Hamza Hraoui

Membre fondateur du Mouvement Maan.

Détroit de Gibraltar. Photo Flickr Thierry F.

L’Espagne devra choisir

Le 23 mai 2021 à 9h28

Modifié 24 mai 2021 à 15h38

L'Espagne devra choisir entre un axe Madrid-Rabat renforcé pour faire prospérer la Méditerranée, ou la défiance systémique qui peut se transformer en animosité. Une analyse de Hamza Hraoui.

Les relations maroco-espagnoles sont aussi passionnées que complexes. Contrairement à d’anciennes colonies espagnoles, le Maroc a longtemps été considéré comme une potentielle puissance rivale. Jusqu’aux années 70, le niveau de développement entre les deux pays était relativement proche.

De nombreux Marocains se souviennent de ces immigrés Espagnols qui venaient chercher du travail en terre marocaine. Depuis, l’intégration de l’Espagne à l’UE est passée par là, et la suite nous la connaissons. Confortée par des réformes politiques profondes, exigées par Bruxelles l’Espagne a en effet connu un boom économique fulgurant.

Sur le plan bilatéral, l’essentiel des relations avec le Maroc s’appuyait sur une politique de bon voisinage pour réguler les flux migratoires, d’interdépendance économique et une proximité entre deux monarques qui reste inédite de par le statut des deux rois.

Une cour catholique européenne et une autre chérifienne africaine, ont veillé à privilégier le dialogue même dans les pires moments. Le rapprochement a atteint son point d’orgue lorsque l’Espagne avait détrôné la France en devenant le premier partenaire commercial européen du Maroc. Le pays ibérique est aussi devenu un réceptacle privilégié des investissements marocains en Europe.

A quoi assistons-nous en ce moment?

Il s’agit en fait de l’éclatement d’une crise latente. Et pour en comprendre l’origine, il faut remonter 14 ans en arrière, au moment du lancement du port Tanger Med.

Le Maroc avait donné le ton : le changement de paradigme économique avec un investissement massif dans les infrastructures. D’abord pour se mettre niveau et ensuite pour capter le flux du commerce mondial qui traverse la Méditerranée. Le développement du nord du pays figurait ainsi dans la priorité des plans sectoriels du Royaume.

Aujourd’hui, Tanger est plus connectée au monde que Malaga. L’Espagne n’avait probablement pas pris au sérieux la détermination du Maroc et a été surprise par l’envergure des réalisations et la nouvelle assise du Maroc comme acteur économique régional. Pendant ce temps, les deux présides de Sebta et Mellila profitaient d’un statu-quo précaire, mais qui ne semblait pas déranger Madrid tant que la contrebande faisait vivre les deux enclaves. De petites crispations pouvaient apparaître de temps à autre, mais les deux États se sont habitués à les régler dans la discrétion, en bons voisins.

Et puis il y a 20 mois, deux décisions majeures vont révéler une rivalité maroco-espagnole jusque-là silencieuse.

Cela s’est fait en deux actes : d’abord la fermeture par le Maroc d’un point passage de marchandises avec Sebta et un autre avec Melilla. Si la deuxième enclave est relativement peu impactée par le blocus, la ville de Sebta est quant à elle à l’agonie. Ce n’est pas la première fois que le Maroc entreprend cette opération. En 1694, le sultan Moulay Ismail a assiégé Sebta et Mellila pendant près de 20 ans.

Le deuxième acte du Maroc consistait en la création d’une agence qui régulera la production de cannabis à des fins médicales et industrielles. L’Espagne été prise de court. Les retombées économiques d’une telle décision sont considérables et peuvent à elles seules, compenser la chute abyssale des revenus des habitants de Fnideq et de toutes les villes du nord fragilisées par les conséquences dramatiques de confinements successifs.

400 millions de dirhams ont été débloqués pour amorcer le développement économique de Fnideq, M’diq et Tétouan à travers la construction d’une zone industrielle notamment, qui pourrait être portée par deux pôles économiques majeurs : les ports de Tanger Med et Beni Ansar, ainsi que les aéroports d’Al Hoceima et de Nador.

La relation est passée du stade de coup de froid à un état grippal quand Madrid a accepté la demande d’Alger d'accuellir Brahim Ghali, chef du Polisario le 17 avril dernier. Madrid a frôlé le casus belli.

La réaction du Maroc était plus que prévisible. Madrid ne connaît que trop bien la sensibilité du conflit territorial hérité de ses propres vestiges coloniaux, il était donc assez aisé de prédire l’irritation du Maroc.

Rabat avait en effet émis des demandes d’explications par voies officielles et maintenait la pression pour qu’une décision de justice soit appliquée. Madrid esquivait à coup d’éléments de langage laconiques et incohérents, arguant une « urgence humanitaire ». Pire, plus la ministre des affaires étrangères Arancha González Laya s’exprimait sur le sujet, plus Madrid se rapprochait de l’incident diplomatique avec son voisin.

Le 17 mai dernier, le Maroc a fermé les yeux sur le passage de milliers de migrants et la tension a franchi un nouveau degré de gravité.

On ne peut ici que déplorer la détresse de milliers de familles précaires, de mineurs hagards voulant se frayer un passage en Europe, ces images rappellent au Maroc ses propres défis qui attendent des réponses urgentes. Sur ce point, tous les Marocains sont unanimes et veulent sortir des incantations pour agir et réformer.

Diplomatiquement, il s’agit d’une mesure de rétorsion. Tactiquement, cela permet permet au Maroc de rappeler à l’Espagne que les deux voisins sont liés par des enjeux sécuritaires qui obligent une coopération tous azimuts et en tout temps. Politiquement, il fragilise le gouvernement espagnol en grande partie responsable de cette détérioration. Nous avons tous vu comment le premier ministre espagnol a été hué à Sebta, du pain bénit pour l’opposition espagnole qui n’a pas tardé à réclamer la démission du gouvernement.

La méfiance espagnole envers le Maroc, si elle est épisodique, ne date pas d’hier.

La compétition entre ces deux pays méditerranéens clés, est tout à fait naturelle et peut être bénéfique, tant qu’elle ne franchit pas une certaine limite, en se transformant en animosité.

Le Maroc veut régler une fois pour toutes la question du "Sahara Occidental", il veut sortir du joug du chantage diplomatique et fort de la proclamation américaine, il s’émancipe de plus en plus de la léthargie de l’UE sur ce dossier. Le Maroc dispose de ‘’game changer’’ sur le terrain et le fait savoir. De son côté, le gouvernement espagnol s’est englué, tout seul, dans un marécage de contradictions.

Une question lancinante revient alors : pourquoi avoir accueilli le chef des séparatistes, sous une fausse identité, et sous couvert d’urgence humanitaire sans informer le Maroc ? La posture espagnole en plus d’être floue, est très peu acceptable si l’on se met à la place de Rabat.

Comment l’Espagne peut à ce point, être aveuglée en s’obstinant autour d’une très hypothétique indépendance du Sahara, qui représente non seulement une hérésie mais un danger pour sa propre souveraineté ? Avec cet acte inamical, le gouvernement espagnol a frôlé le bellicisme et a fragilisé son partenariat avec un allié économique et sécuritaire important.

Si la confusion règne sur les intentions réelles de Madrid à court-terme, nous pouvons toutefois expliquer son activisme récent sur un plan multilatéral. En ce sens, la déclaration d’Arancha González Laya pour la revue Le Grand Continent devrait nous alerter sur la nouvelle doctrine diplomatique de l’Espagne. Elle avait en effet déclaré que pour Madrid, le territoire au XXIe siècle, est bien plus qu’un espace géographique.

L’Espagne veut donc se détacher de la tutelle franco-allemande pour peser et user de son soft power, au sein et à l’extérieur de l’Europe. Si sa capacité de projection militaire est discutable, économiquement, Madrid peut s’appuyer sur la bonne qualité de ses infrastructures, la langue, la solidité de son tissu productif pour exporter son savoir-faire et influer sur certains dossiers régionaux.

L'Espagne doit choisir entre un axe Madrid-Rabat renforcé pour faire prospérer la Méditerranée, ou la défiance systémique

Le développement du projet de Corridor méditerranéen est un autre exemple du déploiement de cette nouvelle diplomatie de puissance.

Compte tenu de la trajectoire des deux pays, la relation entre Rabat et Madrid ne peut être figée, elle est dans une mue permanente. Chaque partie devra jouer le jeu pour sanctuariser une relation apaisée car les deux États, géographie oblige, font face aux mêmes risques géopolitiques.

Si le Maroc n’a pas d’autre choix que de poursuivre l’édification de sa crédibilité géopolitique, notamment vis-à-vis de l’Europe, la responsabilité de l’Espagne consiste aujourd’hui à choisir. Choisir entre la clarté ou le défaussement diplomatique. En d’autres termes, choisir entre un axe Madrid-Rabat renforcé pour faire prospérer la Méditerranée, ou la défiance systémique.

Les dialogues stratégiques entre les deux acteurs régionaux ne peuvent plus attendre. Le binôme maroco-espagnol devra apprendre à développer des choses ensemble : nouvelle économie, conquête spatiale, énergie renouvelable, ou encore le projet de tunnel ferroviaire en dessous du détroit de Gibraltar, qui peut être un formidable catalyseur d’entente bilatérale.

A nous maintenant de tenter d’espérer que cet imbroglio diplomatique soit une partie de flamenco de mauvais goût, plutôt qu’une Reconquista revisitée et vouée à l’échec.

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