisées la France pour arriver à ses fins. Cette campagne française se fait notamment à travers la dénonciation de l’incapacité du Royaume à garantir la sécurité des sujets européens installés sur son territoire.

Manigances françaises et européennes pour saper la souveraineté du Maroc

On assiste, ainsi, à la naissance du mythe, largement colporté dans les médias et accepté dans les milieux diplomatiques européens, selon lequel le Maroc serait un terrain fertile pour le banditisme et les attaques violentes visant surtout des ressortissants européens. Certes, les problèmes économiques dans lesquels le Maroc avait sombré à cette époque-là ont privé l’autorité centrale marocaine des ressources humaines et financières susceptibles de lui permettre de faire respecter la loi à travers le vaste territoire du Royaume.

Mais la situation sécuritaire du pays aurait été moins compromise et son image moins salie si les puissances européennes, plus particulièrement la France, ne s’étaient employés à aggraver la situation financière du pays à travers des manigances qui traduisent la détermination des Européens à miner la souveraineté des Sultans et entacher leur légitimité religieuse et politique aux yeux de leurs sujets.

Des auteurs comme Edmond Burke et Jean Louis Miège ont montré à juste titre comment les puissances européennes s’attelaient à provoquer des troubles avec la population locale, voire inventer des cas de heurts avec cette dernière pour ensuite exiger des Sultans de présenter leurs excuses et payer des indemnités financières exorbitantes pour les dommages causés aux ressortissants européens.

Au fil des années, le paiement des indemnités est devenu le moyen le plus efficace que les Européens ont utilisé pour affaiblir le prestige du Sultan, sa souveraineté sur le territoire, épuiser les coffres de l’Etat et le pousser à l’endettement auprès des banques européennes. En 1906, le sultan hypothèque 65% des revenus des douanes pour garantir le paiement de sa dette à la France qui s’élève à 100 millions de francs.

Sultans Marocains face à la colère populaire et à la duplicité française

Pris dans cette spirale infernale, les Sultans du Maroc, notamment Moulay Abdelaziz et Moulay Hafid, se trouvent dans l’obligation d’imposer plus d’impôts sur leurs sujets. Ces mesures impopulaires conduisent à la colère et la grogne des Marocains qui commencent à remettre en cause non seulement la légitimité religieuse de ces mesures, mais aussi la légitimité du Sultan en tant que Commandeur des Croyants et garant de l’indépendance du pays, son intégrité territoriale, sa stabilité et sa paix sociale. Les révoltes, dans ces conditions, deviennent légions dans plusieurs régions du pays. Par ricochet, ces mesures vont déboucher sur l’aggravation du sentiment de xénophobie des Marocains à l’égard des Européens, dont certains sont de temps à autre pris à partie par une population de plus en plus remontée contre les empiétements des puissances européennes. Mais alors que des heurts de cette nature étaient des exceptions, la presse et les chancelleries européennes les exagéraient et amplifiaient leur impact médiatique.

Il va sans dire que les puissances étrangères ont tiré profit de cette incapacité de l’autorité centrale marocaine à assurer la sécurité dans le pays pour semer plus de troubles et créer l’impression que le pays sombrait dans un climat de chaos et d’insécurité totale. Plus il y avait d’insécurité dans le pays, plus les Européens exigeaient du sultan d’introduire de nouvelles réformes politiques, de consentir des dépenses supplémentaires dans le maintien de la sécurité et d’adopter de nouvelles mesures fiscales.

La France va utiliser cette situation à son avantage pour à la fois saper la souveraineté des Sultans du Maroc et accélérer la prise de contrôle du pays par l’armée française. Face à la pression à laquelle les Sultans furent soumis, notamment depuis 1894, la France va commencer à occuper des pans entiers du territoire marocain sous prétexte qu’elle cherchait à faire régner l’ordre et à protéger ses ressortissants et ses intérêts commerciaux au Maroc.

Le premier pas que la France fait dans ce sens sera l’occupation de Touat en 1900. Suivra ensuite l’occupation de Béchar par Lyautey en 1903. A partir de 1907, un an après la Conférence d’Algésiras qui lui donne droit de regard sur la situation sécuritaire au Maroc, la France passe à la vitesse supérieure. Elle avait d’autant plus de raisons de précéder à l’occupation et au dépeçage du Maroc que la Conférence d’Algésiras a débouché sur l’isolement de l’Allemagne, laquelle avait cherché à travers cette conférence d’avorter l’accord passé entre la France, la Grande Bretagne et l’Espagne en avril et octobre 1904.

Le mythe du Marocain sauvage en mal de civilisation

L’assassinat à Marrakech en 1907 d’Emile Mauchamp, médecin et en même temps agent des services de renseignement français, va constituer une occasion en or pour marteler le mythe que les Marocains vivaient dans la sorcellerie, rejetaient le progrès et la science, et que le pays était en proie au banditisme. Par conséquent, la France devait y intervenir à la fois pour les sauver de leur barbarisme et assurer la sécurité de ses ressortissants. Mais paradoxalement, au lieu d’envoyer ses troupes à Marrakech après cet incident, la France décide d’occuper la ville d’Oujda. Quelques mois plus tard, la France entreprendra l’occupation et le bombardement de Casablanca en juillet-septembre 1907.

 Ce bombardement, qui a fait entre 2.000 et 9.000 morts, est survenu à la suite de l’opposition de la tribu de Chaouia à la construction du quai du port de Casablanca et d’une portion du chemin de fer dont le tracé traversait un cimetière. Immédiatement après l’occupation de la région de Chaouia, l’entrepreneur français Henri Popp fonde la Compagnie marocaine de télégraphe et ouvre des stations à Tanger et Casablanca sans obtenir la permission du sultan. Face aux protestations de ce dernier, la France s’engage à retirer ses forces si le sultan rachète la compagnie et la met sous la supervision des Français. Sans surprise, cependant, la France va faillir à son engagement malgré le paiement par le sultan de 560.000 francs en 1908 pour le rachat de la compagnie et sa mise sous la direction d’Henri Popp. Certes la France avait fait une percée militaire spectaculaire avec l’occupation d’Oujda et Casablanca, chose qui ne laissait aucun doute sur l’issue de sa confrontation avec le Makhzen dont le contrôle sur le pays se voit réduit comme peau de chagrin.

Il n’en reste pas moins que le Sultan Moulay Abdelhafid, qui vient de déposer son frère et s’est engagé à lutter pour sauvegarder l’indépendance, est animé par la volonté de tout faire pour éviter la perte de sa souveraineté. A partir de 1911, le Comité du Maroc, la cheville ouvrière de l’entreprise coloniale française au Maroc, se montre impatient de voir le Royaume passer officiellement sous domination française.

L'affaiblissement des structures administratives du Maroc

Mais comme la France jusqu’à ce moment-là professe encore son respect pour la souveraineté du sultan et l’indépendance du Maroc, elle devait trouver un prétexte susceptible de lui ouvrir la voie pour la subjugation définitive de tout le pays. En ce sens, l’instabilité politique et la grogne sociale qui marquent le pays à partir de juillet 1910 ont offert à la France une opportunité en or pour façonner la suite des évènements et asseoir son emprise effective sur le pays.

A cette date-là, le Sultan Moulay Abdelhafid, en proie déjà à une crise financière qui a mis l’Etat au bord de la faillite, décide de remanier les structures administratives qui l’avaient jusque-là aidé à maintenir, tant bien que mal, son contrôle sur l’ensemble du territoire. Auparavant, certains postes clés du gouvernement étaient réservés à certaines familles qui jouissaient de la confiance du Makhzen, alors que les gouvernorats des régions rurales à travers le pays étaient répartis entre les chefs des factions tribales majeures.

Or tout ce système sera chamboulé lorsque Moulay Abdelhafid décide de mettre fin à cette organisation et de confier les rênes des plus importants leviers du pouvoir à deux familles : la famille El Mokri et la famille Glaoui. Alors que Mohammed El Mokri est en charge des ministères stratégiques de la finance et des affaires étrangères, El Madani Glaoui et son frère Thami se voient confier la tâche de contrôler l’administration des zones rurales, y compris la collecte des impôts. Le clan Glaoui est ainsi récompensé pour avoir soutenu le nouveau sultan dans son soulèvement contre son frère Moulay Abdelaziz en 1904.

Or cette décision débouche sur l’exacerbation des tensions à travers le pays, plus particulièrement dans les zones avoisinantes de Fès et Meknès. Déjà outrées par les excès mais aussi l’échec de la réforme militaire introduite par le Sultan en 1910, des tribus amazighs et arabes de ces deux régions voient d’un mauvais œil les exactions et les abus que leur inflige Thami El Glaoui lors de la collecte des taxes. La situation devient d’autant plus intenable que les exactions commises par les agents de Glaoui prennent des proportions alarmantes ne ménageant même pas les tribus qui étaient jadis exemptées du paiement d’impôts en raison de leur statut de pourvoyeurs de soldats à l’armée du sultan, comme ce fut le cas de la tribu des Cherarda. Les exactions commises par El Glaoui et ses agents atteignent une ampleur telle que les notables des tribus de la région de Fès se rendent à la légation française vers la fin de 1910 pour demander à la France d’intercéder en leur faveur auprès du sultan afin que prennent fin ces exactions.

Les excès commis par El Glaoui amplifient la colère des Marocains qui voient comment le nouveau sultan a failli aux engagements sur la base desquels il avait été porté au pouvoir à la place de Moulay Abdelaziz. A ces exactions s’ajoutait la décision du sultan de prendre en otage les membres de certaines tribus qui l’avaient soutenu lors de la crise de Chaouia en 1907. Une fois proclamé sultan, Moulay Abdelhafid s’engage à mener le jihad contre les Français, à renier les dettes contractées par son prédécesseur, à répudier l’Acte de l’Algésiras, à mettre fin à la présence des Français au pays, à sauvegarder la souveraineté et l’intégrité territoriale du Maroc et à y restaurer l’islam. Cependant, sa détermination à sauvegarder l’indépendance du pays se heurte vite à la réalité de l’état avancé de la pénétration française tant sur le plan financier que militaire. En réalisant que les coffres de l’Etat marocain étaient vides et qu’il ne disposait pas de moyens financiers pour mener à bien ses réformes administratives et militaires, Moulay Abdelhafid abandonne ses objectifs initiaux et contracte en 1910 un nouveau prêt auprès de la même France qu’il devait combattre.

La détérioration des conditions sociales et économiques du pays et l’incapacité du sultan à éviter l’effritement progressif de sa souveraineté et les empiétements de la France poussent un groupe de tribus -avec à leur tête les Cherarda, Beni Hassan et quatre tribus Amazighs- à se rebeller contre l’autorité du sultan. La décision du sultan en novembre 1910 d’appliquer la réforme militaire envenime la situation. Cette décision intervient en effet au moment même où la France donne une fin de non-recevoir à la requête des tribus d’intercéder en leur faveur auprès du sultan. Toutes les conditions sont ainsi réunies pour pousser les tribus à prendre leur destin en main, donc de passer à l’action et s’insurger contre le sultan. Dans un premier temps, le plan concocté par les insurgés vise à assassiner tous les vizirs, y compris El Glaoui, ainsi que prendre le sultan en otage et déclarer le jihad contre les Français en son nom. Il est ainsi convenu que le complot doit être mis à exécution à l’occasion de l’anniversaire du Prophète (Aid Al Mawlid Annabaoui) qui tombe le 14 mars 1911.

Quelques jours auparavant, les insurgés changent de plan à un moment où d’autres tribus décident de rejoindre leur combat. Désormais les insurgés ne chercheront plus à prendre le sultan en otage ou à assassiner les membres du gouvernement, mais plutôt à assiéger la capitale afin de forcer le sultan à reconsidérer les mesures qu’il a prises depuis juillet 1910. Ils demandent aussi la destitution des instructeurs militaires européens (en majorité des Français et Espagnols) et la remise en liberté des membres de la tribu Ait Ndir pris en otage par le sultan. Début avril, les tribus rebelles commencent à durcir leur position. Désormais, ils demandent la destitution du grand vizir, ainsi que l’abolition des missions militaires introduites par les nouvelles réformes du sultan. Ils exigent aussi que soit fixée la somme des impôts que toute tribu doit payer, que chaque tribu choisisse son caïd et que leur soient retournées les sommes d’argent que les agents de Glaoui leur avaient extorquées.

La grogne contre le sultan Moulay Abdelhafid prend une nouvelle dimension quand, le 19 avril, les oulémas de Meknès proclament son frère, Moulay Zayn Al Abidin ibn Al Hassan, comme nouveau sultan. La situation politique du pays devient de plus en plus instable, d’autant plus que la capitale se trouve coupée de la côte. Comme Edmund Burke l’a souligné, pendant la rébellion de 1911, les tribus n’ont, à aucun moment, cherché à se révolter contre le système monarchique ou à remettre en cause la légitimité de l’institution de la Commanderie des croyants. Leur insurrection traduit plutôt leur rejet des réformes introduites par le sultan.

La fourberie française à l’œuvre

Le consul français Henri Gaillard, qui exerçait une grande influence dans la cour du sultan, utilise les nouvelles circonstances du pays à son avantage. Il décrit la situation au sultan en des termes alarmants et cherche à convaincre celui-ci de demander l’intervention de l’armée française afin de mettre fin au siège de la capitale et sauvegarder son trône. Le diplomate français mettra, toutefois, presque quatre semaines pour arracher du sultan une demande solennelle demandant le soutien militaire de la France.

Le sultan se montre réfractaire à faire une telle demande à tel point que la France recourt à Kaddour Ben Gharbit, conseiller algérien à la légation française à Tanger, afin de convaincre le sultan de la nécessité de solliciter le soutien militaire de la France. Finalement, le sultan va s’engager, en début mai, à envoyer une demande officielle pour solliciter le soutien de la France. Laquelle demande est parvenue à la légation française à Tanger le 12 mai. Mais contrairement à une idée établie, en signant sa lettre, à aucun moment le sultan n’a autorisé le débarquement dans les côtes marocaines de l’armée française. Ce qu’il a autorisé est l’envoi à Fès d’une mehalla de goumiers de la région de Chaouia formés par la France et sous la commande de Muhammad Al Amrani. Le sultan ordonne aussi le déploiement d’un contingent de 1.500 hommes dans la région de Marrakech.

Mais la France ne l’entend pas de cette oreille. Comme Edmund Burke l’a bien démontré, ce que la France cherche à travers la lettre du Sultan est l’obtention d’une preuve légale pour justifier une intervention militaire qu’elle avait décidée et qui était déjà en marche. Le 17 avril, soit trois semaines avant que le sultan ne fasse appel au soutien de la France, le gouvernement français, sur instigation d’Eugène Etienne, député d’Oran et une des figures de proue de l’action coloniale de la France au Maroc, avait déjà ordonné l’envoi d’un corps expéditionnaire à Fès, lequel devait partir pour le Maroc le 13 mai.

Entretemps, vers la fin du mois d’avril un bruit court à Fès selon lequel l’armée française se préparait à débarquer sur les côtes marocaines. Gaillard intervient auprès des notables de Fès pour dissiper leur crainte devant une telle éventualité et les rassure quant aux intentions de la France et son désir de s’en tenir strictement à la demande du sultan. Or étant donné que la demande officielle du sultan n’est parvenue à la légation française que 24 heures avant le départ des soldats français pour le Maroc, Gaillard l’a antidaté au 27 avril, reflétant ainsi, selon Burke, un engagement vague que le sultan avait fait à celui-ci quant à son intention de faire une demande officielle de soutien militaire à la France. En antidatant la lettre du sultan, Gaillard cherche à enlever tout soupçon sur les véritables intentions de la France. Pour se faire, il va s’empresser de présenter l’arrivée du corps expéditionnaire français comme une réponse à la demande du sultan.

D’après John Macleod, alors consul britannique à Fès, jusqu’à la dernière minute, les habitants de la capitale ont été amenés à croire que le siège de la ville serait levé par les goumiers marocains. Bien plus, deux heures avant l’arrivée des forces françaises, des crieurs publics avaient invité les commerçants à décorer leurs boutiques pour saluer l’arrivée de la mehalla de "notre seigneur" le sultan. Le 21 mai, les habitants sont dévastés lorsqu’ils réalisent qu’ils ont été dupés par la France et que ceux qui sont venus mettre fin au siège de la ville n’étaient pas des goumiers marocains, mais des soldats français.

Alors que la première manche du complot français est ainsi couronnée de succès, le lobby colonial français et ses sympathisants dans le gouvernement français s’attellent à créer les conditions propices pour obtenir le soutien de l’opinion publique française et des puissances européennes à l’envoi des soldats au Maroc. Et comme la ruse, la fourberie et la propagande ont toujours fait partie des outils de prédilection des élites politico-économiques et médiatiques françaises, celles-ci ont manigancé tout un plan monté de toutes pièces pour asséner le coup mortel définitif à l’indépendance du Maroc.

En avril 1911, Maurice Rouvier, porte-parole du Comité du Maroc et ancien Premier ministre français, va colporter une rumeur selon laquelle Fès, capitale du Royaume, serait assiégée par des milliers d’insurgés venus des zones avoisinantes et que les Européens étaient en danger de mort certaine. Mis sous pression et choqué par l’ampleur de l’attaque imminente sur la communauté française au Maroc, le gouvernement français donne au Général Moinier l’ordre d’envoyer un corps expéditionnaire de 30.000 hommes à Fès avec pour but d’éviter le carnage et le massacre des Français.

La Grande Bretagne, qui avait déjà donné à la France le feu vert pour s’emparer du Maroc, exprime son soutien à la décision du gouvernement français. Même l’Allemagne, qui était jusqu’alors la partie la plus lésée par l’arrangement britannique-français, n’a exprimé aucune opposition, se limitant à obtenir l’engagement du gouvernement français de retirer ses forces une fois que celles-ci auront accompli leur mission. Quant à l’Espagne, craignant de se faire devancer par la France et ne plus être en mesure de mettre en œuvre les clauses secrètes de l’accord de 1904 -dont le contenu sera révélé en novembre 1911 par le journal parisien Le Matin- elle, a décidé de dispatcher ses troupes vers Larache et Lakser El Kebir, ouvrant la voie à son occupation effective du nord du pays.

Sous l’influence du Comité du Maroc qui avait des tentacules dans tout le paysage économique, politique et médiatique français, une campagne de propagande colossale se met en branle. Le but ultime est, bien évidemment, de créer un climat favorable à l’intervention de l’armée française au Maroc. Alors qu’il n’y avait que très peu de Français à Fès et que le public français n’avait jamais entendu parler de l’existence d’une communauté française dans la capitale du Royaume, il se voit soudain bombardé pendant plusieurs jours par un foisonnement de nouvelles et de dépêches qui affirment que les Français seraient l’objet d’attaques meurtrières de la part des Marocains, qui n’aurait ménagé ni les enfants ni les personnes âgées.

Conformément à l’agenda du Comité du Maroc, la presse parisienne parle au détail près des méfaits et crimes supposés commis par des assaillants marocains. Afin d’insuffler un brin de dramatisme à la situation, la presse française met en garde contre la pénurie de nourriture à laquelle la capitale serait confrontée au cas où le siège de la ville durait plus de deux semaines. En cas de prolongement du siège, les habitants de la ville n’avaient que l’équivalent de deux semaines d’apprivoisement en nourriture.

Tout avait été mis en œuvre pour galvaniser l’opinion publique française et obtenir son adhésion à l’envoi de son armée à Fès et des dépenses financières qui allaient en résulter. Mais quelle ne fut la surprise des 30.000 soldats français quand ils arrivèrent sur place. Ils n’y ont trouvé personne, en effet. Et, pire encore, il n’y avait ni assauts contre la communauté française à Fès ni assaillants marocains déterminés à tuer des Français de tous âges. La vie dans la capitale marocaine suivait plutôt son cours normal et il n’y avait aucun heurt entre les forces de l’ordre et les habitants.

Dans son livre Morocco in Diplomacy, publié en 1912, le journaliste et homme politique Franco-Britannique Edmund Dene Morel rapporte qu’un des journalistes qui avaient pris part à la propagation des fake news sur le prétendu assaut contre la ville de Fès a reconnu qu’un tel assaut n’a jamais eu lieu, et qu’à aucun moment la sécurité ou la vie des ressortissants français n’avait été en danger à Fès. Concernant l’apprivoisement de la ville en nourriture, il a affirmé que la capitale du royaume avait de quoi nourrir ses résidents et les 30.000 soldats français pendant plus d’un an.

Qu’il y ait eu un assaut ou pas, le complot a porté ses fruits et la France a réussi à asséner un dernier coup mortel au Maroc avant de forcer son sultan, un an plus tard, à signer le traité du Protectorat. Comme le souligne Morel dans son livre, "la farce était déjà jouée : après Casablanca, Fès, et sans le réaliser la France, et presque sans le savoir, avait fait un pas décisif. Une occupation indéfinie de la capitale fut le prélude au protectorat. L’ère des concessions, le profit et les dividendes était sur le point de s’ouvrir".

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